Durant l’été 2018, Mahathir Mohamad, le Premier ministre malaisien de 93 ans tout juste élu, annulait le projet chinois de ligne ferrée à travers le pays, de la frontière thaïe au détroit de Malacca (East Coast Rail Link – ECRL), section de l’axe Pékin-Singapour. Le 12 avril dernier, les deux pays annoncèrent s’être finalement mis d’accord.
Pour la Chine, c’était un coup dur, s’agissant d’un projet phare de son initiative Belt & Road (BRI), approuvé par son prédécesseur Najib Razak – à présent devant les tribunaux pour détournement de fonds. Mahathir Mohamad dénonçait un contrat « colonialiste », peu clair, au prix exorbitant (15,8 milliards de US dollars), et peut-être « inutile ». Le Premier ministre restait lié par les 5,3 milliards de US dollars à payer en cas d’annulation du projet. Devinant les dégâts que l’affaire ferait à la Chine et à l’image du BRI à travers l’Asie, Mahatir Mohamad voulait forcer Pékin à renégocier. Finalement, le 12 avril, les deux pays annoncèrent s’être mis d’accord, Kuala Lumpur dévoilant de rares détails. Au départ, la Malaisie devait assumer seule les frais de fonctionnement et de maintenance, le consortium China Communications Construction Corporation (CCCC) se limitant à bâtir.
Mahathir a donc obtenu une ristourne de 30%, pour un coût total ramené à 10,7 milliards de dollars, les parties assumeront ensemble les coûts opérationnels en une joint-venture détenue à 50/50. Le Premier ministre a du sacrifier 40 km de ligne sur les 688 km prévus, mais il a gagné aussi pour ses firmes de génie civil 10% de plus (soit 40%) des ouvrages d’art.
Autre manière de rétablir l’équilibre, alors que l’Union Européenne qualifiait l’huile de palme de biocarburant « non durable » en raison de la déforestation qu’elle génère, la Malaisie obtenait en mars de Pékin 30% de commandes en plus, pour 1,62 million de tonnes, et 890 millions de dollars.
La fin de brouille a été officialisée à Pékin lors du second Forum BRI (25-27 avril), en présence de Mahathir Mohamad. La Malaisie en ressort grand vainqueur, avec un endettement allégé, des risques partagés et un carnet de commandes d’huile de palme rempli. Pour la Chine, la note est salée, mais elle remet sur ses rails une initiative BRI à la peine, avec des projets critiqués ou en panne dans une demi-douzaine de pays clients. Cet accord risque néanmoins d’inspirer d’autres renégociations. La Chine comprend donc la nécessité de ne pas être l’unique gagnante dans les projets BRI, et ce contrat est le premier témoignage de ce nouvel état d’esprit.
Par Eric Meyer et Jeanne Gloannec
Extrait du "Vent de la Chine", Numéro 16 du 22 au 28 avril 2019, www.leventdelachine.com