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Recherche en virologie avec le professeur Lisa Fong-Poh NG de A*STAR

ASTAR Singapore Lisa NGASTAR Singapore Lisa NG
Le Prof. Lisa Fong-Poh NG A*STAR
Écrit par Cécile Brosolo
Publié le 5 décembre 2017, mis à jour le 6 décembre 2017

Le Prof. Lisa F.P. Ng est virologue, elle étudie les réponses immunitaires aux arbovirus épidémiques ou endémiques des régions tropicales, avec un intérêt particulier pour le virus Chikungunya. Elle dirige le laboratoire d'Immunologie microbiale au sein du Singapore Immunology Network (SIgN), inauguré en 2006 par A*STAR (Agency for Science, Technology and Research). En 2008, elle est devenue la première singapourienne et la première femme à recevoir le prestigieux prix ASEAN « International Young Scientist and Technologist Award ».

 

Vous étudiez les maladies infectieuses et les virus. Quels sont les enjeux et vos principaux projets de recherches ?

Prof. Lisa F.P. NG - Les maladies infectieuses sont responsables d'environ un quart des décès dans le monde entier chaque année, et une importante part est causée par des agents pathogènes viraux. La mondialisation, la mobilité accrue des individus et le changement climatique sont des facteurs favorisant les pandémies dues à des maladies virales nouvelles ou ré-émergentes. Ces dernières sont une menace constante de santé de publique.

Dans ce cadre, nous étudions en particulier le virus Chikungunya. Nous cherchons notamment à comprendre la pathogénèse (les processus responsables du déclenchement et du développement de la maladie) et à connaître le rôle exact du système immunitaire dans l'évolution d'une infection par CHIKV chez l'Homme, mécanismes encore assez mal compris. Pour cela, nous développons des modèles d'études sur des animaux, de type murins. L'objectif in fine est de trouver des stratégies immunothérapeutiques, telles que des vaccins.

 

Dans le cadre de vos recherches, vous avez collaboré à plusieurs reprises avec des chercheurs français ?

Lisa Ng - J'ai rencontré Pierre Roques, du CEA pour la première fois en 2009, lorsque nous étions en pleine épidémie de Chikungunya en Asie et à Singapour. Il était à cette époque le seul à disposer d'un modèle d'étude sur primate non-humain (ndlr, recherche sur des singes) pour étudier la pathogénèse du Chikungunya et était invité partout dans le monde pour présenter ses résultats. Lorsque nous avons échangé sur nos sujets de recherche, il m'a parlé du programme MERLION et nous avons alors décidé de soumettre un projet commun.

Le but de cette étude était de comparer les profils de cytokines (hormones du système immunitaire) dans le sang, provenant de macaques infectés par le virus avec des données issues de patients humains. Puis en 2011, alors que je participais à un projet pour l'ICRES (Integrated Chikungunya Research, projet supporté par l'Union Européenne), nous avons à nouveau collaboré dans le cadre de la thèse de l'un de mes étudiants, le Dr. Fok-Moon Lum. L'objectif était de comprendre le développement de la maladie et quels étaient les organes atteints, dans un modèle murin, que nous avons développé au laboratoire, et dans le modèle de primate non-humain du CEA.

Lors de ce projet ICRES, j'ai rencontré Marc Lecuit de l'Institut Pasteur et, plus tard, en 2013, dans la continuité de ce projet, nous avons mené ensemble une étude sur le rôle des anticorps dans l'infection par le virus Chikungunya.

Prof. Lisa NG - SIgN, ASTAR

En quoi la collaboration avec la France a-t-elle été bénéfique pour vous ?

Nous cherchons à connaître comment la maladie se met en place et comment elle se développe, notamment quels sont les organes atteints par le virus et comment ils répondent. C'est très difficile à réaliser chez l'Homme car nous n'avons accès qu'à des échantillons sanguins. Nous avons donc besoin de modèles animaux. Les modèles murins restent à ce jour les modèles précliniques les plus utiles, mais ils s'avèrent parfois insuffisants pour permettre un passage chez l'Homme. De ce fait, les modèles simiens étant plus proches de l'Homme sont indispensables. Le laboratoire dirigé par Pierre Roques est un des seuls au monde à disposer d'un tel modèle.

Nous avons étudié la réponse immunitaire des macrophages (une population de globules blancs) chez les macaques. En effet, les macrophages, les cellules nettoyeuses du système immunitaire, avaient déjà été identifiées comme étant touchées par le CHIKV, et nous avons pu mieux comprendre leur rôle. Nous avons également pu comparer les réponses immunitaires chez des souris et des macaques infectés par différents virus, ainsi que sur des cellules de sang humain issues de patients, et voir les évolutions en fonction de différents traitements que nous avons utilisés. Ces recherches ont été très bénéfiques nous ont permis de mieux comprendre la maladie.

 

En Savoir plus sur le Chikungunya

La fièvre Chikungunya (CHIKF) a été isolée pour la première fois dans le sud de la Tanzanie en 1952 et a depuis déferlé par flambées épidémiques sur de nombreux pays, principalement en Afrique, en Asie et en Inde. Plus de 2 millions de personnes ont été infectées dans le monde et cette maladie est considérée comme la prochaine menace virale potentielle en Asie du Sud-Est, dans la région Pacifique et en Europe. Elle est causée par un alpha virus, le virus Chikungunya (CHIKV), et est transmise par le moustique Aedes (ndlr, le moustique « tigre », facilement reconnaissable à ses rayures blanches).

C'est une maladie invalidante dont le début est marqué par l'apparition brutale d'une fièvre élevée, souvent accompagnée d'arthralgies. D'autres symptômes sont des éruptions cutanées ou des hémorragies, des myalgies et céphalées et la fatigue. Des complications rares au niveau nerveux ou du foie ou du coeur ont été observées. La plupart des patients se rétablissent complètement, mais dans certains cas l'arthralgie peut persister pendant plusieurs mois ou même plusieurs années. Il n'y a pas de traitement spécifique contre le Chikungunya. Les traitements actuels sont uniquement symptomatiques et sont basés essentiellement sur l'utilisation d'antipyrétique et d'anti-inflammatoires. 

 

Les anticorps ont un rôle particulier dans l'infection par le virus Chikungunya. Qu'est-ce que le "Antibody-enhancement" ?

Nous avons montré que les anticorps peuvent jouer un double rôle dans certaines infections. Normalement, les anticorps ont un rôle protecteur. Ils peuvent se fixer sur les agents infectieux pour les neutraliser et prévenir l'infection, et lorsqu'un individu a été auparavant infecté, le système immunitaire développe une mémoire et réagit plus rapidement. C'est d'ailleurs le principe de protection des vaccins. Mais dans certains cas, et nous l'avons montré sur nos modèles de souris pour le Chikungunya, lorsque les anticorps sont présents en concentration insuffisante, ils ne jouent plus ce rôle protecteur et, à l'inverse, facilitent l'infection en permettant au virus de se fixer plus facilement aux cellules. D'où le nom de « facilitation dépendante des anticorps », ou "Antibody-enhancement" ADE.

Nous avons fait les mêmes recherches, ici au SIgN et Marc Lecuit à l'Institut Pasteur, et nous sommes arrivés à la même conclusion, sur ce double rôle des anticorps dans la réponse immunitaire contre le Chikungunya. Cela a été démontré également pour la dengue en laboratoire, et expliquerait l'apparition de symptômes plus graves dans le cas de réinfection. Mais cela reste difficile à prouver chez l'Homme du fait de la multiplicité des antécédents médicaux et des maladies chroniques des patients. La prise en compte de ce phénomène est essentielle pour le développement de traitements ou vaccins efficaces. 

 

 

(Article publié en version intégrale en janvier 2017, dans le cadre des 10 ans du PHC MERLION)


[i] Pierre ROQUES est chercheur au Service d'Immuno-Virologie (SIV) de l'Institut IMETI (Institut des Maladies Emergentes et des Thérapies Innovantes) du CEA (Commissariat à l'Energie Atomique). Il étudie les maladies à arbovirus (Chikungunya, Dengue, Zika) grâce à des modèles animaliers (primate non humain) particulièrement représentatif de ce qui se passe chez l'Homme.

[ii] Marc Lecuit est microbiologiste et physicien des maladies infectieuses. Il dirige l'unité Biologie des Infections à l'Institut Pasteur et Inserm. 

 

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