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Découvrez deux artistes incontournables de la scène asiatique au Singapore Art Museum

Invitant le public à explorer différents récits d'Asie du Sud-Est, le Singapour Art Museum (SAM) présente jusqu’au 23 mars 2025 deux grandes figures de l’art contemporain dans la région : Yee I-Lann et Pratchaya Phinthong. Loin d’être un simple ballet d’images, leurs œuvres nous embarquent dans des voyages sensoriels et intellectuels qui éblouissent autant qu’ils font réfléchir.

Yee I Lan expose Kerbau au Singapore Art Museum.Yee I Lan expose Kerbau au Singapore Art Museum.
Kerbau (2007) de Yee I Lann (© Karen Attal)
Écrit par Karen Attal
Publié le 10 décembre 2024, mis à jour le 12 décembre 2024

Yee I-Lann : Mansau-Ansau et Pratchaya Phinthong : No Patents on Ideas sont deux expositions multidisciplinaires. Chacune offre des points de vue nuancés sur l’évolution des paysages sociopolitiques, environnementaux et culturels et enrichit notre compréhension des problèmes contemporains tels qu’ils sont enracinés sur le continent asiatique. Récits historiques, analyse des systèmes qui structurent la vie moderne, dialogue sur l’art, tout transporte le public dans une réflexion sur l’art et les thèmes universels qu’il aborde.

Des programmes gratuits (visites guidées par les curateurs, conférences d'artistes) sont offerts afin de favoriser un lien plus profond avec les thèmes des expositions et donner un aperçu des pratiques des deux artistes.

 

 

Pratchaya Phinthong et Yee I Lann exposent au Singapore Art Museum.
Pratchaya Phinthong et Yee I-Lann (© SAM)

 

 

Pratchaya Phinthong : No Patents on Ideas

No Patents on Ideas est la première exposition personnelle de l’artiste thaïlandais Pratchaya Phinthong à Singapour. S’appuyant sur ses observations de la cité-État, l’exposition tisse le contexte local dans le cadre conceptuel plus large de Pratchaya, offrant une exploration des relations humaines et des transactions commerciales qui façonnent les interactions au quotidien. Son engagement subtil mais incisif à l’encontre des systèmes mondiaux de valeur, de travail et d’échange transparaît dans ses œuvres.

No Patents on Ideas remet en question la façon dont nous comprenons les rouages – visibles ou invisibles – de nos sociétés, à travers une constellation d’éléments qui font référence à l’espace aérien comme expression de la liberté. En fusionnant les objets trouvés et les symboles institutionnels, Pratchaya souligne l’idée qu’un vestige peut véhiculer du sens, voire un ensemble de notions politiques et culturelles interconnectées. Ce moment est capturé dans les installations Undrift et Untitled (Singapore), qui occupent une place centrale dans l’exposition.

 

 

Pratchaya Phinthong expose untitled au Singapore Art Museum.
Untitled Singapore (2014) de Pratchaya Phinthong (© Karen Attal)

 

 

Dans Untitled (Singapore), une photographie prise à Udon Thani, dans le nord-est de la Thaïlande, représente le ciel au-dessus de la ville. Un avion de chasse F-16 volant a permis de réaliser ce cliché à l’occasion d’un exercice d’entraînement militaire. Pratchaya crée ainsi un enregistrement de l’aviation militaire, encourageant le public à repenser l’espace aérien, la navigation et le contrôle.

 

 

 

Pratchaya Phinthong expose undrift au Singapore Art Museum.
Undrift (2024) de Pratchaya Phinthong (© SAM)

 

 

Undrift, quant à elle, recrée un économiseur d’écran boursier téléchargé par un atelier de réparation de Bangkok sur l’ordinateur de l’artiste, animant les billets de devises étrangères alors qu’ils flottent sur l’écran. Telle une illustration psychique du système monétaire de Singapour. Des détails comme des notes manuscrites et des plis sur les billets reflètent la touche personnelle de Pratchaya, tandis que leur mouvement est synchronisé avec les données de vitesse du vent en temps réel des stations météorologiques de Singapour. Cette réinterprétation d’un banal fonds d’écran numérique illustre l’utilisation par Pratchaya de biens génériques prêts à l’emploi pour mettre en lumière l’ordre financier mondial. Une critique poétique de notre dépendance aux flux monétaires.

 

 

 

Pratchaya Phinthong expose Suasana au Singapore Art Museum.
Suasana (2015) de Pratchaya Phinthong (© SAM)

 

 

La préoccupation de Pratchaya pour les univers socio-culturels symboliques qui animent l’activité économique remonte à ses premières œuvres, souvent orientées vers les pratiques réelles des acteurs économiques. La série de négatifs Suasana évoque le lien entre Pratchaya et Zauquna, une communauté de veuves de Pattani, dans le sud de la Thaïlande, dont la vie est marquée par le conflit. Dans cette région où l’impact des différences d’identité culturelle et de foi sur la vie est vivement ressenti, Pratchaya a invité les veuves à dérouler des rouleaux de film et à les exposer à la lumière. Les bandes de film noircies qui en résultent, dépourvues d'images, portent les empreintes de la présence et de l'absence des femmes, soulignant les contradictions et les incertitudes de la vie liées à la violence.

 

 

 

Pratchaya Phinthong expose Nam Prik Zauquna au Singapore Art Museum.
Nam Prik Zauquna (2024) de Pratchaya Phintong (© SAM)

Joignant l’utile à l’artistique, Pratchaya a collaboré à la production de la pâte de piment thaïlandaise afin de soutenir la communauté Zauquna dont il continue de partager les histoires à travers ses expositions. Dans une deuxième phase, la pâte de piment sera distribuée par l'organisation non gouvernementale singapourienne Transient Workers Count Too (TWC2). De l’art épicé.

 

 

Yee I-Lann : Mansau-Ansau

Le titre de l'exposition, Mansau-Ansau signifie « marcher et marcher » dans les langues Dusun et Kadazan. Cette exposition présente les œuvres marquantes de l'artiste Yee I-Lann, originaire de Sabah, sous forme de marathon symbolique, de voyage ouvert à la découverte des cultures malaises. L'exposition traverse deux décennies de création de Yee, abordant des récits historiques et contemporains et en mettant l'accent sur les thèmes du pouvoir, de l'identité et de la communauté. À travers ces questions, Yee invite le public à considérer les forces qui façonnent la Malaisie et, au-delà de l'Asie du Sud-Est, les paysages du monde dans leur forme purement esthétique.

 

 

 

Yee I Lann expose Fluid World au Singapore Art Museum.
Fluid World (2010) de Yee I Lann (© SAM)

 

 

Yee se considère comme spectatrice plutôt que créatrice de photographies, travaillant souvent avec des images trouvées et s’adonnant au collage pour mettre en évidence diverses histoires. Elle crée ainsi un espace d’observation et de critique visuelle.

Dans Sulu Stories, le paysage marin situé entre Sabah et le sud des Philippines se déploie dans des dioramas photo reflétant l’histoire de la communauté autant que le conflit. Le vocabulaire visuel de Yee est très présent dans la série : Orang besar (grande personne) fait référence à ceux qui ont une richesse économique et une influence politique. En appliquant la technique traditionnelle du batik au vêtement familier du kain panjang (long tissu), l’œuvre explore la relation complexe entre les puissants et les impuissants dans la société.

 

 

Yee I Lann expose Sulu Stories au Singapore Art Museum.
Sulu Stories (2005) de Yee I Lann (© Karen Attal)

 

 

Picturing Power confronte le passé colonial de la Malaisie à travers les mécanismes de la gouvernance, de l'éducation et de la hiérarchie. Créé une décennie plus tard, Measuring Project offre un point de vue anticolonial en utilisant la forme égalitaire du tapis tissé. L'orientation du tapis invite les spectateurs à réexaminer les systèmes de valeurs et à renouer avec les connaissances ancestrales.

 

 

Yee I Lann expose Picturing Power au Singapore Art Museum.
Picturing Power (2013) de Yee I Lann (© SAM)

 

 

Les collaborations de Yee avec les communautés maritimes et terrestres jettent un pont entre les cultures, permettant de découvrir et de comprendre leurs particularités et, par extension, de parler de la condition humaine dans son ensemble. PANGKIS, une œuvre vidéo intitulée d'après le cri guerrier unique des Murut à Sabah, retransmet la chorégraphie du Tagaps Dance Theatre qui porte des chapeaux de jungle tous reliés les uns aux autres par une structure qui les rassemble autant qu’elle les désunit dans un étrange étalage rythmé d’expression culturelle.

 

 

Yee I Lann expose Pangkis au Singapore Art Museum.
PANGKIS (2021) de Yee I Lann (© Karen Attal)

 

 

Étendant l'expérience sonore à la transmission communautaire, Hello from the outside de Yee présente la liste des chansons des tisserands, illustrant l'absence de frontières dans la chanson. On peut ainsi se joindre à cette communauté lyrique pour un karaoké suggéré par les paroles familières mises en avant par l’œuvre.

 

 

 

Yee I Lann expose Hello from the outside au Singapore Art Museum.
Hello from the Outside (2019) de Yee I Lann (© Karen Attal)