Nouri, participe passé du verbe nourrir : tout le concept est là. Les hommes sont tous les mêmes et ont les mêmes besoins d’être nourris. Puisqu’Homo Sapiens est un et cependant multiculturel, les traditions culinaires sont le fruit de mixages ethniques et culturels. Nouri, le restaurant, s’en fait l’écho. Ici, on désintègre les liaisons ingrédients/techniques/saveurs pour créer des plats dans lesquelles toutes les cultures peuvent se reconnaitre, autour de goûts communs. C’est un hymne à l’homme, aux hommes et à tous les peuples.
Ivan Brehm est un citoyen du monde : origines européennes, enfance au Brésil, touche-à-tout, avant-gardiste. Second d’Heston Blumenthal au Fat Duck à sa grande époque dans les années 2000, dans la campagne britannique, il affûte son goût et sa curiosité. Il aime sortir des sentiers battus, expérimenter, donner une dimension multi-sensorielle à la gastronomie avec la cuisine moléculaire. Son credo : s’en inspirer pour mieux s’en détacher… Il lance, en partenariat, Kitchen at Bacchanalia, à Singapour, en 2013 et décroche 1 étoile dès le lancement du Guide Michelin en 2016. Il ouvre Nouri en 2018. Seul maître à bord, c’est la consécration d’un cheminement pratique et philosophique dans lequel il travaille avec des producteurs de produits bios dans les Cameron Highlands (centre de la Malaisie) et localement.
Dans une shophouse convertie aux allures de lounge américain opulent mais non ostentatoire, la grande table d’hôte en granite massif se fond dans le plan de travail autour duquel œuvre la brigade de jeunes chefs. Convivialité naturelle et proximité immédiate avec la cuisine. Le reste du décor reste sobre. Toutefois, les matériaux choisis sont nobles (bois, pierre naturelle, poteries, luminaires design, service de table). L’ambiance est décontractée, c’est vivant. Et, plus indiqué pour une sortie entre amis que pour un dîner romantique eu égard au niveau sonore.
Un discours un peu (trop) alambiqué accompagne chaque plat. L’idée est de proposer un principe de ceviche originaire d’Amérique du sud par exemple et le traiter différemment, en l’associant à des saveurs et des techniques asiatiques et/ou africaines. On finit par avoir des assiettes tellement complexes avec tant d’ingrédients inconnus, à la consonance exotique et lointaine que l’on oublie de savourer le goût avec simplicité. C’est souvent plaisant en bouche, mais indéfinissable.
Déjeuner à la carte ou menu dégustation omakase, en fonction des ingrédients disponibles. Florilège non exhaustif de plats proposés : curry de légumes au curcuma et coco, jaune d’œuf façon chamallow dense, jambon Iberico, tamarillo (sorte de prune d’Amérique du Sud), émulsion d’uni (oursins), purée de moutarde chinoise, filet de mérou (grouper), poivron “brûlé” sauce salsa aux piments jalapeno et purée de sauge (Red vein sorrel puree). Dîners menus dégustation avec 5 ($145) ou 7 plats ($175). Associations vins ($90) ou sakés (95) proposées : c’est cher. Ivan Brehm a une conscience décomplexée de sa valeur.
Aperçu de l’esprit culinaire lors d’une visite automnale
Tige de riz sauvage, champignon japonais Makomotake cuit à la vapeur puis rôti, gratin de petit lait aux épices, chou fermenté. Curieux mélange d’épices et assiette assez monochrome.
Acarajé et Vatapà : boulettes frites de haricots, spécialité afro-brésilienne, sauce curcuma et coco, pain et crevettes salées Vatapà (curry de crevettes brésilien). Peu d’ingrédients ici mais saveurs assez « lourdes », puissantes, qui tapissent le palais en profondeur.
Marshmallow nasturtium(fleur comestible), oranges confites : contraste plaisant des textures pour supporter l’explosion relativement sucrée en bouche.
La moitié des ingrédients est inconnue au commun des mortels : opportunité idoine d’enrichir sa culture culinaire et expérience intéressante. L’ambiance décontractée et l’élégance contemporaine du mobilier et des services attirent la génération « bobo » internationale de Singapour.
NOURI – 72, Amoy Street – Singapour 069891 - MRT : Telok Ayer