La démarche pluridisciplinaire de Gilles Massot va au-delà des disciplines pour établir des liens entre des récits, des occurrences et des parties du monde. Installé à Singapour depuis 1981, son livre « Bintan, Phoenix of the Malay Archipelago » a profondément influencé son travail artistique, qui aborde souvent l'histoire et l'ethnologie tout en s'intéressant conceptuellement à la théorie de la photographie et au phénomène d'"enregistrement" initié par le médium révolutionnaire. Son projet de recherche et d'illustration le plus récent est centré sur Jules Itier et les premières photographies d'Asie réalisées dans les années 1840, tandis que ses recherches théoriques explorent les relations entre l'histoire de la photographie et celle de la mécanique quantique. Récipiendaire de la distinction de Chevalier des Arts et des Lettres, son travail a été présenté dans plus de 50 expositions en France et en Asie. Certaines de ses œuvres de la série "Coffee Shop" sont actuellement exposées à la Résidence de France.
Petit retour sur le parcours de Gilles Massot
Après avoir étudié l'architecture et la photographie à Marseille, Gilles Massot s'est installé à Singapour en 1981. Sa participation précoce à la scène artistique locale l'a vu s'impliquer dans une série d'événements artistiques fondamentaux, notamment les premières éditions du « Festival of Arts Fringe » et le « Festival Yin Yang » de 1987. Dans les années 1990, il a beaucoup voyagé à travers l'Asie et l'Europe, un mode de vie qui a donné lieu à plus de cinquante expositions et à un vaste ensemble de travaux éditoriaux publiés dans divers magazines en Asie et en Europe.
Avec le nouveau siècle, son attention s'est portée sur le monde universitaire et la recherche. Son livre « Bintan, Phoenix of the Malay Archipelago » (2003) a eu une profonde influence sur sa démarche artistique. Depuis lors, il traite souvent de l'histoire et de l'ethnologie sous la forme d'œuvres multimédias.
En 2006, il a obtenu un MA-FA traitant de l'apparition de l'idée photographique au XVIIIe siècle en relation avec la notion d'"image" telle qu'on la trouve dans le jardin anglais. Il a récemment terminé une recherche sur Jules Itier qui a réalisé les premiers daguerréotypes de la Chine, des Philippines, du Sri Lanka, de Singapour et du Viet Nam en 1844-45. Sous le nom de son alter ego Professeur Ma, il poursuit également une recherche sur les parallèles et les croisements entre les histoires respectives de la photographie et de la mécanique quantique.
Gilles Massot vit actuellement à Singapour où il enseigne à LASALLE - College of the Arts. Ses œuvres font partie du LTA Integrated Art Program (Buona Vista Station), du Singapore Art Museum et de la Maison Européenne de la Photographie à Paris, entre autres collections. Il a reçu la distinction culturelle française de Chevalier des Arts et des Lettres.
Gilles, pouvez-vous partager quelques souvenirs avec nos lecteurs?
Enfant, j'étais un danseur, vivant et respirant pour l'élégance du moment, porté par un flux constant de musique intérieure. Le destin a voulu que je sois déjà incapable de me restreindre à une boîte spécifique. Le garçon de six ans que j'étais n'a pas pu supporter la discipline de la barre et a donc fui la rigueur et les efforts nécessaires pour devenir un danseur. Mais l'envie d'expression qui m'habitait devait prendre vie. Mon mode d'expression s'est orienté vers les arts visuels, ce qui m'a conduit à l'architecture lorsque le moment est venu d'entrer à l'université. Les premières années multidisciplinaires se sont avérées très agréables, mais les choses sérieuses ont commencé en troisième année, et je me suis demandé si je voulais faire cela toute ma vie. C'est alors qu'une porte s'est ouverte sur le bord du chemin : la photographie. Elle m'a finalement conduit à Singapour où je suis arrivé en 1981. C'est là que la vie a vraiment commencé.
Peu après mon arrivée à Singapour, je suis retourné à la barre et j'ai fait ce que j'avais fui vingt ans plus tôt : J'ai appris le ballet. Par ailleurs, j'étais aussi venu en Asie pour travailler dans la publicité. Cela s'est avéré problématique pour diverses raisons. Enseigner le français était moins glamour, mais nettement plus significatif et agréable : cela me permettait de rencontrer des gens de tous horizons et de partager des connaissances. Comme je l'ai découvert plus tard, j'étais aussi un éducateur dans l'âme. Mais surtout, l'aventure audiovisuelle et événementielle de « Talking Eyes et Art of Parties » m'a permis d'être tout ce que je voulais être et même plus : un danseur, un peintre, un photographe, un chanteur, un conservateur, un décorateur, le tout dans un même lieu et avec un même groupe de personnes. Cela m'a appris que le travail collectif sur des projets artistiques peut aboutir à une actualisation significative de soi. Pendant trois ans, nous avons réveillé les nuits singapouriennes avec style, avec des couleurs, des lumières et de la musique, une bande sauvage et spontanée avec un programme idéaliste mais un sens effroyable des affaires.
L'effervescence des années 80 s'est terminée en beauté avec le « Fringe Festival » de 1988 et son ouverture, le spectacle communautaire « City Celebration », qui m'a permis d'utiliser TOUTE la ville comme une toile. À cette époque, j'avais également pris la route et j'avais déjà fait du travail éditorial un style de vie pendant trois bonnes années. L'Asie était mon terrain de jeu, Singapour ma base, la France mes intermèdes paradoxalement exotiques. Cette période de navette entre les mondes et les cultures m'a vu passer plus de dix ans sur la route. Au bout du compte, il y avait... Bintan. Avec le livre sur « Bintan », je suis entré dans le monde universitaire par la petite porte. J'avais peut-être rejeté la discipline dans mon enfance, mais le monde malais, fluide et fantasque, en avait besoin pour lui donner un sens. Et surtout, pour ÉCRIRE à son sujet. J'adorais ça. Comme par hasard, c'est à ce moment-là que la vocation d'éducateur m'a rattrapé. Je suppose que j'étais fait pour le monde universitaire.
J'ai rejoint LASALLE en tant que Chargé de cours à temps partiel, et on m'a rapidement proposé de faire un Master pour le devenir à temps plein. Cela m'a donné l'occasion de réaliser un rêve de longue date : un ouvrage sur le château du Marquis de Valbelle dans le village de ma mère. Les ruines de ce château avaient nourri mon imagination d'enfant. Je les ai transformées en un cadre mystique pour mon exploration de la naissance de la photographie au XVIIIe siècle. Réalité et fiction ont effondré leurs fonctions d'onde, et la théorie de la photographie est devenue un sujet déterminant de mon profil académique. Sans le demander, on m'a offert le cours d'histoire de la photographie à la toute nouvelle école d'art, de design et de médias de NTU. C'est alors que j'ai rencontré Jules, Jules Itier, et surtout l'un de ses daguerréotypes exposé au Musée national de Singapour. Ses photographies de 1844 étaient parmi les premières d'Asie. Seraient-elles tout simplement LES premières ? Ou du moins les premières existantes et datées ? Et c'est ce qui s'est passé au terme d'une recherche de cinq ans qui m'a ramené, par hasard, dans ma Provence natale et dans le village de mon père.
Finalement, je suppose que je pourrais me définir comme un artiste multidisciplinaire et un universitaire dont le travail repose sur l'idée du "Ma", l'espace entre les choses, le vide qui fait que ces choses existent en tant que telles. En me plaçant dans cet espace, je peux adopter diverses stratégies pour établir des connexions qui m'aident à déchiffrer les récits sous-jacents reliant les disciplines, les personnes, les événements et les parties du monde.
Depuis plus de trente ans, une bonne partie de mon travail est consacrée à la photographie et à la peinture et à leurs relations respectives avec le temps et l'espace. Et je suis maintenant profondément convaincu que le temps n'existe pas, seules les narrations existent et c'est pourquoi les mythes universels de l'antiquité sont si importants : ils nous disent qui nous sommes. Pour avoir une existence physique, les choses doivent se transformer, elles doivent aller d'un endroit à un autre, d'un état à un autre. C'est le voyage qui compte, pas la destination. C'est le récit inévitable de la transformation constante du monde qui induit l'illusion du temps, et non le temps qui induit le récit…
Pouvez-vous nous présenter en particulier votre série « Coffee Shop » dont certaines œuvres sont actuellement exposées à la Résidence de l’Ambassadeur de France à Singapour ?
La série Coffee Shop a été inspirée au début des annes 1990 par le Chye Hong Coffee shop de Bukit Timah, un lieu aujourd'hui disparu qui présentait un résumé intéressant de la société singapourienne : une famille chinoise, propriétaire du coffee shop, vendait des boissons, une famille malaise et un groupe d'hommes indiens servaient des plats cuisinés, tous vivaient et travaillaient harmonieusement sous le même toit.
L'univers à multiples facettes du café Chye Hong m’a poussé à utiliser une gamme variée de médiums et de techniques, du fusain à la photographie en noir et blanc, du pinceau chinois à l'huile et aux pastels.
Après la réalisation et l'achèvement des œuvres, il est apparu clairement qu'il existait quatre styles clairement distincts qui avaient évolué vers quatre personnalités distinctes, et qui faisaient appel à quatre personnages fictifs différents : Lu Ma Su, un peintre chinois à la brosse, Gila Masok, un artiste expressionniste, Jill Nasso, une photographe néo-zélandaise, et enfin Ma Geylang, un peintre naïf peranakan, un indéfinissable Douanier Rousseau singapourien.
Toutes les œuvres de la série "Coffee Shop", y compris celles actuellement exposées à la Résidence de France, sont à vendre. Au fil des années, ces œuvres sont devenues de véritables reliques dans lesquelles Gilles Massot a réussi à capturer l'âme de Singapour.
N'hésitez pas à contacter Marie-Pierre Mol, de la galerie Intersections pour acquérir une de ces œuvres. Contact: art@intersections.com.sg ; tel +65 97985611
Plus d'info: https://mailchi.mp/intersections/the-coffee-shop-series ou sur Artsy: https://www.artsy.net/intersections/artist/gilles-massot
Dans le cadre de l’anniversaire des 20 ans de lepetitjournal.com, l’édition de Singapour a souhaité donner la parole et mettre en lumière des Français et francophones résidant à Singapour depuis une vingtaine d’années.