Devant l’évolution exponentielle des pertes dues à des scams de tous types et la naïveté persistante de certaines victimes, une loi permettant au gouvernement de faire bloquer les comptes bancaires de victimes potentielles a été votée le mois dernier.
L’explosion des scams et de leurs conséquences financières
Entre 2019 et 2023, le nombre de cas de scams recensés est passé de 9500 à 46600. Les pertes connues ont aussi été multipliées par 5 atteignant 650 millions de dollars en 2023.
Pour combattre cette évolution, le gouvernement avait demandé aux banques de mettre en place des mécanismes de sauvegarde, notamment un dispositif permettant à un client de geler ses comptes immédiatement s’il suspecte une fraude (« kill-switch ») et un autre lui permettant de protéger une partie de ses avoirs de toute possibilité de transfert en ligne, même par lui-même (« money lock »).
Par ailleurs, la police singapourienne a mis en place un centre anti-scam, qui, en collaboration avec les quatre principales banques du pays, a permis de bloquer 5300 tentatives de scams dans les quatre derniers mois de 2023, évitant ainsi près de 70 millions de dollars de pertes financières. Utilisant des technologies avancées, ce centre peut détecter proactivement des scams potentiels et prévenir immédiatement les éventuelles victimes et leurs banques par SMS. Les banques ont aussi mis en place des équipes spécialisées à leur niveau et accru la sensibilisation de leur personnel à ce type de fraude.
Mais apparemment cela n’a pas suffi et les scams ont continué à prospérer, sachant que, dans 86% des cas, les pertes étaient consécutives à des transferts effectués par la victime elle-même. Pire encore, certaines victimes ont transféré des fonds aux scammeurs, parfois à plusieurs reprises, en dépit des avertissements de leurs banques, de la police, et de leur proches, qui étaient convaincus, preuve à l’appui, qu’il s’agissait d’un scam. Pour le premier semestre de 2024, on en est déjà à près de 27.000 cas pour plus de 385 millions de dollars de pertes.
La diversification des types de scams
Il faut dire que l’imagination des scammeurs est sans limite. A côté des classiques scams de « phishing », par lesquels la victime est amené à révéler ses données personnelles (identité, numéro de carte bancaire, mot de passe, …), qui permettent ensuite aux scammeurs de siphonner leurs comptes, quatre autres types de scams se sont développés ces dernières années.
Le scam aux emplois commence par des offres d’emploi, facile (depuis chez soi) et lucratif (paiement à la commission). Au début tout se passe bien : la victime reçoit effectivement les commissions promises. Puis un jour, on lui propose d’améliorer ses revenus en contribuant aux finances de la société avec un apport supérieur aux gains déjà réalisés. Si la victime tombe dans le piège, l’ « employeur » disparait du paysage.
Le scam aux achats en ligne est encore plus simple. Des offres très avantageuse sont proposées sur des sites internet. Une fois le paiement fait, le vendeur disparait.
Le scam aux investissements est aussi populaire. On promet à la victime un rendement mirifique. Si elle doute, on leur propose un premier versement modeste qui donne effectivement lieu à la rétribution promise. Une fois la victime convaincue, elle va investir davantage, pour son grand malheur.
Le scam amical ou amoureux est sans doute le plus subtil. Vous êtes contacté par une personne qui prétend être un de vos amis ou de vos admirateurs et qui vous demande de l’aider à surmonter une difficulté financière. Une fois le transfert effectué, la « relation » disparait.
La naïveté des victimes face au pouvoir manipulateur des scammeurs
Le succès des scammeurs résulte de leur capacité à convaincre leurs victimes de leur discours. Paradoxalement, ce ne sont pas les personnes âgées qui sont les plus vulnérables, mais les générations qui ont aujourd’hui entre 20 et 40 ans, les « digital natives ». La puissance manipulatrice des scammeurs va bien au-delà d’amener les victimes à leur transférer des fonds : dans certains cas, les victimes sont tellement conditionnées qu’elles dénient toutes les tentatives de leur entourage pour leur prouver qu’il s’agit d’un scam.
Par exemple, il y a quelques mois, des officiers de la banque OCBC et du centre antiscam de la police ont contacté cinq fois en trois jours une jeune femme de trente ans suite à une demande de transfert inhabituelle de 20.000 $ vers une banque à l’étranger, car ils soupçonnaient un scam. Elle leur a toujours assuré qu’il s’agissait d’un prêt à un ami et non d’un scam. Devant son attitude, la banque a finalement laissé la transaction passer. Deux mois plus tard, la jeune femme a finalement reconnu s’être fait avoir et a déposé une plainte. Elle avait entre temps perdu toutes ses économies (330.000 $), et elle avait même demandé des prêts pour satisfaire aux demandes des scammeurs.
Autre exemple encore plus tragique, cette retraitée de 67 ans reçoit un appel alors qu’elle visite sa famille en Chine. Un prétendu officier de police lui indique qu’elle pourrait être impliquée dans une affaire de blanchiment d’argent. Celui-ci lui indique que pour vérifier si cet argent est propre, elle devait transférer des sommes vers des comptes indiques par son interlocuteur. Craignant d’être impliquée, elle s’exécute, sans en parler à quiconque et malgré les avertissements de ses proches qui pressentaient le scam. Aux agents de la banque, alarmés par ces transferts, elle répondait que c’était pour acheter des montres ou appartement. Au total, elle a transféré plus d’un million de dollars en plusieurs fois !
Une loi permettant à la police de demander aux banques de restreindre l’activité bancaire d’un client
Dans ce contexte, le gouvernement a fait voter le mois dernier une loi permettant de protéger les victimes potentielles en restreignant les opérations qu’elles peuvent faire sur leurs comptes. Dans le cas où il y a une forte présomption de tentative de scam et que la victime résiste aux avertissements de la police ou de sa banque, la police peut ordonner à sa banque de restreindre ses opérations pour une durée maximum de 30 jours renouvelables 5 fois. Cela concerne les retraits aux distributeurs, les transferts, et les demandes de crédit. Seul le paiement des dépenses courantes est alors autorisé.
Cette loi, difficilement imaginable en France, a aussi été largement débattue à Singapour. Mais, en fin de compte, le souci de protéger une population insuffisamment immunisée a prévalu. Il faut aussi considérer que le scam peut avoir un impact au-delà de la victime elle-même : ses proches, voire la société en général, ne peuvent souvent rester indifférents à sa misère et sont amenés à compenser d’une manière ou d’une autre une partie des pertes.
Les six commandements du combattant antiscam
Les Européens que nous sommes peuvent sourire à la lecture de nombreux cas de scam à Singapour : comment ont-ils pu croire à une telle histoire ?
Mais attention, personne n’est à l’abri ! Les scammeurs ont l’art de faire appel à vos émotions, et une fois celles-ci déclenchées, elles peuvent totalement inhiber vos facultés de raisonnement et vous amener à faire des choses que vous n’imagineriez pas.
Alors voici six conseils de bon sens pour limiter les dégâts :
Ne communiquez jamais vos coordonnées bancaires (numéros de comptes ou de cartes, mots de passe) ou personnelles (identité et numéros associes, comme le Singpass) suite à des messages ou de appels non sollicités. Même la banque ne vous demandera jamais cela : au plus, elle vous demandera des bribes d’information pour vous identifier si vous les appeler.
Faites attention aux informations personnelles que vous affichez dans vos réseaux sociaux. C’est une mine d’information que les scammeurs pourront utiliser pour arriver à leurs fins.
Méfiez vous des offres trop alléchantes. Qu’il s’agisse d’offre d’emplois, de produits, d’investissements, ou d’affection, c’est la plupart du temps trop beau pour être vrai.
N’hésitez pas à vérifier l’origine et la véracité des informations que vous recevez, en contactant l’interlocuteur ou en enquêtant par un autre canal. Mieux vaut prévenir que guérir !
Si quelque chose vous parait bizarre, parlez-en à vos proches ou contactez l’antiscam hot line gratuite (1800-722-6688). Une autre tête pensante vous aidera à y voir plus clair avec une approche plus rationnelle.
Enfin, si le dommage a déjà été fait, faites-en part le plus vite possible à vos proches, a votre banque, voire à la police. N’ayez pas honte, car encore une fois, vous n’êtes pas le seul ou la seule, et vous pourrez ainsi peut-être limiter les dégâts en ce qui vous concerne et éviter que d’autres tombent dans le même piège.