Une délégation de sénateurs du groupe interparlementaire d'amitié France - Asie du Sud-Est, conduite par Mathieu Darnaud, Président, et composée de Philippe Mouiller, Président délégué pour Singapour, et de Gisèle Jourda, Catherine Belrhiti et François Bonhomme, s'est rendue à Singapour du 13 au 15 mai. Lors d’un entretien exclusif avec lepetitjournal.com, en présence de l’ancienne sénatrice Jacky Deromedi, les sénateurs ont évoqué leurs échanges au Parlement et au Ministère des Affaires étrangères de Singapour, ainsi que le rôle des groupes d’amitié dans la diplomatie parlementaire.
La diplomatie parlementaire se bâtit pas à pas. Le rôle des sénateurs, dans le cadre des groupes d'amitié, est de contribuer, à leur niveau, à tisser des liens avec les dirigeants des pays concernés. Ils le font, notamment lors des missions, au cours desquelles ils rencontrent aussi bien les responsables politiques, que des représentants du monde économique et culturel et des membres de la communauté française locale. Leur rôle est de faciliter les relations et de promouvoir les entreprises françaises et les savoir-faire de notre pays. Les sujets de politique étrangère peuvent être également évoqués mais toujours en cohérence ou en appui de la diplomatie gouvernementale.
Le groupe interparlementaire d'amitié avec l'Asie du Sud-Est couvre au total 7 pays : Singapour, les Philippines, la Malaisie, la Thaïlande, le Bangladesh, Brunei et la Birmanie.
Quelle a été la teneur de vos rencontres à Singapour et les différents sujets évoqués avec vos interlocuteurs ?
Mathieu Darnaud, Sénateur Les Républicains de l’Ardèche, Président du groupe interparlementaire d’amitié France - Asie du Sud-Est : Durant notre séjour, nous avons tout d’abord échangé à notre arrivée avec l’Ambassadeur de France Marc Abensour, pour faire un point de situation général. Puis nous avons rencontré au Parlement de Singapour Mme Cheryl Chan, vice-présidente du groupe parlementaire régional Europe et M. Don Wee Boon Hong, membre du groupe parlementaire régional Europe. Nous nous sommes également entretenus avec Mme Sim Ann, Secrétaire d’Etat senior auprès du ministère des Affaires étrangères et du ministère du Développement national de Singapour. Nous avons par ailleurs échangé avec le Proviseur et le Président du Conseil d’administration du Lycée français international de Singapour. C’est la raison d’être des groupes d’amitié interparlementaires : nourrir, renforcer le lien interparlementaire, intégrer dans nos programmes des échanges avec les assemblées des autres pays, lorsque cela est possible.
Ces rencontres fructueuses nous ont permis d’évoquer les liens forts qui unissent la France et Singapour et nos nombreuses coopérations dans les domaines de la défense, de l'éducation et de l'économie, et notamment le récent et innovant « Partenariat numérique et vert », signé en mars 2022 par les ministres S. Iswaran et Franck Riester. Sur la question de l’agroalimentaire, les Singapouriens s’étant fixé pour objectif de produire 30 % de leur alimentation à l’horizon 2030, il était intéressant d’explorer la possibilité de renforcer notre coopération et de nouer de nouveaux partenariats avec la France qui a une véritable tradition agricole.
Lors de notre entretien avec l’Ambassadeur de France, nous avons aussi abordé de façon pragmatique des sujets très concrets, tels que la question des visas et des titres de séjour. Nos liens interparlementaires nous permettent d’échanger sur des sujets géopolitiques, mais nous sommes là également pour faire œuvre utile, pour faire avancer ou pour donner de la résonance à des sujets déjà soulevés par l’ambassade ou lors des visites ministérielles, afin d’aider les ressortissants français qui vivent à Singapour, ou ceux qui aspirent à y vivre.
Avez-vous évoqué les restrictions sanitaires et les conséquences économiques de la pandémie avec vos interlocuteurs ? Quel est votre sentiment ?
Mathieu Darnaud : sur ces sujets, notre collègue Jacky Deromedi a fait un travail remarquable à la tête du groupe d’amitié France-Asie du Sud-Est. En mars 2020, notre groupe avait auditionné l’Ambassadeur de Singapour à Paris, Son Exc. Zaynal Arif Mantaha, à propos de la situation de Singapour au début de l’épidémie de coronavirus. Peu de pays peuvent se prévaloir d’avoir eu une action et une anticipation équivalentes à celles de Singapour, que ce soit au niveau de la commande des vaccins, de l’organisation de la communauté scientifique et médicale. Ce qui fait la singularité de Singapour, c’est de disposer de ressources humaines, d’outils en matière de biologie et de recherche, et d’un dispositif sanitaire, qui ont fait preuve d’une réelle efficience pendant la crise sanitaire. Il y a eu aussi une réelle anticipation, en tirant les leçons du SARS en Asie qui a permis de préparer les esprits et de faire toute la différence avec ce qu’on a pu connaître en Europe et chez nous en France.
On sent bien qu’il y a une sensibilité toute particulière en Asie, notamment sur l’utilisation des masques ; il y a aussi une culture au niveau de la distanciation et des mesures sanitaires, que l’on n’avait pas du tout initialement en France. On a vu les errements chez nous : est-ce que le masque est nécessaire ? Est-il contre productif ? Comment gérer l’approvisionnement des masques et des vaccins ? Ce qui nous a conduits à nous interroger sur l’efficacité de notre système de santé et la mise en place des centres de vaccination.
Jacky Deromedi, ancienne Sénatrice LR des Français établis hors de France, ancienne Présidente du groupe d’amitié France Asie du Sud Est : les Singapouriens étaient beaucoup mieux préparés, car ici même lorsqu’on a une simple grippe, on porte le masque. Et Singapour est très proche géographiquement des fournisseurs de masques, avec une facilité d’approvisionnement. On connaît l’efficacité de Singapour dans tous les domaines ; ils sont très réactifs, très organisés.
Pour quelles raisons avez-vous été amenés à rejoindre ce groupe d’amitié France Asie du Sud Est ?
Mathieu Darnaud : Quand j’ai intégré la commission des lois du Sénat, je me suis très rapidement intéressé aux questions ultra-marines. Et lorsque l’on s’intéresse à l’Outre-mer, à la Nouvelle Calédonie et à la Polynésie française, la stratégie indopacifique est inévitablement abordée ; ce qui m’a conduit à m’intéresser aux pays de l’Asie du Sud-Est. Il y a des similitudes. On parle de la Nouvelle Calédonie, aujourd’hui c’est un bout de France dans l’océan pacifique, qui permet aux Européens que nous sommes de voir que le tropisme dont on souffre, nous éloigne parfois de la réalité géopolitique. Cette réalité nous révèle que le centre du monde est ici. Il faut le dire, il n’est plus seulement en Europe, car les grandes puissances sont là.
Philippe Mouiller, Sénateur LR des Deux-Sèvres, Président délégué pour Singapour : Après le départ de Jacky Deromedi, Mathieu Darnaud était le plus motivé pour reprendre la présidence du groupe. Pour ma part, j’ai souhaité prendre la suite pour Singapour. Je suis venu plusieurs fois à Singapour, avec une connaissance d’un certain nombre de sujets sur les relations économiques, sur la dimension sociale comme le handicap. Lors des visites, il y a aussi beaucoup d’échanges de cartes de visite. Et à un moment donné, on est sollicité parce que tel député, ou tel chef d’entreprise croisé à l’étranger, est à Paris et on continue ainsi à créer le lien. A chaque visite, on invite nos interlocuteurs à venir nous rendre visite au Sénat. L’avantage d’avoir toujours le contact avec Jacky, c’est que l’on peut à tout moment la solliciter pour un conseil : cela a facilité la transition…
Mathieu Darnaud : J’ajouterais deux éléments qui me paraissent fondamentaux par rapport à ce que vient de dire Philippe Mouiller. N’oublions jamais que le Sénat est la chambre qui représente les territoires. Les territoires, ce ne sont pas seulement les territoires métropolitains, c’est aussi la France de l’Outre-Mer et c’est la France des Français établis hors de France. Pour moi c’est fondamental. Et le second sujet, et je le dis avec une certaine liberté de ton, ce n’est pas parce que l’on est élu comme moi Sénateur en Ardèche, Philippe Mouiller dans les Deux Sèvres, Catherine Belrhiti en Moselle,… que l’on doit se détourner de ces questions. Au contraire, on a l’ardente obligation de regarder ce qui se passe ailleurs. En fait, dans le travail législatif, il y a tout un pan qui concerne tous les sujets que l’on vient d’évoquer : les accords de libre-échange, les conventions,… Les groupes d’amitié sont des lieux privilégiés pour faire partager la réalité de ce que vivent nos compatriotes du bout du monde, avec des enjeux majeurs pour la France de demain…