Envie de revoir et d’écouter Françoise Sagan ? Disparue en 2004, celle qui restera pour toujours, dans l’esprit du public, la jeune auteure, bourrée de talent, de Bonjour tristesse et de tant d’autres livres, fausse dilettante au phrasé impatient, accro aux voitures de sport, élégante, diserte et subtile, sera à Singapour le 3 juin, au théâtre de l’Alliance française. Perruque blonde, décor restreint et lumière tamisée, Caroline Loeb, chanteuse, comédienne, auteure et metteur en scène lui prête son corps et sa voix, dans une interprétation toute en intériorité qui offre au public de précieux et délicieux moments de conversation intime.
« Si tout était à recommencer, je recommencerais bien sûr, en évitant quelques broutilles : les accidents de voiture, les séjours à l’hôpital, les chagrins d’amour. Mais je ne renie rien. »
« Je ne renie rien - Entretiens 1955-1992 », par Françoise Sagan.
Lepetitjournal.com: Comment est né ce spectacle ?
Caroline Loeb - On m’a offert un jour ce recueil d’entretiens de Françoise Sagan qui couvre une période allant de 1955 à 1992. J’ai été subjuguée. J’aimais bien le personnage Sagan, celle qu’on voyait à Apostrophes. J’aimais bien sa marionnette des Guignols et j’avais vu l’interview de Desproges. Ce qui était saisissant avec le texte de ces interviews, c’était l’intelligence, la drôlerie, la finesse. C’est un coup de foudre qui m’est tombé dessus sans que je m’y attende. Elle a un côté rock, une liberté particulière.
De quoi parle Françoise Sagan?
Elle parle de beaucoup de choses. Elle parle essentiellement d’écriture, d’amour, de la mort. Ce n’est pas Sagan par la petite lorgnette. Dans ces entretiens, elle parle de son enfance qui explique son amour absolu de la littérature. Françoise Sagan lisait énormément. Sa libraire dit qu'elle lisait aussi vite qu’elle parlait, qu’elle venait dans sa librairie et qu’elle repartait avec des sacs de livres. Françoise Sagan voit au-delà des masques, au-delà des apparences. Elle raconte le choc qu’a représenté pour elle le fait de voir une femme tondue, la réaction outragée de sa mère devant la violence et la cruauté dont cette femme était victime et comment cette expérience lui a fait réaliser que le bien et le mal n’étaient pas des notions aussi simples qu’elle le pensait. Elle parle très bien de son rapport à l’argent. Elle dit aussi des choses très intéressantes sur la télévision, sur la sexualité... Elle dit qu’on parle trop de sexualité. On vit dans un monde avec beaucoup de vulgarité et d’obscénité. Elle dit aussi que la société vole le temps des gens. Que dirait-elle aujourd’hui !
Comment le spectacle s’est-il construit ?
D’abord il a fallu écrire le texte. J’ai commencé par supprimer tout ce qui m’intéressait le moins. Je n’ai pas voulu organiser les choses par thèmes : l’amour, la mort… Tous ces éléments viennent et reviennent comme ils le font dans une conversation intime. Il n’y a pas de fil rouge, pas de dramaturgie. C’était un pari assez gonflé. Avec Alex Lutz, on a travaillé sur l’apparence du personnage. La vérité est que les gens sont tout de suite happés par cette femme qui parle, qui a des fulgurances. J’avance d’un moment à l’autre de cette conversation intime, comme un funambule sur un fil tendu.
Comme dans votre précédent spectacle Georges Sand, c’est Alex Lutz qui a réalisé la mise en scène. Comment avez-vous travaillé ?
Avec Alex Lutz, on se connaît bien. Il y a une complicité très forte. Il a tout de suite eu la vision de la perruque et du costume. On avait les mêmes envies d’organiser le trajet de cette femme du bar au tabouret ou par terre. À certains moments, il a eu l’intuition de me faire interpréter Sagan accroupie à côté du bar. L’étonnant, c'est que beaucoup de gens qui l’ont connue ont considéré que cette posture était d’une vérité saisissante pour représenter ce qu’elle était. C’est une connexion de l’intérieur.
Vous n’avez pas repris le phrasé de Françoise Sagan
Je n’ai pas voulu l’imiter. En même temps, Alex m’a demandé de prendre une voix de tête, un peu plus haut perchée, plus fragile. Ce qui est remarquable, c’est la beauté du texte. La langue, la pensée est extrêmement précise. Il n’y a pas un mot à la place d’un autre. En même temps, c’est très simple. C’est une pensée très élégante.
Tous les publics sont-ils réceptifs ?
Les textes et le personnage de Françoise Sagan parlent à tous les publics. Bien sûr cela touche beaucoup les femmes qui se retrouvent dans ce qu’elle écrit, mais cela touche aussi les hommes. Un spectateur me confiait un jour qu’il avait le sentiment que Françoise, par Sagan n’avait parlé que de lui ; et de préciser : « sauf le jeu ». C’est attendrissant, car cette précision montre qu’à 99 %, il avait le sentiment que tout ce que disait Sagan le concernait. Sagan a une façon d’être extrêmement personnelle qui fait qu’elle touche à l’universel.
Au fil des représentations, on imagine que se noue une relation particulière entre le personnage de Françoise Sagan et son interprète
C’est d’autant plus vrai que l’aventure du spectacle se poursuit aujourd’hui avec des chansons que j’ai tirées de ces textes et la sortie d’un album Comme Sagan en février dernier. Ce long compagnonnage avec Françoise Sagan est une manière de mettre en vue des choses importantes pour moi, profondes. C’est une rencontre, comme avec une frangine. Elle n’est pas dans la séduction. Tout ce qu’elle dit est juste. Grâce à elle, j’ai fait des progrès.
Aviez-vous eu le même type de complicité avec Georges Sand ?
Avec Georges Sand ça n’a rien à voir. C’était une plongée dans le XIXème siècle très documentée. Il y avait des chansons. C’était un patchwork de genres différents. Sagan, c’est vraiment elle.
Avez-vous des projets pour la suite ?
Je suis dans la préparation d’un prochain spectacle autour des chansons de Françoise Sagan. Bye Bye tristesse sera représenté au prochain festival d’Avignon.
« Françoise, par Sagan », à l’Alliance française, le 3 juin 2019
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