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URBANFORK – « Sans bifurcation, il n’y aurait pas de sens »

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Écrit par Bertrand Fouquoire
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 28 avril 2017

La citation est de Michel Serres. Elle est au c?ur de ce qui a inspiré Philippe Diversy, d'abord seul, puis en collaboration, à Singapour, avec Bob Lee, à détourner les photographies de bâtiments des années 60 à la fin des années 80 pour changer le regard qu'on porte sur un patrimoine architectural souvent familier, parfois mal aimé, dans certains cas en grand danger de disparaître. Urbanfork fait l'objet du 4 mai au 28 juin d'une nouvelle exposition à l'URA (Urban Redevelopment Authority) dans le cadre du festival Voilah !. A ne pas manquer.

La cartographie mentale du citadin a ceci de particulier que les itinéraires qui s'y déploient ? « le champ des possibles »- sont bornés par des clôtures immatérielles. Des barres de bâtiments, des rues, des routes « périphériques » semblent délimiter objectivement l'ensemble des chemins empruntables. Mais c'est oublier que l'imaginaire des villes est saturé d'images. A Paris, la tyrannie de l'architecture légitimement belle, le Panthéon, les immeubles Haussmanniens, ces constructions qui appartiennent au « patrimoine » de la ville. A Singapour, la mise en valeur de cette architecture, de la prouesse technique, des formes fluides et des reflets lumineux. Dans ces deux villes, le touriste comme l'autochtone emprunte tel chemin plutôt que tel autre, parce qu'il aura plus de chance d'y faire l'expérience de l'agréable, du beau. A contrario, certains passages sont évités, ou alors ils sont « obligés ». Ils jurent avec l'esprit de la ville. Du béton. Encore du béton. Rien qui ne mérite notre attention. Alors on emprunte constamment le même itinéraire, notre regard s'intéresse toujours aux mêmes bâtiments. Paris et le désert français. On pourrait aussi bien dire le centre artistique et le désert périphérique.

Changement. Virage. Transformation. Urbanfork est tout cela à la fois. Le travail de Philippe Diversy et de Bob Lee se présente comme une ballade faisant émerger les limites de notre psychogéographie. L'errance proposée par ces retrouvailles avec les bâtiments des années 70 de Paris et de Singapour et avec Ieoh Ming Pei, avec Claude Parent, avec Serge Lama ou encore avec William Lim procède d'un double mouvement de métamorphose.

 ?Métamorphose de l'apparence des bâtiments.

L'exposition Urbanfork 2017

Imaginé en 2012 par Philippe Diversy, d'abord dans le contexte strictement parisien, le concept d'Urbanfork consiste à détourner des photos de bâtiments des années 60 à la fin des années 80. Le détournement est virtueL. Il consiste à remplacer les publicités lumineuses ou bien à utiliser les toits et façades pour « rendre les bâtiments à leurs architectes ». Poursuivi en 2015 à Singapour, le projet Urbanfork a donné lieu à une très fructueuse collaboration avec le photographe Bob Lee.

L'exposition Urbanfork organisée, du 4 mai au 28 juin à l'URA (Urban Redevelopment Authority), dans le cadre du festival Voilah ! présente 24 photographies de bâtiments, parmi lesquelles plusieurs photographies inédites, qui mettent en miroir un certain patrimoine architectural à Paris et à Singapour.

Détails de l'exposition dans l'agenda

Le catalogue de l'exposition Urbanfork fait l'objet d'un cahier spécial dans le numéro 9 du magazine Singapour, disponible gratuitement à l'URA pendant toute la durée de l'exposition en plus des autres lieux de distribution du magazine.

Notre regard usuel condamne ces bâtiments ? ils sont laids, ils ont « mal vieilli ». Pour porter un regard neuf sur ces constructions, la première étape est de les dépouiller de leurs oripeaux utilitaires. Ici, il n'y a pas simplement une pub pour L'Oréal. Là, ce n'est pas juste un centre commercial. A l'origine, il y a une pensée, une création. Car ce n'est pas seulement nous ? consommateurs ? que la publicité aliène : les bâtiments sont eux aussi aliénés. Ils sont comme réduits au mutisme par la pauvreté d'un message publicitaire éclairé au néon. Ils perdent tout leur potentiel fantasmatique.

En redonnant ? virtuellement- la paroles aux architectes, ces bâtiments peuvent de nouveau nous raconter leur histoire. Histoire de dire : «  on n'assigne pas un architecte à résidence ! » « Libérez le béton des préjugés ! » (ou « laisse béton les préjugés ! »).

Métamorphose de la perception.

Que l'on ne s'y trompe pas. Ce retour à l'artisan n'a rien d'une réduction d'une multiplicité d'évocations à leur substance unique. Au contraire, cette métamorphose urbaine entrouvre à la fois notre regard sur la ville et des brèches existentielles dans les bâtiments retravaillés. Michel Serres dit : « Le changement de sens, aussi petit soit-il, introduit le sens ? Et sans bifurcation, il n'y aurait pas de sens ». L'inscription des noms sur ces immeubles leur rend leur relief et exacerbe notre rapport sensitif à ce paysage déshumanisé.

Des possibles, des désirs émergent dans ces espaces urbains ultra rationalisés. Il y a quelque chose dans ce projet du « rap de bâtiment ». A la manière d'un 2zer Washington qui « représente » ses errances de quartier en ces termes « A chaque porte de Paris, j'ai une concubine (?), UrbanFork libère les flux de désirs dans ces ?uvres ignorées. Alors que l'on voyait des murs, on discerne des passages, des habitats. Il y a de la vie dans le People's park complex, de l'humanité dans ces grands immeubles Porte de Clignancourt. Philippe Diversy, par sa cartographie d'une dérive urbaine rappe les années 70 en s'ancrant dans le paysage de 2015.

Zoé Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) mercredi 3 mai 2017

Reprise d'un texte édité dans le catalogue de la 1ere exposition Urbanfork à Paris, en 2015, dans le cadre du festival de Singapour en France. En 2017, Zoé a collaboré avec Philippe Diversy pour la réalisation des dernières photos parisiennes de l'exposition.

L'exposition UrbanFork, organisée avec le soutien de l'URA et de l'Institut Français dans le cadre du festival Voilah ! est supportée par lepetitjournal.com/singapour
 

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