Voici l'un des arts populaires parmi les plus anciens de Chine... et du monde ! Le théâtre d'ombres chinois "pi ying" 皮影 est à l'origine de l'ensemble des pratiques de marionnettes connues et malgré la difficulté d'assister à un spectacle professionnel, il mérite toute notre attention. L'expression "ombres chinoises" est d'ailleurs passé dans le langage courant pour désigner le théâtre d'ombres !
Une origine millénaire
La légende raconte que l'empereur Wu de la dynastie Han ne se remettait pas de la mort de sa concubine Li. Un jour, un homme lui assura qu'il pouvait invoquer son fantôme. La nuit qui suivit, il manipula une marionnette à son image à l'aide d'une bougie de façon à ce qu'elle apparaisse sur les rideaux de l'empereur... Et voilà la première marionnette créée !
Née en Inde et en Chine dans l'Antiquité, cette forme particulière de théâtre de marionnettes, où des figurines plates ciselées sont éclairées et leur ombre projetée sur un écran de toile blanche, est probablement la forme la plus ancienne du théâtre de marionnettes.
Cet art connaît un premier âge sous la dynastie Song, avec la capitale Kaifeng comme épicentre culturel de diffusion. Avec les invasions mongoles, des artistes et artisans furent capturés et leur art migra alors vers le nord tandis que dans le même temps, les fuyards l'emportait avec eux dans le Sud de la Chine. Ces migrations artistiques prirent racines dans leur lieux d'accueil, engendrant des variantes thématiques et esthétiques dans toute la Chine, à Taiwan, puis l'ensemble de l'Asie, Japon, Corée, Cambodge, Indonésie... Jusqu'en Occident par le Proche-Orient !
Chaque pratique régionale a absorbé les légendes et contes folkloriques locaux, les interprétant en dialecte local et utilisant le fond de chants et mélodies régionaux.
Des spectacles au coeur de la vie sociale chinoise
Les spectacles de marionnettes étaient liés aux rituels religieux cérémonies votives, naissances, mariages ou funérailles. Ils devinrent rapidement une forme particulièrement séduisante de divertissement populaire, mettant en scène aussi bien de grands poèmes épiques que des satires sociales ou grivoises, reflétant la vie et les vicissitudes du quotidien. Le répertoire thématique permettait également de diffuser l’histoire culturelle, les croyances sociales, les traditions orales et les coutumes locales tout en divertissant la communauté, en particulier les plus jeunes.
Les troupes étant itinérantes, le castelet ou la scène étaient le plus souvent temporaires et démontables rapidement. Il existe cependant dans le Shanxi, des vestiges de petit théâtre en pierre, témoignant de l'importance des spectacles d'ombres chinoises dans la vie des villages.
Une pièce de théâtre d’ombres est jouée par des troupes de sept à neuf artistes ainsi que par des troupes plus petites de deux à cinq personnes,. Certains marionnettistes étaient des professionnels, tandis que d’autres étaient amateurs, se produisant pendant les saisons de ralentissement des activités agricoles.
Jeu d'ombres et de lumière
Le théâtre d'ombres chinois est un théâtre pratique, commode et transportable. Il s'agit d'un spectacle d'art total car il fait intervenir à la fois la projection de silhouettes graphiquement stylisées, leur manipulation simulant une impression d'animation visuelle, la musique, la déclamation et le chant. Ce théâtre de la suggestion, liant magiquement ombre et lumière, entraîne le spectateur dans une dimension onirique.
La marionnette chinoise traditionnelle est une figurine à tige, articulée, délicatement découpée et ajourée sur toute sa surface. Elle est en peau translucide, rigide, enduite d'huile de sophora, laquée et finement colorée. Il s'agit le plus souvent de cuir d'âne, mais également vache, mouton, cheval ou même chameau. La préparation du cuir permet une longue conservation de la marionnette, certaines pendant des siècles, et malgré des milliers de représentations et répétitions ! Un set complet est composé de 100 à 200 corps différents, de plusieurs centaines de têtes, et de nombreux décors scéniques et éléments décoratifs.
Le corps de chaque figure est divisé en plusieurs parties indépendantes et donc mobiles : tête, haut du corps, bas du corps, bras, jambes, mains et pieds. Plus le personnages a des scènes complexes, un général combattant ou une guerrière par exemple, plus la marionnette sera articulées pour les effectuer. A l'inverse, certains personnages officiels ou mandarins n'auront qu'un bras mobile...
Un art populaire d'une grande technicité
Il faut huit année minimum d'apprentissage avec un maître pour maîtriser la globalité de savoir-faire que demande cet art. Tout d'abord, la création d'une seule marionnette peut prendre des semaines : tanner le cuir en une couche translucide, sculpter le personnage avec les techniques du papier découpé et ses milliers de coupes minuscules, puis peindre à la main l'œuvre terminée. Il faut donc plusieurs années de travail pour créer un petit set de marionnettes d'une trentaine de personnages.
La manipulation de la marionnette d'ombres demande une grande compétence. Les performances sont trompeusement minimalistes : un écran blanc, une source de lumière et les marionnettes. Mais la technicité de la manipulation est par essence invisible pour le spectateur afin que la magie de la représentation opère ! Il faut un long et patient apprentissage pour manipuler, interpréter, chanter et jouer des instruments de musiques nécessaires au spectacle.
Parmi les artistes chinois d’âge avancé, beaucoup sont capables de représenter des douzaines de pièces traditionnelles qui sont transmises oralement depuis des générations. Ils maîtrisent des techniques particulières telles que le chant improvisé, la voix de fausset, la manipulation simultanée de plusieurs marionnettes et la capacité de jouer de divers instruments de musique.
Des légendes rurales à l'opéra classique
Progressivement les pièces traditionnelles narrant les légendes régionales vont s'enrichir du répertoire de l'opéra classique et créer ainsi une grande variété de thématiques : épisodes des "Trois Royaumes", du "Voyage en Occident", d'"Au bord de l'eau", du "Rêve dans le pavillon rouge", des légendes bouddhistes ou taoïstes,...
Le succès de cet art à la fois populaire et littéraire atteindra son apogée à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, à l'image de l'âge d'or de l'opéra chinois. A partir de la seconde moitié du XXème siècle, les troupes proposeront également des pièces modernisées avec des péripéties imprégnés de faits historiques de la République populaire de Chine et mettant en scène des héros et héroïnes maoïstes.
Un univers graphique très codifié
L'esthétique globale est en cohérence avec l'art pictural des temples traditionnels ainsi que les costumes et maquillages sophistiqués des différents opéras chinois. Les types de personnages sont classées en catégories similaires à celles de l'opéra, leur rôle et style graphique en découlent :
- "sheng" : homme
- "dan" : femme
- "jing" : généraux et personnages illustres au visage peint
- "chou" : clown/bouffon
- "divinités et esprits" : visages monstrueux ou animal
Les tenues de ces différentes catégories sont également différenciables : armure, manteau, 'mang' (la robe des empereurs et princes), chaussures selon le genre,... Les différentes coiffures et ornementations ajoutent une nuance sur le statut social du personnage : vieille paysanne, princesse, moine, ministre,...
La multiplicité des accessoires permettent de camper tous les décors possibles mais également des scènes d'acrobaties, de combats, de danses du lion, de courses de chevaux, ainsi que des moyens de transport comme les calèches ou les bateaux.
Un savoir-faire en voie d'extinction ?
Malgré la fin de la Révolution culturelle et sa volonté de détruire les arts traditionnels, le désintérêt pour cette forme d'art populaire progresse au fil des décennies du XXème siècle. La situation en devient même dramatique... De plusieurs milliers de troupes dans toute la Chine à la fin du XIXème siècle, nous passons à quelques centaines dans les années 70. Les savoir-faire artisanaux ne sont plus transmis aux nouvelles générations, les marionnettes traditionnelles ont hélas quasiment disparu.
Cependant, à partir des années 80, quelques collectionneurs passionnés s'échinent à maintenir tant bien que mal un fond de connaissances et de pratiques. Un regain d'intérêt pour cet art se développe depuis les années 2000, souvent poussé par la curiosité des touristes étrangers, puis suivi timidement par une jeune génération chinoise cultivée souhaitant retrouver la culture chinoise ancienne malmenée par le XXème siècle. Les institutions qui jusqu'alors se montraient globalement indifférentes, commencent à prendre les choses en main et améliorent doucement la situation, surtout depuis la reconnaissance par l'Unesco en 2011, du théâtre d'ombres chinois comme patrimoine culturel immatériel de l'humanité.
Il ne reste aujourd'hui qu'une dizaine troupes professionnelles en Chine, la plupart des derniers artistes ont aujourd'hui dépassé les 70 ans et il leur est très difficile de trouver des apprentis. Cela s'explique par le décalage entre cet art ancestral et la vie moderne chinoise mais aussi par le difficile maintien de la motivation nécessaire à ces longues années d'études, la complexité des domaines à maitriser (création des marionnettes, manipulation, chants, musiques, connaissances du répertoire,..) ainsi que la dure réalité financière des artistes.
Où voir du théâtre d'ombres chinoises aujourd'hui ?
- Beijing : Cui Yongping Shadow Puppet Art Museum
Ce musée privé créé par le regretté Cui Yongping a été officiellement inauguré le 22 avril 2004. Ce passionnant a réussi au fil des années à préserver de la destruction une incroyable collection de marionnettes et d'accessoires. Parcourant la Chine entière depuis les années 80 pour collecter ses trésors, il s'est battu toute sa vie pour créer en Chine un espace de survie et d'héritage de la marionnette d'ombres et sa pratique, alors au bord de la disparition totale.
Adresse : Jinqiao Garden, Majuqiao Town, Beijing.
- Beijing : China Puppet Theater
Ce théâtre propose de nombreux spectacles de marionnettes, y compris du théâtre d'ombres.
Adresse : 1 Anhuaxili, Beisanhuan Lu, Chaoyang District, Beijing
- Shanghai : The Shanghai Puppet Theater
Véritable institution à Shanghai, ce théâtre des spectacles pour enfants ouverts à toutes les techniques : théâtre d'objet, marionnettes, théâtre d'ombres, ... des plus modernes aux plus traditionnelles. Ils forment également la nouvelle génération de marionnettistes chinois. Dans le hall d'accueil, une belle collection de marionnettes du monde entier est présentée.
Adresse : 5/F 388 West Nanjing Road, Shanghai.
- Xi'an : Shaanxi Art Museum
Ce musée régional dispose d'une belle collection de marionnettes traditionnelles présentées dans une belle scénographie.
Adresse : No. 14 Chang'an North Road, Beilin District, Xi'an
- Wuzhen : Chinese Shadow Puppetry Hall
Ce petit théâtre propose des spectacles de théâtre d'ombre le matin et l'après-midi en semaine.
Adresse : 42, Gangshan South Road, Gangshan District, Wuzhen
- France : Michel Ocelot, "Princes et Princesses".
Cet animateur français est influencé directement par les techniques du théâtre d'ombres chinois et l'esthétique du papier découpé. Une occasion accessible de découvrir cet art.
- Paris : Le Théâtre du petit miroir
Ce petit théâtre propose des spectacles de théâtre d'ombres et de marionnettes chinoises de grande qualité. Initié à Taiwan pendant 5 ans à l'art du théâtre de marionnettes et du théâtre d'ombres par Maître Li Tien Lu, un des derniers grands maîtres de marionnettes de l'île, Jean-Luc Penso a créé le Théâtre du Petit Miroir en 1978. Les marionnettes qui vous seront présentées sont chinoises et anciennes, confiées généreusement au théâtre par le maître marionnettiste. Un occasion rare en France !
Adresse : 74, rue du Gouverneur Général Eboué, 92130 Issy-Les-Moulineaux.
http://www.theatre-ombres-chinoises-marionnettes.fr/index.php
© China Puppet and Shadow Art Society, EP, Wikimedia,