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Benjamin Joinau : « j’ai changé avec la Corée du Sud »

Benjamin JoinauBenjamin Joinau
Écrit par La Rédaction Séoul
Publié le 13 mars 2018, mis à jour le 5 juin 2019

La Corée du Sud, un « choc culturel » qui a rebuté plus d’un étranger. En raison notamment de son « charme rustique » pour lequel Benjamin Joinau a eu le coup de foudre il y a 24 ans. À tel point que ce professeur de civilisation et sciences humaines à l’université de Hongik (Séoul) s’est installé au pays du Matin calme. D’abord pour y enseigner le français. Puis il a exploré de nouveaux horizons professionnels durant plus d’une décennie. Des expériences bien diverses qui l’ont rapproché de ses « premiers amours ». Dont la Corée du Sud, son « coup de foudre ».

 

Les Cahiers de Corée
Les Cahiers de Corée

 

Vous vivez en Corée du Sud depuis 24 ans. Comment qualifieriez-vous la relation que vous entretenez avec ce pays ?

J’ai eu un coup de foudre pour la Corée du Sud. Et ce, dès mon arrivée dans la péninsule en 1994. Je suis venu pour y réaliser mon service militaire civil en tant que professeur de français, latin et grec au lycée français de Seorae Maeul, à Séoul. À l’époque, ce pays était méconnu et malaimé des étrangers, y compris de la communauté francophone. Et pour cause, son charme était plus rustique qu’aujourd’hui. Mais c’est justement ce choc culturel qui a attisé mon désir de rester. Je voulais comprendre la Corée du Sud, un pays si différent de la France. Or à l’époque, internet n’existait pas et rares étaient les ouvrages français consacrés au pays du Matin calme. J’ai donc cherché des réponses par moi-même, ce qui m’a amené à rester.

 

À quel moment avez-vous décidé de vous installer dans ce pays ?

Au début des années 2000, lorsque j’ai changé de voie professionnelle. Jusque-là, j’enseignais le français langue étrangère à l’université de Hongik, à Séoul. C’est d’ailleurs durant cette période que j’ai commencé à apprendre le coréen ainsi qu’à voyager en Corée du Sud. Mais je n’étais pas heureux dans le système universitaire coréen de l’époque. Il ne m’offrait que des contrats d’une année avec une grande précarité. D’autant plus que je n’enseignais pas ma discipline. Je m’ennuyais à enseigner le français. Alors, après ces cinq années, je me suis tourné vers l’anthropologie culturelle à travers un doctorat réalisé à l’École des hautes études en sciences sociales. Durant cette période transitoire, j’ai senti que je m’installais dans ce pays.

 

Puis vous avez ouvert un restaurant. Pourquoi un tel virage dans votre carrière professionnelle ? 

Le Saint-Ex (nom du bistro, ndlr), m’a permis de revenir à mes premiers amours. À savoir, les études, la recherche, ainsi qu’écrire et traduire des livres. Puis, plus tard, les publier en m'offrant après deux ou trois ans, le temps libre et la disponibilité d'esprit dont j'avais besoin. Notamment grâce aux Cahiers de Corée, fondés en 1998. Cette revue annuelle tentait d’aborder le pays sous un angle différent.

 

Une revue qui a bien évolué depuis…

Ce projet a connu un tournant majeur en 2006. Car les Cahiers de Corée a donné naissance à l’Atelier des Cahiers, un éditeur français qui publie des ouvrages sur l’Asie de l’Est, dont la Corée du Sud. Actuellement, nous sommes une équipe constituée d’une dizaine de personnes. Notre catalogue est long d’une cinquantaine d’œuvres. Et nous publions de plus en plus de livres ! Le restaurant a donc été un bon moyen de consacrer du temps à ma passion.

 

Seize ans après son ouverture, le bistro a fermé et vous êtes revenu dans l’enseignement. Plus d’une décennie après, comment la jeunesse a-t-elle évolué ?

Ma situation professionnelle aussi a changé, dans la mesure où j’occupe désormais un poste de titulaire et j’enseigne la civilisation et les sciences humaines. Mon rapport aux élèves n’est plus le même puisque désormais, nous parlons dans la même langue. D’autant plus que j’ai évolué avec la Corée du Sud. Difficile donc, de savoir si c’est l’observateur ou l’objet qui changé. Mais je remarque tout de même des changements positifs dans leur attitude. Ils sont plus “globalisés“ et moins passifs vis-à-vis de la hiérarchie. Et désormais, ils expriment davantage leurs idées et n’hésitent pas à porter un jugement critique. Ce qui est bien plus intéressant en tant que professeur. Ce qui ne signifie pas que leurs aînés étaient moins intelligents ! Mais aujourd’hui, je m’amuse plus avec mes étudiants.

 

Des étudiants français viennent effectuer un semestre dans les universités sud-coréennes. Est-ce synonyme d’une volonté de s’ouvrir au monde de la part de la Corée du Sud ?

La Corée du Sud entretient un rapport complexe à l’altérité. Depuis une vingtaine d’années, le pays a pris le train en marche de la mondialisation. Avec la hallyu — vague culturelle coréenne —, le pays exporte beaucoup. Non seulement les nouvelles technologies mais aussi des produits culturels. À tel point que la culture est un soft power qui joue un rôle majeur pour la péninsule. La Corée du Sud essaie d’être un des pôles importants d’un système-monde que l’on considère dépolarisé — même s’il est plutôt multipolaire. Mais en dépit de ce qu’elle souhaiterait parfois, elle n’est pas le “centre du monde“. Un désir de position centrale sur la scène mondialisée qui contraste avec un repli identitaire qui continue à être d’actualité. Historiquement, la Corée du Sud est une culture à tendance centripète. Pourtant, elle est obligée de s’internationaliser et d’accepter les étrangers, notamment pour des raisons démographiques, voire des évènements internationaux comme les Jeux olympiques de Pyeongchang. 

 

Un contraste qui se perçoit aussi à l’échelle nationale… 

La Corée du Sud est malheureusement un pays encore très centralisé. Et ce, de manière historique. Il existe un fossé entre Séoul et le reste du pays. Et plus particulièrement dans le domaine culturel. Je ne dirai pas pour autant q'il n'y a que Séoul en Corée du Sud. Je pense qu’il y a énormément de lieux qui méritent d’être vus, visités et découverts dans ce pays. Mais en terme d’offres culturelles et de cosmopolitisation, la province reste insuffisante.

 

Vous parlez de « fossé ». Est-ce aussi le cas entre les différentes générations sud-coréennes ?

La modernité sud-coréenne est une modernité de frictions, qui inclut le fossé des générations. Contrairement aux jeunes, les anciennes générations ne sont pas à l’aise avec les étrangers et plus globalement avec tout ce qui est étranger. 

 

Pourtant, de nombreux jeunes prennent part à des mouvements conservateurs. Comment l’expliquer ?

En Corée du Sud, les échecs nationaux sont perçus comme des échecs individuels. Et ce sentiment d’être un petit pays avec de grandes ambitions créé une forme de stress dans un contexte culturel où l’identité individuelle se définit beaucoup par rapport au groupe. L’ombre que projète le grand voisin chinois sur l’avenir a des répercussions sur les jeunes générations. À travers la hallyu, la Corée du Sud a cherché à dominer le monde. Mais dans un monde multipolaire, il n’y a plus de domination absolue. Sans oublier le chômage des jeunes qui est très élevé ici. Alors ces mouvements nationalistes traduisent toutes ces angoisses.

 

L'Atelier des Cahiers

« L'Atelier des Cahiers est une maison d'édition française qui propose des ouvrages offrant des regards croisés entre l'Europe et l'Asie de l'Est avec un ancrage autour de la Corée. »

 

SOURCE : Atelier Des Cahiers

 

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Publié le 13 mars 2018, mis à jour le 5 juin 2019

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