C’est l’ouverture célèbre du film culte de Terry Gilliam, Brazil. Dans un restaurant chic, aux plafonds tapissés de tuyaux (on comprendra ensuite pourquoi), un Père Noël en fauteuil s’avance vers un enfant pour lui demander ce qu’il aimerait recevoir comme cadeau. L’enfant est pragmatique, qui a tout compris à la chanson du monde : « une carte de crédit », répond-il, faussement innocent. Juste après, tandis que les petits téléviseurs diffusent une publicité pour les tuyaux, le restaurant explose.
Dans ses interviews sur son film, Terry Gilliam a maintes fois raconté sa passion pour l’époque médiévale, qu’il a tenté de projeter sur la nôtre. D’où la formule qui apparaît au tout début du film : « quelque-part au XXème Siècle ». Le film, qui est un modèle de dystopie, a été tourné, je vous le donne en mille, en 1984.
Aujourd’hui, quelque-part au XXIème siècle, nous sommes tout aussi connectés par des tuyaux. Ils sont plus fins, parfois virtuels, éthérés, mais nous ne sommes pas moins reliés et observés que les personnages de Brazil. Sitôt une nouvelle connectique installée qu’on nous en vante une nouvelle. Fibre optique, très haut débit, lumière tordue, 5G, cela ne va jamais assez vite, cela n’est jamais assez performant.
Pendant ce temps, un virus menace des vies et tout notre système. Notre organisation économique, nos modèles de production, de distribution et de consommation sont mis en débat, comme ils le sont dans le film Brazil : un monde d’après devrait enfin succéder au monde d’avant, selon les formules usitées, et finalement déjà usées.
« Il faut arrêter d’être un pays de pédés ! »
Mais Noël approche. Et Jair Bolsonaro, le président brésilien, l’a dit et répété : « il faut arrêter d’être un pays de pédés ! ». En cause encore, les craintes suscitées par la deuxième vague de coronavirus au Brésil, et les mesures annoncées par les gouverneurs et maires de grandes villes pour tenter de l’endiguer.
Tous les élus locaux ou presque. A Rio notamment, on prêche dans le même sens que Bolsonaro. Ainsi du maire de la ville, le pasteur évangéliste Marcelo Crivella, à qui il reste deux mois de pouvoir, même s’il vient d’être sèchement battu aux élections municipales. Assez de temps pour prendre les mesures qui vont bien en cette période de pandémie mondiale, comme celle d’écarter tout confinement et d’autoriser, en accord avec le gouverneur Carlos Castro (plus on est de fous, plus on… est de fous), l’ouverture des shopping-center vingt-quatre heures sur vingt-quatre - officiellement pour étirer les files de consommateurs.
C’est que, les amis, certains corps peuvent bien refroidir, il en va de la vie comme de la mort, tout arrive se Deus quiser, si Dieu le veut, selon le fatalisme consacré. En attendant un vaccin ou un autre, le principal, avant Noël, reste bien de faire chauffer nos cartes bleues. Et pas besoin de gouverneur ou de maire pour vous ouvrir en grand les portes des espaces marchands. A Rio de Janeiro comme à São Paulo et comme partout ailleurs, c’est au final une même foule qui se presse dans les rayons. Un classique sans cesse rejoué à Noël, nonobstant cette fois l’autre virus que la fièvre acheteuse.
Dans le film Brazil (dont le titre provient de la mélodie, et non de la machine bureaucratique scénarisée - les expatriés sur place comprendront), ce sont des terroristes, incarnés par un plombier rebelle, qui font sauter le système. Du moins en rêves, dans l’imaginaire du héros Sam Lowry. A Rio de Janeiro comme ailleurs, on devine quelle explosion virale devrait succéder à l’insouciance consumériste du moment. Sans compter que, cette année, il n’y aura même pas de carnaval pour se bercer d’illusions, pour fredonner des mélodies joyeuses et nous entraîner, au moins en rêves, vers un monde d’après.