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ONG Arca : les jours s’en vont, l’Arche demeure (et grandit)

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L'équipe d'Arca devant ses deux maisons - © Guillaume Thieriot
Écrit par Guillaume Thieriot
Publié le 25 novembre 2020, mis à jour le 25 novembre 2020

L'ONG Arca do Saber est devenue Arca tout court, pour englober désormais toutes ses activités qui vont de l’aide à l'enfance jusqu’à la formation professionnelle. Une arche toujours en construction, et qui a besoin de bras.

Vue du ciel, la favela de Vila Prudente est comme une île. Une langue de terre ou de sable, étirée, battue de chaque côté par les flots urbains, et où 8000 personnes se sont comme échouées.

La favela ne date pas d’hier. C’est même la plus ancienne de São Paulo, coincée entre la zone industrielle de Moóca et une voie de chemin de fer. Dans les années cinquante, les migrants du Nordeste, venus travailler dans les usines des Italiens, n’ont eu qu’à descendre du train pour trouver du travail d’un côté du rail, et planter leurs baraques de l’autre.

Depuis, la favela a grandi. Mais comme toute île, elle est ceinturée ; à défaut de pouvoir s’étendre, elle s’est donc densifiée. Les ruelles se sont rétrécies à l’extrême et les baraques, avec le passage aux briques orange, ont gagné un, deux, voire trois étages, parfois même en porte à faux pour récupérer en l’air le manque d’espace à terre.

Un pont au-dessus des préjugés

Une île, donc. Par nature coupée de São Paulo et du reste du monde, n’était cette ONG, justement nommée Arca (Arche). L’évolution du nom et du logo de l’association est d’ailleurs significative. Au commencement était Arca de Noé, née il y a une vingtaine d’années, avec pour visuel une barque peuplée d’animaux rescapés, façon croquis d’enfants. Nous étions dans le sillage de sœur Bernadette, une religieuse française qui avait vécu dans la favela et qui avait ouvert sa maison aux femmes et aux enfants pour y installer une première crèche informelle et un atelier de couture. La communauté française a ensuite pris le relais dans les mêmes murs, toujours fidèle au slogan boussole des origines : a educação é o caminho (l’éducation est le chemin).

Cependant, chemin faisant, l’arche a cessé de faire référence à Noé, et sa forme, de concave, est devenue convexe. De fait, le souci ici n’est pas tant de préserver certaines espèces menacées à l’occasion d’un grand déluge (même si cela arrive quelquefois, comme lors des inondations de 2019). Non, ici l’Arche en question est bien celle d’un pont. Pas celui d’Avignon, coupé en son milieu. Un vrai pont, qui va au bout du problème et enjambe plus déroutant que les fleuves ou les voies urbaines : les préjugés.

« Casser les murs dans les têtes »

Car des préjugés, il y en a. Vis-à-vis des gens de la favela, bien sûr, qui souffrent de la discrimination ordinaire des derniers de cordée. Mais aussi, dans l’autre sens, de ses habitants vis-à-vis du monde extérieur. Non qu’ils le prennent de haut ; ce serait même plutôt le contraire, un syndrome de Lilliputiens au pays de Gulliver.  Car pour qui est né et a grandi ici, le reste de la ville est une aventure, un jeu de survie sans caméras, hormis celles de surveillance. On peut devenir majeur dans cette favela sans avoir jamais pris le métro, pourtant à deux pas, ni savoir à quoi ressemble une entreprise qui ne soit pas du secteur dit informel.

Pour combattre ces préjugés et ces peurs, pour “casser les murs dans les têtes“, comme insiste Emmanuelle Grisez, vice-présidente de l’association, Arca do Saber (Arche du Savoir) a inventé il y a quatre ans son extension naturelle : Arca do Crescer (Arche du Grandir), un centre de formation professionnelle qui va bien au-delà de la délivrance d’un simple diplôme. Partant du constat (établi par l’IPSOS) du faible niveau d’études et d’une estime de soi souvent anémique, la précédente présidente (Evelyne Debrosse) et son équipe ont imaginé cet espace où l’on forme à certains métiers, mais où surtout chacun est accompagné vers cet ailleurs que sont la ville et l’entreprise.

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L'isolement à son paroxysme, dans l'imaginaire d'un habitant de la favela.

Le « chaînon manquant »

Formateurs, éducateurs, psychologues, assistantes sociales, les métiers d’Arca sont donc divers, à la mesure des questions à résoudre pour traverser le pont qui va de la favela à un vrai métier par-delà la mer urbaine. Et les résultats sont au rendez-vous. En 2019, qui n’était que la troisième année de ce projet, 38% des 88 personnes formées ont trouvé un emploi, et 35% ont gagné l’énergie nécessaire pour reprendre des études. Cela en fait, des Everest vaincus.

“C’était le chaînon manquant“, souligne Thaïs Alves Máximo, la nouvelle présidente d’Arca. Avec Arca do Saber, l’association a construit un dispositif performant, labellisé par la mairie de São Paulo, pour accueillir des enfants et ados cumulant les difficultés familiales ou individuelles. Ils sont ainsi rentrés en 2005 dans le dispositif d’aide sociale à l’enfance municipal et leur centre, agréé et financé en bonne partie par la Ville depuis 2011, est vite devenu une référence.

Mais voilà: pour meilleur qu’il soit, il n’accueille qu’un nombre limité d’enfants (deux groupes de soixante environ, avant la pandémie). Et surtout, ceux-ci ne peuvent y être accueillis au-delà de 14 ans et 11 mois ; c’est la règle de l’aide sociale municipale, à 15 ans, oust ! Mais pour aller où ? Cela sans compter ceux qui n’ont pas été accueillis dans le centre, et qui ont souvent, eux aussi, leur lot de handicaps sociaux. La nouvelle arche pallie donc ce manque pour les moins jeunes, pour les relier au monde du travail et prévenir certaines dérives. Aujourd’hui, comme nous l’explique Géraldine Challe, sa responsable, Arca do Crescer va jusqu’à proposer du mentoring, une sorte de coaching d’un habitant de la favela par un employé d’une entreprise partenaire, ce qui favorise la compréhension mutuelle ; de ce que c’est que venir de la favela et des difficultés que l’on peut y avoir ; et de ce qu’est l’entreprise pour qui en ignore tous les codes. Des ponts, encore des ponts.

85% d’enfants testés positifs

Bien sûr avec la pandémie plus rien n’est comme avant. Après la fermeture obligée, la réouverture de la partie Saber, celle des enfants, n’a été possible qu’en suivant les protocoles de la Ville : nombre limité à l’intérieur (12 enfants maximum par demi-journée), et test sérologique pour tout le monde, petits et grands, avant la reprise. Test symptomatique d'ailleurs - si l’on peut dire - de ce qu’a été la première vague au Brésil : d’après leurs anticorps, 85% des enfants ont eu la Covid-19. On comprend mieux les ravages passés, dans des quartiers cumulant promiscuité, pauvreté, faible accès aux soins et nombreux facteurs de co-morbidité. Mais en contrepartie, on a atteint à certains endroits la fameuse immunité de groupe, ce qui peut expliquer en partie le déplacement de la nouvelle vague vers les quartiers plus aisés.

Côté Crescer, le centre de formation a lui aussi une activité réduite. A défaut de pouvoir organiser les formations présentielles habituelles, on y propose des modules en ligne, avec un tutorat sur place pour ceux qui viennent utiliser les ordinateurs durant des créneaux réservés. Bref, ici comme ailleurs, on fait comme on peut et on s’adapte aux circonstances, en espérant qu’après l’été l’activité pourra redevenir normale, et que l’association retrouvera ses pleines capacités d’accueil.

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Favela verticale - © Guillaume Thieriot

Recherche bénévoles désespérément

Son défi sera alors de reconstituer son équipe de bénévoles. Beaucoup de français ont en effet quitté le Brésil depuis le début de la pandémie. Et impossible également pour l’heure d’accueillir des étudiants stagiaires venus de France et d’ailleurs - ce qui était, au passage, une autre façon d’ouvrir la favela au monde, et de montrer à ses habitants qu’ils pouvaient intéresser des gens venus de loin, façon encore de les aider à gagner en estime d’eux-mêmes.

Mais à Arca, on est comme le poète face à la Seine et au Pont Mirabeau (décidément une histoire de ponts). Depuis l’action pionnière de soeur Bernadette, les jours et les bénévoles expatriés passent, laissant des regrets et des saudades. Mais Arca demeure, et continue même de grandir, tout en consolidant ses piles.

Arca (tout court), ex-Arca do Saber, est devenue désormais une organisation solide, sorte de holding associative, qui se décompose selon ses activités: Arca do Saber pour les plus petits, Arca do Crescer pour les plus grands, Arca do Fazer pour les activités couture, qui remontent aux origines de l’association et qui sont devenues essentielles pour garantir une part d’autofinancement (de l’ordre de 14% en 2019 sur les 1,13 million de R$ de budget annuel - un peu plus de 180.000 euros). Sans oublier la branche française créée pour contribuer à la récolte de fonds. Celle-ci est présidée par un ancien membre actif d’Arca au Brésil, Frédéric Rio (ce n’est pas un pseudo), qui continue d’aider à distance et de transmettre en visio sa passion du rugby.

C’est donc un puissant réseau qui entoure désormais cette pépite associative, de la France au Brésil. Un réseau humain, d’amitiés qui perdurent ; un réseau institutionnel (outre la Ville, le Consulat général n’est pas en reste) ; et enfin un réseau d’entreprises, notamment les sociétés françaises implantées à São Paulo, qui ont financé l’aménagement des locaux du centre professionnel, et continuent de le soutenir en proposant des opportunités professionnelles et du mentoring.

De quoi imaginer encore toutes sortes de liens à construire, avec des arches toujours solidement plantées malgré les obstacles du présent. Le nouveau logo d’Arca résume d’ailleurs bien ce programme, avec une amorce d’arche multicolore comme projetée et ouverte sur l’avenir - en matière de ponts, le plus beau des horizons.

Comment aider Arca

Arca a donc besoin de bénévoles pour renouveler ses équipes. Communication, comptabilité, petites mains, démarchages d’entreprises, activités culturelles ou sportives ; vous avez du temps, un talent, des compétences, l’association vous attend.

Les produits issus de l’atelier de couture sont aussi une bonne manière d’aider l’association, tout en faisant des cadeaux de fin d’année dans un esprit solidaire. Des ventes sont organisées régulièrement chez l’une ou l’autres des membres bénévoles d’Arca. Renseignements souvent sur la page Facebook de l’association, section Fazer.

Il est aussi possible de faire des donations à travers le FUMCAD, le fonds municipal des droits des enfants et des adolescents. C’est un mécanisme fiscal incitatif, qui permet de réduire sa base imposable, en transférant des fonds à un bénéficiaire reconnu pour son action par le conseil municipal des droits des enfants et des adolescents. Enregistrement ici.

Enfin, outre un appui financier direct, il est possible de soutenir Arca par le mécanisme de la Nota Fiscal Paulista, qui est une sorte de reversion de crédits de consommation, à condition de prendre la peine à chaque achat de donner son numéro de CPF, après avoir enregistré Arca comme association bénéficiaire sur le site de la nota fiscal.

Et pour tout renseignement, n’hésitez pas à contacter Thaïs (présidente - +5511971951553), Emmanuelle (vice-présidente - +5511960733389), ou Géraldine (responsable de Crescer - +5511984326491). Sans oublier bien sûr le site de l'association.

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La Favela de Vila Prudente vue du ciel

 

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