Lauréat du Prix du Public de la Banque Transatlantique des Trophées des Français de Chine à Shanghai 2025, Pierre Alivon est un artiste aux multiples talents, sculpteur, photographe et écrivain. Nous sommes allés à sa rencontre pour parler de son ouvrage "La Treizième Bannière", un ouvrage fruit de 10 ans de travail qui révèle une facette méconnue de la Chine et des Chinois.


J'ai cherché à montrer la Chine du quotidien
Votre livre La Treizième Bannière propose un parcours original à la découverte de la Chine. Comment est né ce projet ?
La Treizième Bannière est née d’un long voyage à travers la Chine, commencé il y a plus de dix ans. J’ai voulu aller au-delà des façades et des clichés pour saisir la vie intime d’une génération : celle qui grandit dans un pays en mutation, entre héritage et modernité. C’est un livre-témoignage, à la croisée du récit et de la photographie, où l’image dialogue avec la parole. De Pékin à Shanghai, dans les hutongs, les lilongs, les universités ou les usines, j’ai cherché à montrer la Chine du quotidien, celle qui rêve, doute, crée — une Chine profondément humaine.
Les témoignages recueillis sont particulièrement poignants, avec des trajectoires humaines très variées. Comment avez-vous sélectionné vos interlocuteurs ?
Je n’ai pas vraiment « sélectionné » mes interlocuteurs : je les ai rencontrés. Souvent par hasard, au détour d’une rue, d’un café, d’un atelier ou d’une salle de sport. J’ai passé du temps avec eux, partagé des repas, écouté leurs histoires. Ce sont des rencontres de confiance, tissées au fil des années. Chacun d’eux représente une facette de cette jeunesse chinoise : l’artiste et l’ouvrier, l’étudiante et le boxeur, la rêveuse et le pragmatique. Ensemble, ils forment une mosaïque de visages et de destins qui racontent un pays en mouvement.

Le masque devient un espace de liberté
Beaucoup des personnages de votre livre sont photographiés masqués. Pourquoi ce parti-pris ?
J’ai choisi d’adapter, sur plusieurs portraits, des masques inspirés de l’opéra traditionnel chinois. Dans cette forme d’art ancienne, chaque couleur, chaque trait peint sur le visage exprime une émotion, une vertu, un tempérament : le rouge incarne la loyauté, le noir la droiture, le blanc la ruse ou la duplicité, le bleu la bravoure… Ces masques ne cachent pas, ils révèlent. Ils permettent de dire sans mots, de rendre visible ce que l’on ne peut pas toujours exprimer. Dans la Chine d’aujourd’hui, beaucoup de mes amis portent, au quotidien, un autre type de masque — plus invisible. Le masque devient un espace de liberté : il les protège tout en leur permettant d’être vus autrement. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le visage qu’on ne voit pas, mais ce qu’on devine derrière : une histoire, une tension intérieure, une identité en mouvement. Face à ces portraits, le spectateur n’observe pas une personne, il entre dans un récit. Ainsi, le masque dans La Treizième Bannière n’est pas une barrière, mais une passerelle entre le visible et l’invisible — entre la tradition millénaire de l’opéra chinois et la quête intime des jeunes d’aujourd’hui.
En quoi cet ouvrage a-t-il changé votre regard sur la Chine et les Chinois ?
Avant ce livre, je regardais la Chine avec curiosité et respect. Après dix ans de terrain, je la regarde avec affection et reconnaissance. J’y ai découvert une force intérieure, une capacité d’adaptation et une sensibilité souvent méconnue. Les jeunes que j’ai rencontrés m’ont appris la patience, la discrétion, le sens du collectif — mais aussi la solitude moderne d’une génération en quête de soi. La Treizième Bannière m’a transformé : elle m’a fait comprendre que la Chine n’est pas un « ailleurs », mais un miroir — un miroir du monde et de nos propres contradictions.

Ce livre évoque la bannière de l'humain
Pourquoi avoir choisi le titre La Treizième Bannière ?
Le titre s’inspire de l’histoire des anciennes bannières mandchoues de la dynastie Qing. À l’origine, il y avait huit bannières, symboles d’un système rigoureux où chaque bannière représentait un clan, une couleur, une appartenance. Plus tard, certains récits populaires ont évoqué une neuvième bannière imaginaire — celle de la liberté, du rêve, du peuple sans bannière. C’est à partir de cette idée que j’ai créé La Treizième Bannière. La mienne n’appartient à aucune armée, à aucun empire. C’est une bannière d’aujourd’hui, portée par les visages anonymes que j’ai rencontrés dans les rues de Shanghai, de Pékin, de Wuhan, de Xi’an… Elle réunit ceux qui avancent sans uniforme, sans drapeau, mais avec un idéal : celui d’exister pleinement dans un monde qui change. c’est une bannière poétique : la bannière de l’humain.
Plus que les photos, ce sont les mots qui donnent les couleurs
Votre livre, quand on le tient entre les mains, ressemble à un véritable objet d’art. L’avez-vous conçu comme une sculpture ? Quelles sensations avez-vous voulu transmettre aux lecteurs à travers ce façonnage ?
Oui, absolument. J’ai conçu La Treizième Bannière comme une sculpture que l’on feuillette. Pour moi, un livre n’est pas seulement un support, c’est une matière vivante — une forme à modeler, à caresser, à habiter. J’ai voulu qu’il soit un écrin, un espace intime qui recueille le cœur et les émotions de toutes les personnes que j’ai rencontrées au fil de ces dix années en Chine. Chaque détail a été pensé avec la même attention que lorsque je façonne le bois, le bronze ou la porcelaine : le grain du papier, la texture de la couverture, la densité du noir et blanc, le rythme des pages. Ce noir et blanc, justement, structure le livre comme un décor : il raconte le silence, la ville, la mémoire. Et ce sont les mots qui, eux, apportent la couleur — celle des émotions, des voix, des vies croisées. Lorsque l’on ouvre La Treizième Bannière, j’aimerais que le lecteur ressente ce que j’ai ressenti en photographiant : la respiration d’un peuple, les battements de cœur de mes amis chinois, la beauté d’une humanité simple et forte.
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