Sinterklaas est passé, les enfants ont chanté leurs chansons et déballé leurs cadeaux avec joie, mais un nuage continue d'assombrir cette période de l'année : l'inévitable controverse autour des petits assistants de Saint-Nicolas. Selon la tradition, la descente des cheminées conduit à couvrir de suie ces petits assistants. C'est la façon dont cette suie est représentée dans le costume, qui est à l'origine du débat: suie ou black-face? lepetitjournal.com reprend les confrontations que le débat a suscitées cette année. Il y en a eu moins que l'année dernière.
Tout comme le Père Noël a ses lutins, Saint-Nicolas a aussi des petits assistants légendaires. Ils accompagnent Saint-Nicolas dans ses voyages, emballent les cadeaux pour le réveillon, et grimpent dans les cheminées des maisons la nuit pour déposer bonbons et cadeaux dans la chaussure et chaussons des enfants. À l'origine, il n'y avait qu'un seul assistant, qui accompagnait Sinterklaas et transformait les mauvais enfants en biscuits. À l'instar de l'homme-chèvre Krampus d'Europe centrale, qui mange les enfants méchants, Zwarte Piet est issu de ce schéma où le diable assiste un saint, un contrepoids maléfique au bienveillant donneur de cadeaux. Au fil des ans, il est devenu un assistant gaffeur et enfantin.
Les personnes qui se déguisent en ce personnage ont traditionnellement, peint leur visage en brun ou en noir. D'un côté, certains affirment qu'il s'agit d'une tradition inoffensive, élément indissociable de leur patrimoine culturel. De l'autre, certains affirment que cette pratique s'apparente au 'blackface' et qu'elle perpétue des stéréotypes racistes. "Les protestations contre Black Pete remontent à 100 ans, mais c'est à partir de 2011 que l'indignation à l'égard de ce personnage s'est vraiment intensifiée", explique l'anthropologue social Markus Balkenhol, de l'institut Meertens à la Fondation néerlandaise de radiodiffusion (NOS).
Pourquoi le visage noir?
Historiquement, les petits aide du Père Noël aux Pays-Bas s'appelle Zwarte Piet, ou “Pierre Noir,” dufait de la couleure de son visage. Dans la première illustration connue du personnage, qui provient d'un livre intitulé Sint Nikolaas en zijn Knecht (Saint Nicolas et son serviteur) écrit par l'instituteur d'Amsterdam Jan Schenkman en 1850, il est présenté comme étant un Maure, venu d’Espagne. Selon National Geographic, “Le terme était à l'origine utilisé pour décrire les Berbères. (...) À partir de la Renaissance, le mot ‘Maure’ a également été employé pour décrire toute personne à la peau noire ou hâlée.” Cependant, Bien que la version de ce personnage qui a été popularisée ait été conçue par l'auteur comme une personne à la peau noire, nombreux sont ceux qui affirment que la couleur n'a rien à voir avec son ethnicité, pour ainsi défendre que le costume traditionnel n'est pas du 'blackface.'
D'autres explications de sa peau foncée sont qu'il s'agit de la suie des cheminées. Une version du folklore entourant le personnage suggère que cette couche de suie est devenue permanente sur son corps. Une autre justification, est qu'il est une représentation du diable, que Saint-Nicolas a pu conquérir et forcer à se mettre à son service. Ceci n’explique cependant pas pourquoi, en plus des vêtements de style Renaissance avec cols à volants, manches bouffantes et pantalons assortis, il est souvent représenté avec des cheveux crépus, des lèvres rouges exagérées, et une boucle d'oreille en or. En effet, ces derniers éléments sont associés aux caricatures d'Africains à travers l'histoire.
‘Roetveegpiet’
Ce qui semblait être un piètre prétexte, est aussi la solution à toute cette débâcle. Il suffirait donc de remplacer la peinture qui s’apparente au ‘blackface’ par des traînées de peinture noire (et non brune) qui ressemblent plus clairement à de la suie. Ces dernières années, alors que la nation néerlandaise a débattu avec véhémence de la représentation de ce personnage, c'est l'une des différentes alternatives au visage entièrement noir qui a vu le jour. Il s'appelle Roetveegpiet (Pierre de suie) ou bien Schoorsteenpiet (Pierre de la cheminée). Une autre option consiste à peindre le visage en couleur, par exemple en bleu, en vert ou en violet. En 2015, la chaîne de grands magasins Bijenkorf a décidé de remplacer les vitrines de Noël représentant Zwarte Piet par une version à la peau dorée. Il existe donc bien de compromis, que beaucoup sont prêts à accepter.
Ces représentations alternatives sont demandées depuis le début des années 2010 par les dizaines de groupes d'activistes font campagne contre les visages peints en noir ou marron dans les célébrations. Le débat national s’est porté en ébullition en 2011, lorsque le mouvement ‘Zwarte Piet is Racism’ a été fondé par les artistes et activistes, Jerry Afriyie et Quinsy Gario. D’autre mouvement come "Stop Blackface" and "Zwarte Piet Niet," ou des associations comme ‘Kick Out Zwarte Piet’ (KOZP) soutient aussi que Zwarte Piet glorifie l'histoire du colonialisme néerlandais et de l'esclavage, en faisant référence à une apparence ou à un comportement stéréotypé discriminatoire des personnes à la peau foncée. Le groupe d'action préconise des représentations du personnage où les caractéristiques racialisées ne jouent aucun rôle. Cependant, Lle KOZP a été répertorié comme un "groupe d'action antiraciste d'extrême gauche" dans l'Évaluation de la menace terroriste Pays-Bas des services de sécurité en 2017, ce qui à fait controverse.
Plus d’une décennie de manifestations
En 2015, un comité de l'Organisation des Nations Unies (ONU), pour l'élimination de la discrimination raciale, a déclaré dans un rapport que "le personnage de Black Pete est parfois représenté d'une manière qui reflète des stéréotypes négatifs sur les personnes d'ascendance africaine et est vécu par de nombreuses personnes d'ascendance africaine comme un vestige de l'esclavage." Il s'en est suivi une campagne de signatures sur Facebook, la "Pietietie" avec des millions de signatures en faveur de la préservation de Zwarte Piet. Selon l'anthropologue Balkenhol, “les gens ont senti que "nos" traditions étaient menacées, qu'on nous les enlevait.” Les manifestants et contre-manifestants sont devenus de plus en plus violents dans les années 2010.
En raison des ceci, le gouvernement a officiellement interdit le blackface lors du défilé en 2019 bien que cela ait entraîné des perturbations supplémentaires. Les périodes de fêtes en 2015 et 2019 ont été particulièrement agitées par des manifestations, contre-manifestations, et des blocus d’autoroutes. Ce serait les accès de violence de certains partisans de Zwarte Piet qui ont contribué à ce revirement. "À Rotterdam, Eindhoven, Joure, Staphorst et bien d'autres endroits, par exemple, des hooligans ont attaqué des manifestants pacifiques contre Zwarte Piet. Une réunion de Kick Out Zwarte Piet a été perturbée par des personnes munies de battes de baseball. Cela a amené un public plus large à penser : "Je ne veux rien avoir à faire avec ça," dit Balkenhol à la NOS.
La situation s’améliore
L’opinion publique a donc évolué ces dernières années. Selon The Guardian, "en 2013, 89 pour cent des Néerlandais étaient favorables au blackface, un chiffre qui est tombé à 68 pour cent en 2017. Plus de la moitié des jeunes âgés de 18 à 25 ans pensaient que l'apparence du personnage devait changer." Statista rapporte que “À la question de savoir ce qu'il devrait advenir de l'aspect traditionnel du Zwarte Piet en 2021, environ un tiers des Néerlandais interrogés ont déclaré qu'il devrait être adapté.”
La NOS rapporte que, cette année “Il semble que la période de grande émotion autour du festival pour enfants typiquement néerlandais soit terminée, alors qu'il a longtemps semblé qu'il n'y aurait jamais de solution,” et que “Sinterklaas est redevenu un moment de plaisir plutôt que de conflit.” En effet, il y a comparativement eu moins de démonstrations, et de violences pendant les démonstrations en 2023, et alors que dans les années précédentes, l’interdiction des parades de traditionelles de Sinterklaas par certaines municipalités à suscité encore plus manifestations, cette effet n'a pas été noté cette année.
Pas totalement sortie de l’auberge
Cela ne veut cependant pas dire que le pays est totalement apaisé. AD rapporte que la police a été contrainte d'intervenir lorsque des manifestants KOZP ont été la cible de feux d'artifice, d'œufs et de tomates de la part de militants pro-Zwarte Piet lors de la parade de Sinterklaas dans la ville de De Lier, en Westland, dans la région d’Hollande méridionale. Le maire a finalement déclaré un ordre d'urgence en raison des manifestations, des policiers ont maintenu les deux groupes à l'écart. Ils ont utilisé des boucliers et des matraques, et neuf personnes ont été arrêtées.
Plusieurs défilés ont été annulés par les municipalités car elles considèrent que le risque que les manifestations tournent à la violence est toujours trop élevé. Par exemple, des centaines de personnes se sont réunies dans un groupe WhatsApp avec pour sujet d’arrêter les manifestants contre le Zwarte Piet aux entrées d'Opheusden et de Dodewaard, selon AD.
Dans la province d'Overijssel, la municipalité a décidé qu'il n'y aurait pas de défilé de Sinterklaas cette année, en raison des émeutes qui se sont produites l'année dernière, selon NL Times. La procession annuelle du village d'Enter, dans l'Overijssel, a aussi été annulée parce que le maire craignait des troubles entre les partisans des Piet à visage noir et les militants antiracistes, selon Dutch News. À Rijswijk, le maire local Huri Sahin a refusé d'accorder une licence à un défilé alternatif de Sinterklaas mettant en scène des Piets au visage noir parce que "l'ordre public ne pouvait pas être garanti."
La lumière au bout du tunnel
Jerry Afriyie, activiste néerlandais et le leader du groupe d'action Kick Out Zwarte Piet, explique à la que NOS: "En 2011, nous nous sommes donné 15 ans, jusqu'en décembre 2025. Il reste donc encore deux ans. Mais nous continuerons jusqu'à ce que tout soit terminé. Chaque municipalité qui a encore un Black Pete est une municipalité de trop. Un peu de racisme reste du racisme." L’association continuera donc sa lutte contre l’utilisation du black-face dans la représentation de Zwarte Piet dans les deux années à venir au moins. Le risque de contre-manifestations reste donc présent aussi, même si l’opinion publique change, et une majorité de Néerlandais sont aujourd’hui favorable à d'autres représentations du personnage.
À noter pourtant, cette année, 89 pour cent des néerlandais surveillés par Statista ne trouvent pas que Zwarte Piet est offensif. De nombreuses personnes qui ont changé d'avis cette année ont déclaré qu'elles étaient désormais favorables à la modification de l'apparence de Piet afin de ‘maintenir la paix’. Ainsi, il semblerait que beaucoup voudraient simplement compromettre pour clore le débat. La radio néerlandaise cite aussi l'anthropologue social Balkenhol disant que "Je pense que la bataille a été largement gagnée et que nous avons maintenant de plus en plus une fête de Saint-Nicolas que nous pouvons célébrer tous ensemble. Les traditions changent toujours, y compris celle de Saint-Nicolas. Mais la fête ne disparaîtra pas.” Entre-temps, les valeurs fondamentales de cette fête pour enfants - la convivialité, les cadeaux, les surprises et les poèmes - semblent rester intactes.