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Pandémie aux USA : loyers à payer et État-providence

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Écrit par Rachel Brunet
Publié le 1 avril 2020, mis à jour le 1 novembre 2021

Face à une crise économique grandissante découlant de la pandémie de coronavirus, les appels à geler les loyers des particuliers se sont multipliés dans la ville de New York, dans l’État mais aussi dans tout le pays. Le gouverneur Cuomo, à la tête de l’État de New York, insiste sur le fait qu’il a déjà mis en place des solutions pour les locataires qui peinent à payer leur loyer. Mais est-ce suffisant ?

 

26 % des ménages concernés

Selon le cabinet Amherst, 26% des ménages vivant en location aux Etats-Unis pourraient avoir besoin d'aide temporaire pour payer leur loyer, ce qui se chiffrerait à environ 12 milliards de dollars par mois.

Le gouvernement fédéral a certes annoncé un plan d'aide historique de 2.200 milliards de dollars pour soigner l'économie, mais le chèque de 1.200 dollars promis à chaque Américain, et qui ne concèrne pas les expatriés, -- plus 500 pour chaque enfant -- n'arrivera pas avant la seconde moitié d'avril.

En attendant, un nombre record de 3,28 millions d'Américains se sont inscrits au chômage lors de la semaine clôturée le 21 mars. Un chiffre qui fait tout simplement office de record, le précédent pic ayant été enregistré en octobre 1982 avec 695.000 nouvelles demandes. En février dernier, le taux de chômage était de 3,5% aux États-Unis, le plus faible depuis un demi-siècle. Les prochains chiffres qui seront publiés le 3 avril devraient donc être très mauvais. Steve Mnuchin, secrétaire d’État au Trésor, a évoqué un possible taux record de 20%.

 

Stop aux expulsions

Face aux cortèges de licenciements et annonces de chômage technique, les sociétés de prêts immobiliers sont préparées à une vague d'impayés massifs au 1er avril.

Des expulsions ont été suspendues temporairement dans certaines municipalités, tandis que des appels à un loyer blanc en avril se multiplient sur les réseaux sociaux. Le Gouverneur Cuomo, plus tôt en mars, a fait geler les expulsions pour loyers impayés pour une durée de 90 jours. Sa mesure phare donc. Mais que se passera-t-il à l’issue de cette période ? Si les loyers ne sont pas suspendus, il y a fort à parier que les expulsions reprendront de plus belle. En effet, les ménages qui ont perdu une grande partie ou la la totalité de leurs ressources durant la période de « pause » nécessiteraient plusieurs semaines voire plusieurs mois afin de pouvoir honorer leurs arriérés. Alors qu’est-il conseillé aux locataires qui sont dans l’incapacité de payer leur loyer ce 1er avril, comme il en est la règle ? Contacter le propriétaire, ou le management de son immeuble, afin de demander soit du temps, soit un allègement du loyer. Certains propriétaires pourraient se montrer compatissants. Peut-être que d’autres le seront moins.

Aujourd’hui, un groupe de new-yorkais a déjà prévu de manifester en respectant la règle de distanciation sociale devant le Justice Center à El Barrio dans la quartier de East Harlem. Ils invitent tous ceux qui souhaitent bénéficier d’un gel de loyer à se joindre à eux. Leur cri de ralliement « Cancel the rent / Cancela la renta ». Le rendez-vous est donné à 18h ce 1er avril.

Outre les particuliers, une foultitude d'entreprises, grandes et petites, comme Nike et Cheesecake Factory, vont soit payer seulement la moitié de leurs loyers soit faire défaut.

Certains secteurs souffrent particulièrement de la crise. Les services sont notamment frappés de plein fouet. Le département du Travail a également précisé que les soins de santé et l’assistance sociale, les arts, les divertissements et les loisirs, les industries du transport, de l’entreposage et de la fabrication étaient touchés.

Autre milieu aux abois: la restauration. Avec plus d’un million de bars, de fast-food et de restaurants présents dans le pays, ce secteur vital pour l’économie américaine est le deuxième plus important employeur du pays derrière le secteur de la santé. La Fédération nationale des restaurants a récemment mené une enquête auprès de 4.000 restaurateurs, qui montrait que 3% des établissements avaient déjà mis la clé sous la porte et que 11% comptaient le faire d’ici un mois. D’après les calculs de la Fédération, une fermeture d’une durée de trois mois amputerait le chiffre d’affaires de 25% et cinq à sept millions de personnes au minimum perdraient définitivement leur emploi.

 

Qu’en disent les économistes ?

En attendant, des économistes de Pantheon Macroeconomics ont pointé un indicateur de la morosité économique ambiante qui frappe actuellement les États-Unis. Le nombre de recherches Google « déposer une demande de chômage » est actuellement environ huit fois supérieur à ce qu’il était en février 2009. Les États-Unis étaient alors en pleine crise des subprimes. Mais il faut aussi garder à l’esprit qu’il y a 11 ans, le réflexe de recherche sur internet était peut-être moins un automatisme qu’aujourd’hui et que les smartphones faisaient moins partie intégrante du quotidien des Américains.

Alors quid de l’idée de l’État providence ? Selon l’économiste français Gaël Giraud, la pandémie montre les faiblesses du modèle économique libéral et individualiste, et rappelle la nécessité d’un Etat ramené à sa mission première : la survie de chacun. Parallèlement, Dan Patrick, lieutenant-gouverneur du Texas (équivalent de vice-gouverneur), a estimé que les grands-parents, comme lui, devaient être prêts à mourir pour sauver l'économie du pays. Troublant parallèle.

« En 2008, on a beaucoup parlé du retour de l'État providence, mais c'était essentiellement rhétorique : ça consistait en de petits aides budgétaires qui étaient insuffisantes. Aujourd'hui, l'aide budgétaire envisagée par la plupart des pays est également insuffisante. Et puis, c'était surtout des tombereaux de liquidités injectées par les banques centrales dans le secteur bancaire. Or, cet argent qui a été injecté dans le secteur bancaire n'est pas arrivé dans l'économie réelle. Il a été effectivement utilisé par les banques pour agir sur les marchés financiers et il a alimenté la bulle financière qui aujourd'hui, est en train de crever puisque en deux semaines, la planète a perdu en gros un tiers de la capitalisation boursière mondiale » explique l’économiste et non moins directeur de recherches au CNRS et professeur à l’École nationale des ponts et chaussées, Gaël Giraud.

Comparer la situation économique engendrée par la pandémie de nouveau coronavirus au krach boursier de 1929 ? Toujours selon Gaël Giraud «  je ne suis pas sûr que ce soit tout à fait similaire. Ce qui est similaire c'est qu'il y a une panique sur les marchés boursiers, mais la grande différence entre ce qui se passe aujourd'hui et 1929, c'est que l'origine de la crise n'est pas financière. L'origine de la crise se trouve dans l'économie réelle, c'est à dire que c'est la production elle-même qui est à l'arrêt, il y a à la fois une crise d'offre et de demande »

Pour mémoire, en 2016, dans The Great exception, l’historien américain Jefferson Cowie, spécialiste du monde du travail, tentait d’expliquer à ses lecteurs pourquoi le mot d’ordre d’un nouveau New Deal, ou d’une réactivation de la politique sociale et économique des années 1930 et 1940, n’était pas à l’ordre du jour pour la gauche progressiste aujourd’hui. A ses yeux, le New Deal est un « hapax » dans l’histoire des Etats Unis, une exception singulière qui s’explique par des causes conjoncturelles et qui, parce qu’elle va à l’encontre des courants profonds de la culture politique américaine, ne peut être ni réitérée ni réactivée.