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À New York, « Révélations », l’exposition de l’artiste Jean-Pierre Formica

Jean-Pierre Formica Jean-Pierre Formica
Jean-Pierre Formica (c) JC Agid
Écrit par JC Agid
Publié le 8 septembre 2022, mis à jour le 9 septembre 2022

Les plissures du visage du peintre et sculpteur Jean-Pierre Formica, ses yeux aussi, le choix méticuleux des mots et sa façon inattendue de les lier ensemble laissent apparaître à la surface un univers coloré et poétique, une volonté de rendre visible l’invisible. Si cette œuvre était une photographie argentique, Jean-Pierre Formica en serait le révélateur, l’agent essentiel qui permet à l’image d’apparaître et se figer sur le papier.

Il y a aussi inscrit sur le visage de Formica la force du soleil salé de la Camargue, la curiosité insatiable d’un homme mû par l’incertitude, un regard presque détaché, surpris peut-être de l’intérêt que son œuvre suscite, sa reconnaissance polie.

 

Jean-Pierre Formica

Jean-Pierre Formica (c) JC Agid

 

Une sélection des œuvres de Jean-Pierre Formica sera visible à New York du 7 au 30 septembre. Cette exposition, « Révélations », juxtapose des peintures et sculptures récentes dont les déchirures pour les premières et les accumulations pour les secondes donnent « forme à l’informe ». Elles « révèlent » pour reprendre l’expression de l’artiste.

Jean-Pierre Formica naît en 1946 dans le Sud de la France de parents italiens. Son âme d’enfant vagabonde de ville en ville jusqu’à Arles et Aigues-Mortes, les Camargue du Nord et du Sud, marquées par le passage de la Rome des César, alors maîtresse et architecte du bassin Méditerranéen. Formica grandit dans cette région, chaude l’été et ventée l’hiver, terre de la tauromachie et des marais salants. Lorsque l’instituteur lui énonce les règles de trois et la géométrie d’un triangle, l’enfant ferme les yeux, il entrevoit des courbes, assemble des couleurs et découvre des paysages. Assis au fond de la classe, il s’est déjà évadé dans l’imaginaire d’une bande dessinée de Tarzan.

J’avais sept ou huit ans lorsque j’ai eu la sensation profonde d’être un artiste”, me confie-t-il, assis parmi des sculptures en céramiques qu’il vient de cuire dans son atelier Arlésien, en attente d’être peintes et vernies. Dans la pièce adjacente, son épouse Lisbeth emballe des œuvres sélectionnées pour New York.

Jeune artiste, Formica réalise des portraits et des nus, il s’adonne aussi à l’architecture et s’inspire de la nature. Les marais salants d’Aigues-Mortes deviennent un théâtre de création sculpturale. Toute une série de rencontres guide son jeu, des rencontres avec l’histoire et les paysages méditerranéens, mais aussi avec le couturier Christian Lacroix et des collectionneurs d’art. Parmi eux, Nathalie et Paul-François Vranken lui consacrent en 2008 dans les crayères du domaine Pommery à Reims une exposition intitulée ‘Surnature‘ et relevée par Beaux-Arts Magazine.

Là où les Vranken avec leurs Maîtres de Chai et Chefs de Cave travaillent les vignes de Camargue, de Provence et de Champagne pour donner naissance à des vins joyeux et pétillants, Formica confronte ses sculptures à la sédimentation du sel des eaux rougies des marais camarguais. Il révèle ainsi des personnages enfouis dans son univers. Formica s’amuse aussi à superposer des feuilles immenses qu’il a peintes de part et d’autre. Le regard enfoui dans des couleurs à présent emmêlées, il déchire par petit bout cette toile en relief, il les déplie et alors apparaît son dessin ultime, une vue posée sur le monde ou sur un coin de cette Camargue où il écrit son nom.

 

JC Agid : Un jour, votre épouse Lisbeth et vous décidez d’ajouter Arles, cette petite ville de Camargue si célèbre pour les Rencontres de la Photographie et aujourd’hui la Fondation Luma, à Aigues-Mortes et Paris. C’est ici, dans votre atelier à ciel ouvert, que nous nous parlons. 
Jean-Pierre Formica : La ville d’Arles est venue ultérieurement à tout ce que j’ai pu faire dans la région. Je suis né à Uchaud, un petit village du Gard. Puis j’ai habité pendant mon enfance à Nîmes. De Nîmes, je suis allé à Paris. Par la suite, dans les années 1985, à l’époque où j’ai rencontré Lisbeth, nous sommes venus vivre à Arles. Arles que je connaissais depuis toujours. J’allais aux corridas, je venais faire la fête ici. C’est une belle région, mais j’avais dit que je n’habiterais jamais à Arles parce qu’Arles, l’hiver, c’est très froid, il y a énormément de vent, un vent d’une froidure pas possible. 

Arles, c’est la Camargue !
La Camargue, je la connais depuis toujours, la petite Camargue, celle d’Aigues-Mortes de l’autre côté du Rhône et aussi la grande Camargue, celle-ci, celle d’Arles. Je voulais la vivre comme je la vis actuellement. C’est une région qui a aussi des antécédents artistiques, par exemple cet original, ce grand artiste Van Gogh au siècle dernier, mais il n’y a pas eu que lui. C’est une région assez intéressante, surtout à l’époque du 16e, du 17e et du 18e siècle, une région très riche avec le Rhône qui permettait de faire voyager toutes les denrées, même la soie. Je suis très imprégné de ce passé. 

 

C’est une culture aussi, celle du sud, comme celle de vos origines ?
Je suis italien de père et de mère, je suis Sicilien et Toscan. Je suis donc né par hasard en France, mais j’ai une culture profondément italienne. Rome avait conquis tout le bassin méditerranéen et fait des autochtones, des Romains. Je suis issu de cette culture gallo-romaine. Arles est empreinte justement de cette histoire. Ce sont donc là toutes les caractéristiques qui me définissent comme personnage par la couleur, par la manière d’aborder avec amour la nature, même si je suis en fait plus un citadin qu’un terrien. Les deux sont en fait inséparables chez moi.

Les villes vous inspirent donc. Nîmes, Paris et Arles, mais aussi les marais salants de Camargue, ceux d’Aigues-Mortes, des marais salants « intimes » dites-vous ?
Ce sont les premiers où les Romains s’étaient installés pour le ramassage du sel. Pour moi, c’est la rencontre du paysage, de la nature, mais aussi une rencontre très forte avec l’eau et le sel. J’ai vu le côté cristallin que proposait l’eau dans une pâtisserie à Aigues-Mortes, il y avait un Berlingot dans la vitrine et je me suis dit, ‘c’est à moi ça’, comme si ça m’appartenait simplement en le regardant. 

Les marais d’Aigues-Mortes deviennent un espace de création ?
Les directeurs des Salins du Midi à Aigues-Mortes m’ont permis d’y travailler, j’y allais assidûment et je me suis donc accaparé ce côté cristallin formé par l’eau et par la nature. Je me suis engagé un peu comme un paysan, et ma formation de sculpteur m’a permis rapidement de faire corps entre mon côté sculpteur et la nature que me proposait l’eau. Cela fait 30 ans que je fais ce genre d’expérimentation, et au-delà de l’expérimentation, c’est devenu rapidement une œuvre.

Le sel comme matériau ?
La mer est remplie de sel. En se déposant au fond de l’eau, il forme des particules infiniment petites ou infiniment grandes, faites de strates grâce à un procédé de sédimentation. C’est ainsi que je perçois même la peinture, sous une forme archéologique. 

C’est non pas une simple recherche archéologique, mais la construction d’une archéologie ?
Exactement. Avec mon travail de sculpteur, il y avait un travail du toucher. Quand je poussais avec les doigts la terre, que je modelais un corps ou une forme quelconque, déjà, je savais que c’est l’action intérieure qui poussait à rendre une matière informe pour lui donner une forme. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai pendant très longtemps appelé mes œuvres ‘forme-informe’ ou ‘des paysages autrement’. Ces termes ont été instantanément récupérés par mes idées et se profilent de plus en plus dans la manière dont je regarde la ville et le monde.

 

C’est ainsi que sont nées les statues de sel ?
Je cultivais un jardin. J’avais un espace, un plan d’eau d’un hectare. J’y ai planté tout un jeu de piquets pour retenir mes sculptures. Je rentrais dans l’eau, j’allais voir si l’aventure du sel et de l’eau fabriquait bien ce que je voulais réaliser en tant que sculpture, et j’allais comme un jardinier pouvait aller voir ses poireaux ou ses carottes. 

 

Si l’être humain cultive et consomme la nature, vous, l’artiste, la révélez ?
Le côté révélateur est essentiel. J’aime l’enfouissement, j’aime l’effacement, j’aime les strates, j’aime tout ce qui est accumulation. Tous ces termes tendent vers la notion du temps, de la perception du temps, ce qui devient un langage à la fois presque matériel—puisque je vais le lui donner une réalité—mais aussi philosophique parce qu’il se situe réellement dans un raisonnement. Ce mot ‘révéler’ est le chapeau de toute discussion sur cette phénologie et cette particularité d’aborder l’art. 

Et vous rattachez cette approche de l’art à votre travail d’architecture ?
Quand j’étais professeur à l’École Nationale Supérieure d’Architecture, je disais à mes étudiants que tout était parabolique. C’est l’homme qui a révélé la droite, mais tout est courbe dans la nature. C’est cela qui définit l’infini. Je ne suis pas mathématicien, mais simplement un artiste et je me suis tout de suite aperçu que les problèmes se situent dans un espace 3D et non pas dans une seule dimension. 

 

Il y a aussi vos carnets, des dessins au quotidien, que vous partagez sur Internet. Cela ressemble à une respiration nécessaire ?
Tu fais allusion à la bande dessinée que je fais le soir. Quand je rentre de mon travail à l’atelier, j’ai besoin comme une adrénaline de décharger complètement ma tête. C’est mental et c’est instinctif. C’est tout ce qu’on ne dirait pas et qui se dit parce que c’est un besoin de le dire et de l’affirmer. Et comme j’ai le sens, je crois, du dessin et de la couleur, sur mes petites pages, je remplis des carnets qui ne se veulent pas des carnets aboutis puisque c’est simplement une démarche quotidienne. En général, c’est bien à peu près 1000 dessins, 1000 intentions d’images que je projette tous les ans. J’ai besoin de donner corps, et c’est le cas de le dire puisque souvent, ce sont des corps nus, ce sont des corps qui ne sont pas habillés parce que ces images permettent mieux d’exprimer l’humain dans ce qu’il est le plus direct, le mettre à nu et le révéler nu. 

Cette volonté de dire quelque chose à travers l’art se révèle à vous progressivement ?
À l’époque des Beaux-Arts, je faisais beaucoup de portraits des filles de médecins ou d’avocats. Le monde tauromachique m’a aussi beaucoup influencé, il y avait tout dedans : il y avait l’esthétique, il y avait la couleur et il y avait la mort, les trois éléments qui sont aussi fondamentaux dans la nature. J’aimais surtout la beauté du taureau, l’animal est une merveille.

 

On retrouve l’expression artistique du taureau à New York, c’est aujourd’hui une sculpture célèbre, le Charging Bull, symbole du quartier de Wall Street. C’est à New York que votre trajectoire vous amène à présent. C’est pour cela même que nous nous parlons ici, à Arles.
New York est une plateforme indéniable pour montrer mon travail. Je suis sûr que les New-Yorkais vont le regarder d’une autre manière qu’ici en France et donc j’attends ça avec impatience. 

New York, la ville parmi les villes. Peut-être même un reflet de votre recherche artistique. Vous y êtes déjà allé ?
Pour moi qui parle de strates, de sédiments et d’accumulations, j’ai été absolument séduit par tous ces petits villages, on y rencontre des gens de toutes les origines, toute sortes de sociétés. Ils partagent New York par fragmentation. Et moi, je suis issu du fractal, je suis issu du fragment, et ma manière de fragmenter les choses et de les rassembler devient une identité. Comme avec mon travail, les New-Yorkais sont des points d’ancrage où chaque immigrant est à la fois séparé de l’autre et en même temps forme une identité propre, l’identité new-yorkaise. 

Ensemble, les New-Yorkais révèlent donc quelque chose ?
Quelque chose de vrai.

 

 

Exposition à New York des œuvres de Jean-Pierre Formica du 7 au 30 septembre 
Laverdin Fine Arts / Boccara Gallery | 232 East 59th street |

Ouvert du lundi au vendredi de 10h30 à 17h30

 

Jean-Pierre Formica

(c) JC Agid