

À 23 ans, Keny Arkana, entend bien profiter du "haut-parleur que lui donne le rap aujourd'hui"pour faire passer son message de révolte, mais aussi et surtout ses textes remplis d'humanisme. Son premier album "Entre ciment et belle étoile"s'est vendu à plus de 70 000 exemplaires. Une performance de taille pour une artiste indépendante, à l'heure où la musique se distribue de plus en plus en dehors des magasins
LePetitJournal : Qui est Keny Arkana ?
Keny Arkana : Je suis née à Marseille. J'ai participé à la création d'un collectif il y a quatre ans, "la Rage du Peuple", qui est apolitique. Je suis tombée dans le rap, à la base pour son côté contestataire. Ensuite, j'ai évolué aussi bien sur le terrain au travers d'actions que dans la musique."
Dans tes textes tu dénonces beaucoup le système en place. Qu'est-ce que c'est que le système pour toi ?
Je crois que le système, c'est le formatage, c'est ceux qui sont le système, uniformes dans leurs comportements individualistes. La vie s'arrête à leurs obligations. Maintenant, en rentrant dans l'industrie du disque, ma musique rentre dans le système, mais moi je n'y vais pas. Je ne suis pas rentrée dans leurs codes, je ne suis pas rentrée dans leur sphère. Les gens de la musique ne me connaissent pas, moi je ne les connais pas. Encore moins dans le show-bizz et compagnie. Je suis dans mon coin, sur le terrain, dans des forums?
Dans tes textes, tu dis que certaines personnes veulent ta mort. Qui sont ces personnes ?
Moi, je suis une enfant de foyer. J'ai grandi dans les griffes du système. J'ai vu très tôt l'hypocrisie entre le pays qui se déclare le pays des droits de l'homme et le fait qu'il ne respecte même pas le droit de l'enfant. Dans certains centres, t'es piqué jour et nuit et tu deviens un légume. Dans d'autres, on teste des cachets qui ne sont pas sortis dans le commerce.
D'où ta rage dans tes textes ?
Sûrement. Ces dommages-là, que j'ai vécus, sont irréversibles, sur le plan physique et moral. Tu es le fruit de ton vécu. Maintenant j'essaie de tourner ça en truc positif.
Justement quel est le rôle de la musique sur le plan personnel ?
À la base c'état un exécutoire. Ensuite j'ai grandi avec la musique, j'ai voyagé version sac-à-dos et à "l'arrache"? Et puis j'ai commencé à avoir la parole. J'ai senti le besoin d'en faire quelque chose de réfléchi. L'exutoire c'est alors sublimé, en quelque sorte.
Dans Victoria, tu sembles nourrir une relation forte avec l'Amérique latine. D'où ça vient ?
Je suis d'origine argentine. Victoria n'est pas une personne que j'ai rencontrée directement, mais il y en a plein des petites Victoria. Après, il y a un jeu de mot avec "hasta la victoria".
Et comment s'est passée la rencontre avec Claudio Gonzalez qui t'accompagne sur ce titre ?
Je l'ai juste vu chanter dans la rue il y a sept ans. C'était la première fois que j'allais en Argentine. Ma famille est originaire de Salta, mais je l'ai vu à Buenos Aires. Il chante souvent dans la rue marchande du centre, la rue Florida. Je m'étais dit que si un jour je faisais un album, j'irai le chercher. Les années passent. Sur le morceau Victoria je voulais faire un refrain un peu folklore, paysan. Puis je me dis que ça serait pas mal de le faire avec un Argentin qui se met dans la peau du père de Victoria qui essaie de la consoler, et qui du coup essaie de consoler le pays. Autour de moi, personne ne croyait que je pouvais le retrouver. On m'a proposé des chanteurs engagés? mais je le voulais lui. A ce moment-là, ma mère était en Argentine alors je lui ai demandé d'aller voir s'il était toujours dans la rue. Et il était là- bas. En plus le jour où je suis allé en Argentine pour qu'on enregistre le morceau, c'était l'anniversaire de sa fille. Il me dit : "Elle a 14 ans et elle s'appelle Victoria".
Que connais-tu de l'Amérique du Sud ?
Je connais bien le Mexique. Je suis allée au Chiapas, j'ai visité des communautés zapatistes, j'ai rencontré Marcos. Je me suis rendue dans des forums sociaux comme celui de Porto Alegre ou Bamako en Afrique. Mais je crois que je n'irai plus parce que c'est la grosse carotte. C'est de pire en pire. Pour les anti-institutionnels, c'est dur de voir autant d'institutions et de récupération. C'est bien pour choper des connections, mais ce n'est pas là-bas qu'on changera le monde. Enfin, c'est ce que je me dis.
Et quel est ton prochain projet musical ?
Je bosse sur un prochain cd, qui s'appellera Désobéissance. On avance bien. C'est un peu comme Ciment et belle étoile. Je commence pragmatique, ça finit un peu spirituel. Désobéissance civile, politique. Pour moi la première des désobéissances, c'est de rester humain.
Maintenant que tu as vendu beaucoup d'albums, il va peut-être y avoir des attentes de la part de ta maison de disque qui pourraient changer Keny Arkana ?
Je suis croyante. Ce qui m'incombe, c'est de faire les choses, avec le c?ur et intègrement. Quand on fait les choses bien, la vie te le rend. Il ne faut pas regarder le résultat, mais le principe qui motive le lancement d'un projet. Si ton principe est juste, la vie sera être juste. Et puis je ne me considère pas comme artiste à la base. J'ai la chance d'avoir un haut parleur avec le rap, tant mieux. Mais ma vie ne s'arrête pas au rap.
Maxime GORREGUES. (www.lepetitjournal.com) mardi 21 août 2007
Site officiel de Keny Arkana


































