Édition internationale

Rithya Caroline Ky, ou la mémoire de l’eau

Née d’un rêve d’astrophysique et portée par une passion pour les lettres, Rithya Caroline Ky est aujourd’hui une figure reconnue du traitement biologique de l’eau au Québec. Ingénieure, pédagogue et militante du lien, elle incarne une écologie des savoirs et des solidarités. De la modélisation des réacteurs à la reconnaissance du travail des opérateurs, son parcours dit quelque chose de plus large : que le soin porté à l’eau est aussi un soin porté au monde.

Caroline Ky entourée par Mathieu Laneuville, PDG de Réseau environnement et le représentant du WEFCaroline Ky entourée par Mathieu Laneuville, PDG de Réseau environnement et le représentant du WEF
Caroline Ky entourée de Mathieu Laneuville, PDG de Réseau environnement et du représentant de la Water Environment Federation (WEF) lors de la remise de la reconnaissance qui lui a été décernée lors du salon Americana - Photo LPJ
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 13 mai 2025, mis à jour le 15 mai 2025

 

 

Sous le ciel, la Terre

« Enfant, je voulais devenir astrophysicienne. J’adorais le ciel. » Rithya Caroline Ky prononce cette phrase sans regret, comme une évidence détournée par une autre force gravitationnelle : la Terre. C’est dans la matière, plus que dans le vide sidéral, qu’elle va inscrire son parcours. Elle choisit d’étudier le génie chimique à l’Université McGill, puis poursuit à Polytechnique Montréal avec une maîtrise en génie civil en traitement de l’eau. C’est là qu’elle découvre le cours d’épuration biologique, donné par le professeur Yves Comeau. « Ce fut un déclic. Comprendre que les micro-organismes pouvaient nettoyer nos pollutions, c’était à la fois simple et magique. » Impressionnée, elle choisira ensuite ce même professeur comme directeur de recherche.

C’est ainsi que naît une vocation, forgée par la rigueur scientifique et le désir d’utilité. Une maîtrise sur la modélisation de la déphosphatation biologique, des recherches sur les bactéries présentes dans les réacteurs séquentiels, un article sur la modélisation des bactéries présenté à Narbonne, en France, et déjà une première passerelle entre les continents.

 

 

L’intelligence du vivant

Très vite, Caroline Ky quitte les laboratoires pour le monde. De l’Ontario au Mexique à la Scandinavie, elle forme, conseille, enseigne la modélisation. Au sein d’une firme spécialisée dans la simulation de stations d’épuration, elle devient ambassadrice d’un logiciel de pointe. « J’ai enseigné en espagnol, au Mexique, et au Chili, au moins cinq fois. C’était fou. L’eau, c’est ce qui nous relie. Les problématiques sont universelles. »

 

 

Caroline au Mexique
Caroline au Mexique

 

 

À travers ces voyages, elle découvre non seulement des méthodes, mais aussi des contextes : les réalités financières, les enjeux sanitaires, les limites technologiques. Elle observe, compare, apprend. « En Finlande, ils pilotent leurs stations en temps réel avec des modèles intégrés. Au Québec, on a encore du chemin à faire. »

 

 

Un parcours académique au long cours

Aujourd’hui chargée de la mise aux normes de la station d’épuration des eaux de l'agglomération de la ville de Longueuil, Rithya Caroline Ky a construit son parcours académique comme on trace une constellation : en reliant des savoirs apparemment éloignés pour en faire émerger du sens. Après un parcours scolaire dans le système français (bac C avec mention très bien au Collège international Marie de France), elle choisit McGill pour y étudier le génie chimique, avec un mineur en biotechnologie. Un passage remarqué par une année d’échange à l’INSA de Lyon, où elle fréquente le club d’astronomie autant que les laboratoires.

Elle poursuit ses études à Polytechnique Montréal, où elle obtient une maîtrise en génie civil axée sur les traitements biologiques de l’eau. Ce bagage technique est rapidement complété, en 2000, par un MBA au Collège des Ingénieurs, une institution d’élite qui la fait voyager entre Paris, Montréal, la Suisse et l’Allemagne. « Ce fut un élargissement d’horizons. J’y ai découvert d’autres façons de penser les organisations, et l’importance d’agir avec rigueur, mais aussi avec sens. »

Fidèle à sa curiosité, elle n’a jamais cessé d’apprendre. En 2020, elle suit un MOOC en management responsable à l’Université Laval, puis en 2021, un autre sur les contaminants d’intérêt émergent – « un sujet que nous devons mieux maîtriser collectivement ». Plus récemment, en 2022, elle complète un microprogramme à l’Université de Sherbrooke en pratiques d’affaires pour cadres et gestionnaires. « À Longueuil, les défis sont concrets : améliorer en continu, gérer le changement, piloter les projets. Cette formation m’a permis d’outiller ces dimensions. »

 

 

Opérateurs de l'ombre

 

 

Écouter les opérateurs, honorer l’invisible

Mais ce n’est pas dans les conférences ou les congrès qu’elle puise son admiration la plus vive : ce sont les opérateurs qu’elle place au centre de son respect. « Ce sont eux qui assurent que l’eau soit propre. Sans eux, rien ne fonctionne. Ce sont des gens incroyablement débrouillards, des veilleurs silencieux. »

Ce lien avec le terrain, elle l’a renforcé au fil de son passage dans le génie-conseil, puis dans le secteur public. Elle dirige des équipes, coordonne des interventions, participe à des projets de mise aux normes, toujours en gardant une boussole : rendre visible ce qui ne l’est pas. « On ouvre un robinet. Mais on ignore tout du réseau invisible qui permet ce miracle quotidien. »


 

Un engagement sans posture

Membre active de Réseau Environnement, engagée dans une demi-douzaine de comités, elle a récemment reçu le prix Arthur Sidney Bedell Award soulignant son implication. « Je ne m’y attendais vraiment pas. J’ai simplement toujours fait mon travail avec engagement. » Animée par un sens profond du collectif, elle ne se limite pas à ses attributions formelles : elle tisse des liens entre chercheurs et ingénieurs, encourage le partage d’expérience entre villes et contribue à façonner les grandes rencontres du secteur.

« Je crois au pouvoir des ponts. Quand on partage ce qui fonctionne, tout le monde gagne. » Cette humilité volontaire est sans doute ce qui la rend si crédible. Chez elle, le mot réseau ne rime pas avec carrière, mais avec coopération.

 

 

Le Prix Arthur Sidney Bedell est une distinction prestigieuse décernée par la Water Environment Federation (WEF) pour reconnaître un service exceptionnel dans le domaine du traitement des eaux usées et des ouvrages d'assainissement. Le prix a été établi en 1948. Il porte le nom d'Arthur Sidney Bedell, qui était le deuxième président de la WEF.

Ce prix est un hommage à un.e pionnier.e dans le domaine du traitement des eaux usées et de l'assainissement, et vise à encourager et reconnaître l'excellence dans ce secteur crucial pour l'environnement et la santé publique.

 

 

 

Transmettre, pour allumer d’autres étincelles

Devenue ambassadrice de l’Ordre des ingénieurs auprès des jeunes, Caroline Ky intervient dans des écoles, participe à des foires scientifiques, et, cette année, s’implique dans l’événement Soapbox Science. « Il faut montrer que les femmes ont leur place dans les sciences. Et que les sciences ont leur place dans la société. »

Elle garde un attachement particulier à l’université. « J’aime assister aux présentations des étudiants. C’est ma manière de rendre ce que j’ai reçu. Un professeur m’a un jour ouvert une voie que je n’aurais jamais imaginée. Aujourd’hui, je me sens le devoir de passer le flambeau. »

 

 

 

La mémoire retrouvée

Il y a quelques mois, en interviewant son père pour un projet de mémoire familiale, elle découvre un détail oublié : son grand-père, ingénieur au Cambodge, avait été en charge de la gestion des eaux. « Je me suis dit : sans le savoir, je poursuis sa route. » Une boucle se referme. Ou peut-être s’ouvre-t-elle.

Depuis, elle confie ressentir « le besoin de mieux comprendre d’où je viens, et d’apporter quelque chose à ma communauté d’origine ». Elle apprend à parler cette langue qu’elle comprend mais ne pratique pas, envisage de s’impliquer à la fois localement – dans son quartier de Lachine – et, peut-être un jour, sur le terrain, au Cambodge. « J’ai longtemps mis entre parenthèses mes racines. Aujourd’hui, je veux les intégrer. »

 

 

L’eau comme sagesse

Chez Caroline Ky, l’eau n’est jamais qu’un fluide. Elle est matière, métaphore, et mémoire. « L’eau est un miroir de notre humanité. On y voit ce qu’on rejette, mais aussi ce qu’on veut préserver. » Elle compare les stations d’épuration à des reins artificiels, des organes de soin, discrets mais vitaux. « Ce n’est pas glamour, mais c’est essentiel. »

Dans un monde aux ressources de plus en plus disputées, elle prône une écologie du dialogue, une intelligence collective, une justice intergénérationnelle. « L’eau nous traverse tous. C’est un bien commun. Et un vecteur de paix, si on le veut. »

 

 

Éloge de l’invisible

Elle n’a pas choisi les étoiles. Mais elle éclaire un monde tout aussi vaste : celui des réseaux invisibles, des solidarités discrètes, des gestes quotidiens qui sauvent la planète sans faire de bruit. Peut-être que demain, au détour d’un fleuve, d’un échange ou d’un comité, elle trouvera encore de nouveaux ponts à construire. L’eau, après tout, ne s’arrête jamais.

 

 

 

Retrouvez Caroline au travers les articles qu'elle a rédigés sur l'eau et son pays, le Cambodge :

L’eau au cœur de la culture khmère

Un hommage au Tonlé Sap

L’eau au cœur de la cité hydraulique d’Angkor – essor et déclin

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