Insertion professionnelle, agriculture urbaine, sécurité alimentaire, éducation populaire… Sous la houlette de Benoist De Peyrelongue, la CCHM redéfinit l’impact social dans l’Est de Montréal. Une organisation pionnière qui conjugue solidarité, durabilité et innovation, dans un quartier souvent oublié des grands circuits économiques. Lauréate du prix Bill HART au Gala de la CCI de France au Canada, elle incarne une autre idée du progrès.


Un service traiteur et une cafétéria d’insertion au cœur du quartier
C’est un ancien de la restauration, qui dirige aujourd’hui l’un des modèles d’économie sociale les plus inspirants du Québec. Arrivé à Montréal en 1993, reparti, puis revenu avec femme et enfants, Benoist De Peyrelongue a fait le choix de quitter la restauration classique pour « s’adresser à l’humain autrement ». Depuis onze ans, il accompagne la CCHM, un OBNL ancré à Hochelaga-Maisonneuve qui emploie 43 personnes et forme chaque année une soixantaine de participants, souvent éloignés du marché du travail.
« L’objectif, c’est d’offrir une vraie passerelle vers l’emploi, avec des formations concrètes en cuisine, service à la clientèle, agriculture ou logistique », explique-t-il. Parmi les innovations récentes, un parcours d’insertion de 14 mois dédié aux personnes autistes ou vivant avec une déficience intellectuelle, avec un accompagnement prolongé sur deux ans pour assurer une intégration professionnelle durable. Des jeunes sans diplôme aux nouveaux arrivants, en passant par les personnes vivant avec des limitations fonctionnelles, la CCHM offre un espace d’accueil, d’apprentissage et de transformation humaine.

Une ferme urbaine dans l’Est de Montréal
Au-delà de ses cuisines, la CCHM a les deux pieds dans la terre. Littéralement. Sur des terrains prêtés par des entreprises comme la SAQ, Bimbo Canada, Scientific Games, Le 5600 Hochelaga, Lallemand et Fondaction, l’organisme a déployé 175 000 pieds carrés de surfaces cultivables, produisant jusqu’à 22 tonnes de légumes par an. En parallèle, une forêt nourricière et trois serres dont une quatre saisons récupérant la chaleur d’une imprimerie complètent un dispositif unique en milieu urbain.
« Ce sont des espaces de production, bien sûr, mais aussi d’éducation, de cohésion sociale, de dignité », insiste De Peyrelongue. Les produits récoltés alimentent les cuisines collectives, des paniers de saison, des marchés publics, et même sur des grandes tables Montréalaises, qui achètent les mêmes légumes que ceux donnés gratuitement à des familles monoparentales en HLM. « C’est ça, le droit à une saine alimentation pour tous. »
Une logistique mutualisée pour les organismes de l’Est
Avec le Pôle de l’Est, la CCHM est aussi devenue un acteur central dans la distribution alimentaire. Entre autres, Grace a un partenariat avec Moisson Montréal, elle coordonne un point de relais qui alimente plus de 43 organismes communautaires, jusque dans les quartiers les plus enclavés. Une mutualisation des ressources qui permet de limiter les déplacements, d’optimiser les livraisons et de réduire les coûts – autant économiques qu’environnementaux. Dans sa salle de transformation, l’équipe prépare légumes épluchés, blanchis ou congelés pour les organisations qui manquent de bras, leur permettant de continuer à nourrir leur public malgré la pénurie de main-d’œuvre. « On est un appui discret mais essentiel pour le tissu communautaire. »

Aussi, son Épicerie La collective a tarifications sociales permet un référencement par 16 autres organismes pour des citoyens en situation de précarité.
Des cuisines collectives comme levier d’émancipation
Née de cette tradition québécoise d’entraide, la CCHM place l’éducation populaire au cœur de sa mission. Les cuisines collectives, fondement historique de l’organisme, sont des lieux de transmission, d’autonomie et de convivialité. « En cuisinant ensemble, on apprend bien plus que des recettes : on partage des savoirs, on recrée des liens, on reprend du pouvoir sur son quotidien », souligne Benoist De Peyrelongue. Ces groupes – une quarantaine chaque année – rassemblent des familles monoparentales, des aînés, des personnes en santé mentale ou en situation de précarité, pour qui la cuisine devient un espace d’appartenance.
Une reconnaissance venue du monde des affaires
Cette approche transversale, à la fois solidaire, durable et ancrée dans le territoire, a récemment été saluée par la Chambre de commerce et d’industrie française au Canada. Lors de son Gala annuel, la CCHM a reçu le Prix Bill Hart.
Prix Bill Hart
Prix hommage créé à la mémoire de William (Bill) Hart, avocat montréalais disparu en juin 2024, figure emblématique des relations France–Québec. M. Hart a présidé, avec talent et engagement, la Chambre de commerce et d’industrie française au Canada.
« On ne s’y attendait pas du tout. Ce geste de reconnaissance, sincère et inattendu, nous a profondément touchés », témoigne Benoist De Peyrelongue. Pour lui, ce prix témoigne d’un tournant : « Il y a une ouverture croissante du monde des affaires à l’impact social. On commence à comprendre que des organisations comme la nôtre ne sont pas périphériques, mais essentielles. »
Un modèle québécois… à essaimer ?
Avec un budget de 4,7 millions de dollars, dont plus de 2 millions issus de la philanthropie, la CCHM s’impose comme un laboratoire de politiques sociales appliquées. Sa fondation, créée en 2022, s’attèle désormais à pérenniser l’impact de l’organisation, en constituant un fonds de dotation. « On ne vit pas sur nos lauriers. On veut aller plus loin, de façon responsable. »
À l’approche de ses 40 ans, l’organisme montre que l’économie peut se mettre au service du social sans renier l’excellence, ni l’ambition. La preuve ? Quand un ancien participant vous accueille, souriant, derrière une caisse de supermarché ou dans la salle d’un restaurant, c’est toute une communauté qui se remet debout.
Une graine pour l’avenir
Et si le modèle de la CCHM préfigurait une autre manière de penser l’entrepreneuriat social en ville ? En alliant inclusion, agriculture urbaine, éducation populaire et économie circulaire, l’organisme tisse des solutions locales à des défis globaux. Son ancrage territorial n’est pas une limite, mais une force : en cultivant la solidarité à l’échelle d’un quartier, elle montre que la transformation sociale passe d’abord par le concret, le collectif et le courage de faire autrement. Reste à savoir : combien d’autres territoires seront prêts à semer la même graine ?
Sur le même sujet
