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MARRAKECH - Place Jemaa El Fna : haro sur les animaux maltraités

Deux scientifiques dénoncent la maltraitance dont font l'objet des animaux au nom de l'animation touristique de la célèbre Place Jemaa El Fna à Marrakech{mxc}

Une attraction qui attire de nombreux touristes sur la célèbre Place Jemaa El Fna (photo LPJ Marrakech)

En novembre 2006, Julia Roberts, en tournage au Maroc, visite la Place Jemaa El Fna où elle refuse avec véhémence la proposition des montreurs de singe de poser avec une de leurs bestioles, scandalisée par ce spectacle d'animaux d'évidence maltraités. Voilà pour la légende. En réalité, comme des clichés l'ont attesté par la suite, la star d'Hollywood a posé avec un singe magot... Ainsi que l'a fait la plupart d'entre nous.
A la vue de ces photos, Pretty Woman a provoqué un tollé parmi les associations américaines de la cause animale, choquées par un comportement estimé écologiquement irresponsable.
Au Maroc, rares sont ceux qui dénoncent la maltraitance animale. Michel Aymerich et Michel Tarrier sont de ceux-ci. Le premier, entomologiste, travaille notamment avec l'Institut scientifique de Rabat. Le second est naturaliste et photographe. Il exerce au Maroc une activité de consultant dans le domaine du développement social en relation avec la préservation et la restauration des écosystèmes sahariens.
Leur dernière croisade concerne les animaux rencontrés sur la mythique place Jemaa El Fna. Depuis le Moyen-Âge, des montreurs de serpents et de singes s'y produisent et l'on y trouve toute sorte d'animaux, vivants ou morts, entrant dans la composition d'élixirs de sorcellerie. Avec l'arrivée massive des touristes, ces pratiques exotiques et folkloriques, mais toujours cruelles, se sont développées dans un silence assourdissant, auquel Messieurs Aymerich et Tarrier ont décidé de mettre un terme à travers une campagne de dénonciation.

{mospagebreaktitle=Pratique ancestrale}

Pratique ancestrale{mxc}
Michel Aymerich et Michel Tarrier évoquent tout d'abord le cas des serpents, souvent en voie d'extinction -cobras, vipères heurtantes, couleuvres de Montpellier. "Ils sont sourds et n'entendent pas la musique". Le charmeur de serpent n'est donc qu'un leurre qui repose en fait sur le simple comportement défensif de l'animal qui se dresse face à la menace. Leurs conditions de capture et d'entretien sont atroces : arrachage des crochets venimeux qui provoque des abcès et donc une mort longue et douloureuse, stress, mauvaise nutrition, etc.
Les deux scientifiques dénoncent le sort des singes magots, déjà victimes d'un trafic vers l'Europe, et qui, sur la Place, sont souvent battus et drogués pour les contraindre à amuser docilement les touristes contre quelques euros. Et les deux militants de souligner également le sort des caméléons, hérissons, tortues, écureuils, rapaces "étroitement incarcérés, dénutris, assoiffés, dérangés, manipulés, abasourdis, blessés, qui sont ici illégalement et honteusement en étal", dans les souks à proximité de Jemaa El Fna.
A la lecture des forums de discussion, on constate que leurs détracteurs ne manquent pas, arguant que :
- les conditions de vie de beaucoup de Marocains sont nettement plus difficiles que celles des animaux, comme à quelques mètres de là, au souk des ferrailleurs où des enfants travaillent le fer à terre toute la journée,
- il s'agit d'une pratique ancestrale, donc a priori éternelle,
- ces activités permettent de nourrir de nombreuses familles,
- les Européens qui les dénoncent ne sont que des colons donneurs de leçon, qui oublient de regarder les propres abus pratiqués dans leur pays.
A ceux-ci, Tarrier et Aymerich répondent que la préservation de l'environnement est cruciale pour l'avenir des Marocains car les écosystèmes sont la base de toute vie, y compris humaine. Par ailleurs, ne serait-il pas au contraire raciste de tolérer au Maroc ce qui nous choquerait et serait interdit en France ? Conscients que les pays du nord ont leurs propres "casseroles"en la matière (tauromachie, vivisection, combats de chiens, etc.), ils affirment que la protection des espèces ne peut s'arrêter aux frontières.
Mais surtout, ils appellent à une vision à long terme : les jeunes générations d'Occident, désormais très sensibles aux questions environnementales risquent de ne plus se satisfaire encore très longtemps des spectacles malsains de la Place. De plus en plus, ils privilégient des vacances écologiquement responsables et se détournent des destinations contraires.
Quant à la pseudo immuabilité de ces pratiques, l'exemple de la tauromachie est très révélateur. La ville de Barcelone et d'autres municipalités espagnoles l'ont interdite en 2004, malgré ceux qui se battaient pour son maintien au nom de la tradition et de la défense de leur patrimoine culturel.

{mospagebreaktitle=Convention de Washington}

Convention de Washington{mxc}
Au Maroc, une action pourrait être menée à différents niveaux pour faire évoluer la situation :
- les pouvoirs publics en faisant respecter la Convention de Washington sur le commerce international des espèces de la faune et de la flore menacées d'extinction, que le Maroc a signée et ratifiée, ou en sensibilisant la population à la préservation de l'environnement.
- les agences de voyage, les guides touristiques pour lutter contre l'ignorance des touristes, leur complaisance, voire leur complicité.
- l'UNESCO qui, après avoir inscrit la Place Jemaa El Fna sur la liste du Patrimoine mondial, ne peut faire fi de pratiques qui seraient condamnées sous d'autres cieux.
- les ONG marocaines, encore peu nombreuses dans ce domaine d'action, qui pourraient relayer le travail déjà réalisé notamment par le WWF.
Si demain les montreurs d'animaux ou les cages remplies de tortues disparaissaient, la Place Jemaa El Fna ne perdrait en rien la fascination qu'elle exerce sur ses visiteurs. Marrakech est suffisamment riche de talents et d'histoire pour les remplacer aux côtés des musiciens, conteurs, acrobates, cracheurs de feu, et autres saltimbanques tout en préservant sa précieuse identité culturelle.
Elodie MARTELLIERE. (www.lepetitjournal.com - Marrakech) mardi 29 janvier 2008

Plus d'info :
www.geos-nature.org
www.geres-asso.org