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PORTRAIT - Anariza, le sourire inconditionnel

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De gauche à droite : Genel, James, Riza et Lorraine.
Écrit par Raphaëlle Choël
Publié le 29 mai 2020, mis à jour le 3 juin 2020

Riza, tel est le surnom de cette douce philippine au regard de jais et à l’éclat unique. Soucieuse des autres, soucieuse de faire le Bien et, à juste titre, si fière du chemin accompli. J’ai rencontré Riza en février 2019 à Manille où je commençais une mission de Volontariat de Solidarité Internationale (VSI) qui dura treize mois. Promesse annoncée d’une belle rencontre…

Elles sont loin, et en même temps si proches ces années passées au Life Project Center (LPC) qui a vu fleurir et éclore la jolie fleur qu’elle est. 

Croire en un avenir meilleur 

Car tout n’était pas gagné d’avance pour Riza. Fille de fermiers spécialisés dans la culture du riz à Samar - une île située à 730 kilomètres de la capitale philippine -, ses parents pressentant un avenir meilleur, décident de s’installer en 1998 près de la ville-métropole. Dès l’âge de raison, la jeune femme évolue donc dans le bidonville d’Happyland, la bien nommée, aussi connue pour être une des plus grandes zones de pauvreté. Car en effet, aussi paradoxal que cela puisse paraître, si la misère - pourtant non misérable - est bien présente, les sourires fusent et la joie est résolument bien perceptible. Ses parents nourrissent alors le pieux espoir de trouver un emploi et d’offrir à leur progéniture une vie plus inspirante. La promesse de l’eldorado, coûte que coûte. N’ayant pas trouvé mieux, ils deviennent éplucheurs d’ail. Ils touchent précisément 150 pesos pour deux sacs d’ail épluché, ils parviennent généralement à en faire quatre par jour. De son côté Edmund, le frère de Riza, est ce que l’on appelle « un chiffonnier » : il trie les poubelles pour y récupérer quelques objets, généralement des verres en plastique qu’il revend ensuite au poids au junk shop (bric-à-brac) du coin. Ce modeste travail lui permet de gagner environ 150 pesos par jour, ce qui porte le montant total du butin familial quotidien à 450 pesos, soit 7.50 euros. Ils n’ont pas le choix, cela doit suffire à nourrir six personnes. Dans la chaleur et la moiteur infernale de Manille, la famille élit donc domicile dans une cabane de bois, en plein milieu de la décharge. Et contre toute attente, vivre au bidonville n’est pas sans frais, la famille doit verser la somme de 1800 pesos (30 euros) par mois à un « propriétaire » ; pour l’électricité, la famille se connecte directement au compteur du voisin, en mode communautaire. Ils partagent ainsi les frais : cas classique aux Philippines qui peut s’avérer fatal lorsqu’un trop grand nombre de personnes se branchent, un court-circuit, alors, se déclenche qui met le feu au quartier. 

Riza se souvient parfaitement de ses premières impressions d’Happyland : « Le lieu me semblait dangereux, il y avait pas mal de drogue et les constructions étriquées étaient toutes faites de bois, il y avait beaucoup d’inondations aussi puisque le bidonville se situe près de la mer ; aujourd’hui cela a changé, il y a davantage de béton et même s’il y a énormément de monde, il y a moins d’habitants depuis la politique de relocalisation vers Cavite ou Bulacan à une trentaine de kilomètres d’ici ». Elle se souvient aussi qu’en 2001 le gouvernement leur a offert un terrain, les parents de Riza ont ainsi pu construire leur propre maison, une aubaine pour ne pas avoir à payer de loyer. Riza travaillait comme vendeuse à Divisoria, LE marché agité de Manille. Employée à la journée dans une boutique de vêtements et de petite mercerie, elle gagnait la modique somme de 150 pesos (2.5 euros) par jour. Une fois le transport en Jeepney payé (12 pesos le trajet, soit 40 centimes d’euros au total par jour), il ne lui restait donc pas grand chose pour contribuer aux dépenses familiales. Pauvreté extrême, pollution rampante, chaleur humide, cafards et rats en tout genre, sans oublier le tumulte incessant mêlé à l’infernale puanteur. Oui c’est bien là que Riza a grandi et s’est affirmée. Coûte que coûte.

Tracer sa route

A force de courage et de détermination, à force de résilience plutôt que de résignation, la jolie brune a choisi de tout faire pour se dessiner un avenir, son avenir. A 22 ans, l’aube de jours meilleurs s’annonce lorsqu’elle décide de franchir la porte du centre LP4Y de Tondo, nom du bidonville où elle a grandi. LP4Y est l’acronyme de Life Project 4 Youth, (littéralement : projet de vie pour la jeunesse) une ONG 100% dédiée à l'insertion sociale et professionnelle de Jeunes, âgés de 17 à 24 ans, issus de l'extrême pauvreté et victimes d’exclusion. Faire le pont entre le monde indécent de la pauvreté et de l’exclusion, et le monde professionnel décent. Un pari ambitieux et prometteur puisque près de 2 500 jeunes ont déjà été accompagnés avec succès depuis la création de l’ONG pendant l’été 2009.

Ce jour-là, elle s’en souvient comme si c’était hier : « Je ne pourrai jamais oublier quand le début du reste de ma vie a commencé, LP4Y restera la meilleure expérience de mon existence. C’était le 24 septembre 2012, j’étais alors enceinte de 7 mois. Ma voisine Lady Teresa m’avait parlé de cette ONG qui aide les jeunes mamans de Tondo. Elle savait aussi que j’aimais bien la couture et qu’il y avait une micro-activité autour de la broderie qui pourrait me convenir. Elle m’a dit que c’était comme une école de commerce, que j’allais être guidée et que je percevrai même une indemnité. J’ai immédiatement été séduite ; je me suis dit que ce serait une bonne façon d’apprendre à planifier ma vie, et économiser. Je savais aussi que ce serait bien pour mon bébé ». Le premier jour de ce que l’on appelle traditionnellement la discovery week, (semaine de découverte) Riza est accompagnée d’une de ses amies. Timide et enceinte, elle se fait toute petite. Au terme de la semaine, elle confirme son souhait de rejoindre l’équipe en rédigeant une lettre de motivation. Comme il est d’usage, elle reçoit son uniforme, un polo violet aux couleurs de son programme de formation Aurora, un agenda qui lui servira à planifier ses semaines et un ID (Identity Document), une carte d’identité qu’elle voit comme un premier sésame, elle qui, comme beaucoup de jeunes Philippins n’a pas de certificat de naissance, ni papier officiel. Ce rituel initiatique est aussi structurant que réconfortant, Riza sent déjà qu’elle se trouve entre de bonnes mains. La route est longue et elle ne sera pas facile mais déjà elle savoure les prémisses et la promesse d’un avenir meilleur.

« J’étais intimidée de me retrouver ainsi parmi toutes ces jeunes mamans, j’avais peur d’être victime de railleries. Mais quelle chance j’ai eue ! car j’ai immédiatement rencontré Ate° Theresa, celle qui deviendra mon coach, elle était très gentille. Je parlais mal anglais donc je m’exprimais peu, j’étais calme et prostrée. Fuyante aussi. J’avais le sentiment que les autres jeunes femmes ne m’aimaient pas, je me sentais jugée. Souvent impressionnée et déprimée, j’ai à plusieurs reprises voulu tout arrêter à cause d’elles mais je m’accrochais à cette lueur d’un avenir meilleur. Je me repassais en boucle le film de mon coach : “positif Riza, pense positif !” » Et puis, devenue jeune maman, la pression de sa famille devient telle que Riza finit par céder et tout quitter : dans cet environnement culturel, quand on est maman, on se doit de s’occuper de son bébé et rester à la maison. Fidèle au poste, Ate Theresa vient régulièrement la voir lors des family visits, une véritable institution chez LP4Y. Cela permet aux coachs de voir dans quel environnement les jeunes évoluent et quels sont les défis et les enjeux de leur quotidien. Un jour où elle se rend chez Riza dans la moiteur d’une soirée annonçant le début de la redoutable saison des pluies, elle lui rappelle : « Riza, LP4Y sera toujours là pour toi, sache que si tu veux revenir tu seras à tout moment la bienvenue. Réfléchis et prends ton temps, ne sois pas gênée. » Plus d’un mois s’était écoulé depuis cette dernière entrevue, Riza parvint à convaincre sa mère de la laisser rejoindre l’équipe d’Aurora à nouveau. C’est ainsi que tout naturellement la grand-mère gardera la petite Lorraine tout en maintenant ses activités habituelles d’épluchage de gousses d’ail, et que Riza pourra terminer sa formation.

Renouer avec l’amour

Riza avait rencontré son premier mari, Ricky, en juin 2011. Comme la plupart des jeunes, elle parle de son mari mais il s’agit plus justement de son compagnon car il n’y a pas eu de cérémonie officielle. Si le mariage est trop cher à financer, ce sont surtout les formalités administratives en cas de divorce qui freinent toute velléité d’engagement formel. A Tondo, la plupart des jeunes femmes du centre ne sont donc officiellement pas mariées. Quand elle évoque Ricky, cet homme avec lequel elle exprime ne pas avoir connu beaucoup de joie, elle pleure en se souvenant de ses accès de violence. « On était ensemble depuis à peine trois mois qu’il me tapait déjà, cet homme m’a traumatisée et j’en porte encore les séquelles. Il travaillait au port maritime, il réparait les bateaux. Le soir, après sa journée il buvait et fumait avec ses copains, il rentrait saoul, drogué et me frappait. Et lorsqu’il savait que j’allais recevoir mon indemnité de LP4Y, il décidait sans raison de s’arrêter de travailler. » Abîmée par cet homme irrespectueux, menteur et cachant une double vie qu’elle finit par découvrir, elle décide de le quitter en mars 2015 pour sauver sa peau, quitte à décevoir ses parents qui, pensait-elle, ne croiraient pas à ces accès de violence.

Au moment où Riza décide de quitter ce mari qui la malmène, ses parents regagnent leur île de Samar au cours de l’été 2015. « Plus rien ne les retenait à Manille, nous sommes donc partis pour Samar. C’était une bonne chose pour ma sœur qui fumait du shabu° elle aussi, et sniffait du solvant à longueur de journée. Changer d’air ferait certainement beaucoup de bien à tout le monde », se souvient Riza. C’est ainsi qu’après avoir vendu la maison qu’ils avaient fait construire sur le terrain offert à Tondo, ils purent réinvestir les 70 000 pesos philippins (environ 1 160 euros) dans leur nouveau nid de Samar. 

Elle renoue aussitôt avec l’amour serein en la personne de Genel, un ami d’enfance qui fréquentait la même école qu’elle à Samar, devenu, depuis, garde de sécurité. Revenus tous deux à Tondo, ils officialisent rapidement leur idylle et le 27 janvier 2017 un petit garçon prénommé James vient agrandir la famille. Depuis, elle file le parfait amour, un amour fluide et respectueux, mérité et savouré.

Une résilience toute philippine 

Parmi les jeunes accompagnés, même si l’on ne sait jamais de quoi demain sera fait, Riza fait partie de ceux dont on a l’intime conviction qu’elle est bel et bien tirée d’affaire. Si elle rencontre une difficulté, nul doute qu’elle saura rebondir et faire face, grâce à tout ce qu’elle a appris à LP4Y et à toute l’expérience désormais acquise. « LP4Y est ma deuxième maison, une ONG solide à la fois par sa structure mais également une fondation pour moi-même parce qu’elle m’a rendue forte. Je dis toujours aux jeunes de ne pas perdre espoir même s’ils sont pauvres et qu’ils n’ont pas terminé leurs études. J’ai appris à construire mon futur et à oser réaliser mes rêves. J’ai aussi appris à avoir l’audace de l’ambition. A aborder la vie pas à pas, car je sais combien chacun d’eux compte. Aujourd’hui j’ai confiance et j’ose frapper aux portes ».

Quand la vie sourit à celle qui sourit

En mai 2014, Riza termine sa formation à LP4Y. En septembre de la même année elle devient coordinatrice de ce qui deviendra la Little Angels Academy, une crèche éducative créée par LP4Y où sont accueillis les enfants des jeunes femmes qui suivent les programmes de formation, afin qu’elles puissent suivre l’enseignement en toute tranquillité d’esprit. Des enfants de tout âge y sont accueillis, la plus jeune recrue a même été un petit garçon de quinze jours. Un petit bout de chou appelé Prince Nathaniel qui se sera bien remplumé dès son arrivée à la Little Angels Academy mais qui, malheureusement, s’éteindra cinq mois plus tard des suites d’une infection transmise par une eau polluée. Repose en paix petit ange… Il y a trop de drames de la sorte dans ce pays où la mortalité infantile atteint des niveaux dramatiquement élevés. 

Voici livrée crue la triste réalité des bidonvilles, une réalité avec laquelle Riza doit composer jour après jour, en gardant confiance, courage et le sourire. Sa tâche est devenue essentielle puisqu’elle dirige maintenant la Little Angels Academy. Parvenir à convaincre les mamans de confier leurs enfants, les assurer que leurs petits évolueront dans un espace sain, sécurisé et propice à leur éveil, deux objectifs qui sont devenus son challenge quotidien. Un pari gagné car la Little Angels Academy de Tondo, et son homologue de Payatas, située à une quinzaine de kilomètres au nord de Manille, sont de véritables havres de paix où hygiène, alimentation équilibrée, sport, jardinage, musique et jeux éducatifs assurent aux petits la promesse d’un début de vie presque normal. Certes, leur réalité domestique reste bien souvent constituée d’ordures ménagères et de la puanteur des décharges ; la Little Angels Academy est ainsi, le temps de la journée, leur petit paradis douillet niché dans un océan de misère. Un paradis où il fait bon vivre et où Riza a réussi le pari d’offrir le meilleur à ces tout-petits. Une chose est sûre, Riza nourrit secrètement au fond d’elle l’espoir de les voir un jour sortir du bidonville. A titre personnel, sa grande fierté est de pouvoir, grâce à son salaire actuel faire vivre douze personnes de sa famille.

La confiance : « le plus beau cadeau du monde »

En attendant, l’expression « à chaque jour suffit sa peine » prend ici tout son sens. Le bidonville d’Happyland a, une fois de plus, pris feu le 18 avril 2020. Forte des expériences menées avec ses coachs avec lesquelles elle se souvient être allée frapper aux portes pour obtenir, coûte que coûte, des donations de couches dans le quartier des affaires de Manille, Riza a, dès l’annonce des dégâts de l’incendie, pris son adjointe sous son aile et, comme elle l’avait fait quelques mois auparavant avec sa coach, elle a effectué la même démarche : frapper aux portes des voisins de la Little Angels Academy pour demander de l’aide. Et c’est avec les yeux encore humides et pleins de fierté qu’elle confiera ensuite : « ça a marché, nous sommes revenues avec des sacs plein de vêtements et des sacs de riz. J’étais tellement fière ! »

Audace et courage ne font désormais qu’un pour cette jeune femme au sourire inconditionnel qui irradie de l’amour des enfants qui le lui rendent au centuple quand ils la croisent dans la rue, même lorsque leurs mamans ont quitté le centre. « Nous avons un lien éternel, ils me regardent en disant que je suis leur "professeur". Cette appellation et la gratitude des mamans qui nous ont fait confiance sont le plus beau cadeau du monde ! »

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°1 - Ate signifie « grande sœur », c’est également un signe de respect lorsque l’on s’adresse à une aînée.

°2 - le Shabu est une drogue fumée.

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