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Escapade à Burias : ensemble, c’est tout !

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© Raphaëlle Choël
Écrit par Raphaëlle Choël
Publié le 22 novembre 2019, mis à jour le 30 novembre 2019

Voilà déjà neuf mois que nous sommes en mission à Manille ! Salve, notre nounou, « yaya », comme on dit ici, partage notre vie à Navotas dans notre petit appartement de 45 mètres carrés depuis tout ce temps. Dévouée et travailleuse, Salve, qui est la septième d’une fratrie de quinze, porte bien son nom de naissance, « Salvation ». C’est elle, en effet, qui, seule, fait vivre quasiment toute sa famille installée sur la petite île de Burias dans la province de Masbate. Séparée de son mari, elle a laissé là-bas ses trois enfants, Dominic, Alice et Baby Andrew, qui sont élevés depuis toujours par leurs grands-parents. 

Bien qu’elle ne se rende qu’une fois par an dans « sa province », comme elle aime à le dire, à Pâques, pour un chemin de croix particulier auquel elle tient beaucoup, Salve est très attachée à son village et à sa vie là-bas. C’est donc tout naturellement que le sujet de leur rendre visite en famille s’est posé. Nous avons profité des vacances de la Toussaint pour découvrir le lieu, au terme d’un long voyage. De Navotas, nous avons pris un Jeepney, LE moyen de transport philippin par excellence, puis le métro (LRT) afin d’éviter le trafic sur la fameuse Road 10 où les camions jouent à touche-touche jour et nuit sans répit. Arrivés au terminal du bus en avance, nous sommes allés nous rassasier chez Jollibee, le Mac Donald local. Prononcer ce mot magique devant tout Philippin fait à peu près le même effet qu’évoquer un jambon-beurre à un volontaire en mission depuis plus de six mois ! Le bus est finalement parti à 17h30, plus de treize heures de route ont été nécessaires pour rejoindre Piu Duran. De là, nous avons dû attendre encore cinq bonnes heures avant de monter dans une magnifique Bangka, un bateau traditionnel, prénommée Angelie qui nous a menés à bon port.

 

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Accueillis chaleureusement par tous les habitants du village - dont la moitié représenté par la famille de Salve - à Burias après trois heures de traversée, chaque enfant a été porté du bateau à la rive. Un jeune garçon s’est rapidement entiché de notre petite dernière, Eugénie, qu’il a prise sur ses épaules, tandis que Balthazar, notre fils de six ans, s’est retrouvé main dans la main avec un neveu de Salve et un carabao (buffle local). Une belle et raide montée par un chemin boueux avant de rejoindre ce qui sera notre gîte pour la semaine, une petite maison en bambou, nichée au milieu de nulle part avec pour seuls voisins toutes sortes d’animaux : canards, cochons, chiens, chats, coq… Nous avons immédiatement compris que nous partagerions désormais notre quotidien avec les habitants de la ferme.

Embrassades chaleureuses de la part des sœurs et de la maman de Salve, salut jovial et pudique de la part des hommes de la famille. A notre grande surprise, les enfants de notre « yaya » ne lui font pas la fête. C’est à peine si elle les cherche en arrivant, davantage préoccupée par ses affaires et l’installation de la maisonnée. Quand je lui demande où sont ses enfants : « Ah oui mes enfants, où sont-ils, ah ils sont là ! » répond-elle avant de les rejoindre pour les embrasser. La réalité parle d’elle-même : comme de nombreux petits Philippins, ces enfants semblent plus attachés à leurs grands-parents qu’à leurs parents souvent absents. Ces chérubins à la peau mate et au regard de jais n’en restent néanmoins pas moins gais et joyeux, rendant ainsi tout jugement inapproprié. 

 

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Une invitation à tout lâcher pour mieux se laisser surprendre

Nous laissons nos chaussures pleines de boue sur le pas de porte avant d’être conduits vers notre chambre, ou plus précisément l’unique chambre de la maison : un espace d’environ cinq mètres carrés où un lit de fortune, que nous partagerons à trois a été installé, les autres dormiront par terre sur un tapis épais prêté par une cousine vivant au bout de l’île. La semaine s’annonce pleine d’adaptation. La nuit, il faudra s’équiper d’une lampe torche et enjamber une demi-douzaine de corps endormis - dont les parents de Salve qui ont absolument tenu à dormir par terre sur une toile cirée à même le béton pour nous laisser plus de confort - pour rejoindre la salle de bain. Nous pensions être sortis de notre zone de confort en partant en mission, cette nouvelle réalité nous a permis de constater qu’il nous restait encore une marge de progression. Un peu inquiets au départ, avouons-le, nous acceptons ce nouveau défi et cette invitation à tout lâcher pour mieux se laisser surprendre.

Se laisser surprendre par nous-mêmes d’abord, par notre faculté d’adaptation ainsi que celle de nos enfants. Sans eau courante ni électricité mais avec un peu d’organisation, un esprit positif et surtout un bel élan de solidarité, nous témoignons que, résolument, tout est possible dans la vie. Chaque jour, dans cette maison que nous partageons avec plus d’une douzaine de personnes, les neveux de Salve se relayent pour aller au village chercher des bonbonnes d’eau de vingt litres chacune, portées sur le dos. De son côté, Ruben, le papa part avec sa machette à la recherche d’ingrédients pour préparer un repas. Levé aux aurores au chant du coq, il réapparait généralement autour de dix heures avec quelques okras, une poignée de longs haricots verts, du ube (igname, de la famille des tubercules) des feuilles de gabi (plante verte cueillie au sol), des bananes et un sac de poissons troqués au pêcheur du coin. Et si l’envie nous prend de boire une eau de coco fraîche ou de râper une noix sèche, un oncle file aussitôt grimper sur l’arbre pour rapporter de quoi nous combler.

Ici, dans cette vie ultra-simple, nous avons réalisé que les habitants ne vivaient en tout et pour tout que d’une dizaine d’indispensables au quotidien : essence (pour les bateaux et motos), riz, café, sucre, poudre de lait (le sacrosaint « Coffee mate » !), poisson, fruits cueillis ou ramassés (noix de coco, bananes, oranges vertes, calamansi (petit agrume), mangues etc), légumes et racines, et des animaux qu’ils sacrifient régulièrement afin de diversifier les apports nutritifs. Et dans cette petite île nous avons été heureux de constater qu’aucun enfant n’avait les dents noires, comme il est fréquent de le voir en mission. Les dents noires ne sont pas uniquement le résultat d’un manque de brossage - on compte en général une brosse à dent pour cinq personnes, utilisée pendant un minimum de six mois dans les bidonvilles de Manille -, cela est aussi dû à une alimentation déséquilibrée et à une consommation de sucre trop élevée.

 

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En une semaine, nous avons assisté à l’abattage d’un canard, de quelques poulets, cuisinés par la suite en  « adobo » (mélange de sauce soja et de vinaigre blanc), et surtout du cochon dont la scène nous restera en mémoire longtemps. Car en effet, pour la Toussaint, il est de coutume de se lever à 3 h du matin pour tuer le cochon. Après cette expérience, nous avons acquis une certitude : se faire réveiller par ce bruit atroce donne immédiatement des élans de véganisme !

Une déconnexion totale

Le lendemain, Salve, qui ne se sentait déjà pas bien depuis 24 heures, a vu sa fièvre monter. Clouée au lit, la famille a immédiatement fait appel à une guérisseuse qui nous a offert un spectacle étonnant de bougies brûlées et de lecture d’assiette à la recherche d’esprits maléfiques ayant agi sur notre pauvre nounou. Le jour suivant, elle était sur pied en effet. Chaque matin, nous installions notre routine. Nos enfants préféraient rester à la maison jouer avec les animaux et taper la carte avec la ribambelle de cousins qui, en une semaine, ont appris tour à tour, la bataille, le rami, le kems et le Dobble. Je suis toujours émerveillée par cette magie enfantine qui permet de tisser des liens et de se comprendre malgré la barrière de la langue. A cet âge là, et à tout âge finalement, quand on le veut bien, on peut échanger et expliquer des règles de jeux avec quelques mots communs d’anglais, et par le mime. Tandis que nos trois aînés étaient affairés avec la famille de Salve, notre petite benjamine de deux ans avait, elle, conquis le cœur d’une cousine qui avait demandé si elle pouvait l’emmener chez elle pour la journée. Nous avons accepté sans réaliser qu’elle n’habitait pas tout près.  Notre fille a dû finalement y passer la nuit ainsi qu’une bonne partie du lendemain, à cause de la pluie. Quand nous l’avons retrouvée, elle était tout à son aise, absolument pas déboussolée et semblait ravie d’avoir découché ! La gentillesse est une valeur philippine forte ; ici, quand on confie son enfant, on sait qu’il est bichonné et dorloté comme jamais. De notre côté, nous avons enfin pu prendre un peu de temps à deux, loin du bruit, de la pollution, des ambiances confinées et de la chaleur accablante de Manille, pour savourer des balades sur une plage de sable blanc, dans de grands espaces et à l’air pur, nager dans une mer tiède et accueillante, faire un tour de bateau, et nous poser avec les habitants. Ne rien faire, être avec eux tout simplement. Ensemble, c’est tout… Le titre du roman d’Anna Gavalda ne me quitte pas de la semaine, tant cela résonne en moi. Aider un pêcheur à remonter son filet, jouer aux billes avec les enfants du coin, les regarder fabriquer des petits objets en boue qu’ils travaillent avec minutie telle de la pâte à modeler, assister à un affreux et sanglant combat de coq clandestin, papoter avec la marchande de poisson qui attend les arrivages quotidiens des pêcheurs et à laquelle nous achetons régulièrement poulpes, calamars et autres petits poissons aux noms méconnus mais délicieux.

 

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Alors que nous sortons de notre baignade, seuls au monde sur cette magnifique plage qui n’avait jamais vu un quelconque touriste auparavant, la jeune femme de 46 ans, mère de dix enfants, nous offre une assiette de poisson grillé fraîchement pêché avec un bol de riz. La poissonnière s’appelle Mercy, elle porte bien son nom elle aussi! Impossible de lui régler ce repas dégusté sur la plage, cela fait partie de l’hospitalité philippine. La veille déjà, alors que nous cherchions à acheter des petits pains à l’autre bout de la plage et que je n’avais pas de monnaie sur moi, un jeune homme était venu à nous : « Bonjour, je m’appelle Bryan, j’ai entendu dire que vous vouliez du pain mais que vous n’aviez pas d’argent, tenez voici 30 pesos ! ». Stupéfaits par autant de gentillesse et de générosité, nous avons refusé, un peu gênés néanmoins de l’avoir peut-être blessé, mais résolument touchés par tant d’amour. « Ici, non seulement on n’arnaque pas les touristes, au contraire on les nourrit et on leur donne de l’argent. C’est un joli monde à l’envers ! », avons-nous bien plaisanté. De retour dans la cabane de Mercy où nous avions élu domicile en journée, nous avons continué nos échanges limités mais agrémentés de sourires et d’éclats de rire. Tous se demandaient d’où nous venions, si nous étions Américains et où nous habitions. Nous leur avons expliqué que nous étions « en mission » - on utilise davantage le mot anglais "missionary" que "volunteer" ici - , ce qui , généralement, rend compte d’ une connotation religieuse, si bien que dès que nous avions un livre entre les mains, tous pensaient que nous passions nos journées à lire la Bible !

 

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Au terme d’une semaine hors du temps, de déconnexion totale, loin du monde digital et de tout monde à vrai dire, nous avons repris une Bangka au petit matin, avant de monter dans un bus et de retrouver petit à petit contact avec ce qui nous semble maintenant être « la civilisation » et qui, avant d’arriver, nous semblait encore si loin de notre monde occidental. Comme quoi tout est relatif. Nous avons retrouvé notre appartement de Navotas au confort sommaire, qui nous a pourtant paru spacieux et parfait. Le luxe est ici encore relatif. Prendre une vraie douche, même si elle est froide, ne pas marcher dans la boue en sortant de la salle de bain, dormir sans coq pour voisin de chambre, voici notre confort retrouvé, un confort qui, encore une semaine auparavant nous semblait pourtant parfois éprouvant. Sortir de sa zone de confort, couper de son quotidien, accepter de lâcher prise et de se laisser guider par la Vie, voilà la belle leçon que nous avons tirée de notre séjour sur l’île de Burias. La grande question qui me taraude est de savoir combien de temps cet effet positif durera… Même interrogation pour le retour de mission : combien de temps nous faudra t-il avant d’estimer « normal » et « acquis » notre confort de vie à l’occidentale ? D’où la nécessité de travailler sur la pleine conscience de ce que dont nous jouissons au quotidien, sans rien considérer comme acquis pour toujours. La grande leçon du séjour restera aussi ce magnifique accueil où simplicité et générosité ne font qu’un. Une chose est certaine, si l’hospitalité était un pays, elle serait résolument Philippine !

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