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COS’È ? – Le tatouage en Italie : un phénomène de société

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 8 juillet 2014

Encore considéré comme marginal, il y a 20 ans, le tatouage s'est largement démocratisé en Europe et particulièrement en Italie. Petits et cachés, grands et apparents, les modèles se multiplient. Nous avons mené l'enquête sur les origines, les coutumes, les législations liées au tatouage en Italie. A cette occasion, deux tatoueurs milanais ont répondu à nos questions.

Les origines

Le mot tatouage prend ses racines dans le mot tahitien tatau, il signifie marquer, dessiner ou frapper. Les premiers textes où le mot apparait sont ceux du docteur Berchon, traducteur du deuxième voyage de Cook vers Tahiti en 1772. Les premières traces de tatouage datent cependant d'avant 1722.

En 1991, un couple de randonneurs découvre un homme momifié et congelé à 3.210 mètres d'altitude à la frontière entre l'Italie et l'Autriche dans le glacier du Hauslabjoch. L'homme, appelé Ötzi par les scientifiques, arborait des tatouages supposés thérapeutiques sur les lombaires et les jambes. Après sa découverte, les analyses estiment sa mort à 3.500 av. J.-C.

Au 8e siècle, le pape Adrien bannit le tatouage, ainsi que toutes les marques corporelles d'inspiration païenne. Le judaïsme interdit aussi toute inscription entaillée et marquée à l'encre indélébile sur la peau. Un passage de la Bible disait même "Vous ne ferez point d'incisions dans votre chair pour un mort, et vous n'imprimerez point de figures sur vous. Je suis l'Éternel".

Anciennement, le tatouage serait donc mal considéré dans la culture occidentale à cause des condamnations judéo-chrétiennes dont il a fait l'objet. Le tatouage a retrouvé ses lettres de noblesse dans les années 1990. Il n'est plus un signe d'appartenance à un groupe mais devient un signe de différenciation, d'unicité, ou encore d'originalité. Le motif ou l'inscription a alors toute son importance.

"Un tatouage doit être unique. Et c'est ce que je garantis à mes clients" affirme Paolo, 55 ans. Le quinquagénaire possède sa propre boutique à Milan : le Charly's Tattoo, non loin de la Porta Romana. Dans le métier depuis maintenant 25 ans, Paolo est très connu dans le milieu du tatouage. Au fil des années, il a su imposer son propre style. Les clients affluent d'un peu partout pour se faire tatouer. Il est notamment le tatoueur des rappeurs italiens J-ax, Marracash ou encore Gue Pequeno.

"J'ai mon propre style. Mes clients viennent au Charly's Tattoo parce que je leur apporte un plus : un tatouage unique. Je suis comme un peintre. Un peintre a son propre style, après il plait ou pas : c'est une question de goût. Les gens qui se prétendent tatoueurs alors qu'ils ne font que recopier des tatouages déjà existants ne sont pas de vrais tatoueurs pour moi" ajoute Paolo. 

"Un tatouage c'est quelque chose de très personnel. J'ai fait mon premier tatouage chez un tatoueur parisien il y a maintenant plus d'un an. J'ai décidé de faire une ancre de bateau sur mon avant bras droit. Pour moi, l'ancre représente la liberté, la mer, le voyage. Quand j'étais enfant, on a beaucoup voyagé avec mes parents : Gabon, Ile de la Réunion. Les sorties en mer avec mon père étaient de coutume. Ce tatouage me remémore tous ces bons moments. J'ai d'ailleurs décidé de me lancer pour mon deuxième tatouage. Je pars dans quelques semaines à New-York, j'ai prévu de le faire là-bas, comme un petit clin d'?il à cette ville que j'apprécie particulièrement".

Charlotte, 22 ans, attachée de presse

Le tatouage au XXIe siècle

Dans l'ensemble des pays européens, les chiffres montrent une large augmentation des personnes tatouées. En quelques années, le phénomène a pris une ampleur considérable. Une recherche menée en 2010 au Royaume-Uni concernant le développement de l'industrie du tatouage en Europe révèle que 20% des Britanniques ont un tatouage, dont 29% ont entre 16 et 44 ans. Cela va de pair avec une augmentation considérable des salons de tatouage, dont le nombre est passé de 300 en 1990 à plus de 1.500 aujourd'hui.

La dernière étude concernant la France est celle faite par l'IFOP en 2010. Elle révèle qu'un Français sur dix déclare s'être fait tatouer au moins une fois. Cette même étude indique que 9 % des femmes étaient tatouées contre 11 % des hommes.

La pratique du tatouage reste très liée à l'âge : un jeune Français sur cinq âgé de 25 à 34 ans déclare posséder un tatouage, soit une proportion deux fois plus élevée que la moyenne. La catégorie sociale rentre aussi en jeu. Les ouvriers s'avèrent les plus concernés en termes de tatouages : 19% de la population française dite "ouvrière" est tatouée. A l'inverse, chez les cadres, la pratique se révèle plus rare, seulement 7 % se déclarent tatoués.

Malgré cette popularisation, l'industrie du tatouage en Italie vit des heures difficiles. "Ces derniers temps, le milieu du tatouage ne va pas très bien en Italie et d'après quelques amis français, c'est la même situation en France. Cela est surtout dû à l'image qu'un tatouage peut véhiculer. Aujourd'hui, une personne tatouée aura plus de mal à trouver un emploi qu'une personne non tatouée. Même si quelqu'un se présente avec une tenue impeccable et démontre avec brio toutes ses capacités, s'il possède un tatouage apparent, les gens resteront un peu plus hostiles envers lui. Nous sommes pourtant au XXIe siècle, mais l'image est ce qui compte le plus aujourd'hui" nous confie Paolo, 42 ans, gérant du Animal Tattoo dans le quartier d'Abbiategrasso, au sud de Milan.

Pourtant, on dénombrait plus de 5 millions de personnes tatouées il y a deux ans. Ce qui faisait du pays, l'un des plus tatoué d'Europe. "C'est vrai qu'en Italie, les gens sont pour la plupart tatoués. Cependant, il y a tatouages et tatouages, la majorité possède de petits tatouages. Il y a quand même peu de personnes qui affichent de très gros tatouages, ou en tout cas, pas autant que dans d'autres pays européens" nuance Paolo du Charly's Tattoo.

Le XXIe siècle annonce néanmoins un changement en Italie. En 2013, un sondage annonce que 40 % des Italiens ayant fait un tatouage regrettent leur geste et souhaiteraient y remédier. L'image qu'il véhicule, notamment dans le cadre professionnel, est un facteur décisif pour bon nombre d'entre eux. "Dans la plupart des cas, ceux sont des jeunes hommes autour de 30 ans qui pour des raisons d'insertion sociale dans le monde du travail sont obligés de prendre cette décision. En fait, il y a beaucoup de professions dans lesquelles le tatouage est synonyme de bandit" déclarait Ezio Maria Nicodemi, professeur à l'Université de Tor Vergata à Rome et chirurgien plasticien, à l'occasion de l'Exposition internationale de tatouage de Rome en 2013.

"D'après moi, l'Italie est un des pays qui a fait exploser l'industrie du tatouage. Mais il a explosé pour certaines générations : les jeunes, les trentenaires. A côté de ça, il y a encore énormément de gens qui voient le tatouage comme quelque chose de mauvais" affirme le patron du Animal Tattoo.

"Dès que je fais un tatouage, je sors à peine de chez le tatoueur, qu'une nouvelle idée me prend. Je me freine un peu tout même ! Pour l'instant j'ai une fleur de lys sur l'avant bras droit et des inscriptions romaines sur l'autre. Le dessin du prochain est fini, je le ferai aux Etats-Unis dans deux mois, à l'occasion d'un voyage entre amis".

Aymeric, 23 ans, étudiant en communication

Réglementation intransigeante

Il n'existe pas de diplôme pour devenir tatoueur. Toute personne sachant dessiner peut, si elle le souhaite, ouvrir une boutique de tatouages. Cependant il y a des règles d'hygiène à respecter, des taxes à payer, des formalités à prendre en compte quant aux produits.

"Il y a énormément de règles à respecter. Cela apporte beaucoup de complications mais c'est nécessaire, notamment les règles d'hygiène qui sont très importantes. Le problème c'est que beaucoup ne respectent pas ces règles. A Milan, il y a des tatoueurs qui font leur business chez eux. Ils ne payent aucunes taxes et les règles d'hygiène sont généralement peu respectées. Il faut faire attention" préconise Paolo de l'Animal Tattoo.

Au delà d'une législation à respecter scrupuleusement, la morale entre aussi en compte. Les tatoueurs peuvent aussi refuser de tatouer certains clients. "Lorsque je vois que la peau d'un client n'est pas adéquate, je peux refuser de faire le tatouage. C'est une question de professionnalisme. Sinon, je ne dis jamais non. Evidemment, certains tatouages ne me plaisent pas, mais c'est aussi mon boulot de faire ce que le client désire. En ce qui concerne les signes extrémistes comme les signes fascistes ou nazis, je ne les fais pas. C'est un choix, d'autres tatoueurs le font. Pour moi, c'est un non intransigeant"  conclut Paolo de l'Animal Tattoo.

Elise Quinio (Lepetitjournal.com de Milan) ? mardi 8 juillet 2014

Charly's Tattoo, Via Crema, 4, Milan. Métro 3 Porta Romana. Tel : + 39 02 87 38 50 83. Mail : info@charlystattoo.com. Ouvert 7 jours sur 7 de 10h à 20h.

Animal Tattoo, Via Montegani, 47, Milan. Métro 2 Abbiategrasso. Tel : + 39 347 25 49 703. Mail : docki@hotmail.it. Ouvert du lundi au vendredi de 11h à 19h.

Crédits photos : EQ pour lepetitjournal.com

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Publié le 7 juillet 2014, mis à jour le 8 juillet 2014
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