Dans cette tribune, le conseiller des Français de l’étranger Gilles Servanton alerte sur les effets délétères de la dématérialisation des services publics, en particulier pour les retraités expatriés en Espagne.


Il est urgent de remettre l’humain au cœur de l’action publique.
L’éloignement des services publics, essentiels à la vie quotidienne, se fait d’autant plus sentir lorsqu’on réside à l’étranger. Les Français vivant en Espagne, malgré la proximité géographique et l’appartenance à l’Union européenne, n’échappent pas aux difficultés engendrées par la quasi-disparition du contact avec un agent expérimenté et à l’écoute.
Pire encore : des dysfonctionnements graves des logiciels utilisés par les administrations peuvent aller jusqu’à l’interruption soudaine d’une pension de retraite, d’une allocation ou d’une bourse.
L’inquiétant précédent du logiciel Louvois
Ce constat n’est malheureusement pas nouveau. On se souvient du logiciel LOUVOIS, censé assurer le paiement des soldes militaires. En 2011, de nombreuses familles ont subi l’arrêt brutal de leurs revenus, alors que les soldats servaient la France à l’étranger, laissant leurs proches sans ressources. Il aura fallu attendre 2019 pour que ce système soit enfin remplacé.
Malgré ce précédent lourd de conséquences, les services publics — tous ministères confondus, en particulier les impôts, la sécurité sociale, les consulats — ainsi que les banques poursuivent, au nom de la modernité, le déploiement de nouvelles plateformes numériques.
Une dématérialisation qui coûte cher aux plus vulnérables
En réalité, la suppression d’emplois humains semble être la véritable motivation de cette politique. Elle impose à chaque citoyen, en France comme à l’étranger, de disposer d’un ordinateur, d’un téléphone portable et d’un accès à internet à domicile. Pour la moindre démarche — renouvellement d’une pièce d’identité, demande de prestation — il faut désormais prendre rendez-vous en ligne auprès du consulat général le plus proche.
Certes, je me félicite de la fluidité de FranceConnect, qui simplifie l’accès aux services publics. Mais une part importante des Français vivant en Espagne se sent exclue de ces outils, souvent trop coûteux ou trop complexes à maîtriser. Il ne faut pas oublier la communauté nombreuse et fragile des seniors, particulièrement exposée.
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L’angoisse des retraités français en Espagne
L’exemple le plus récent, et véritable déclencheur de ce message, est le dysfonctionnement du système informatique du service des retraites de l’État, lié à la mise en place d’un nouveau logiciel de paiement.
Depuis le mois d’avril, de nombreux retraités en Espagne, comme ailleurs, constatent des écarts ou des suspensions de versements, qui perdurent. La communication des services concernés est notoirement insuffisante : les pensionnés découvrent ces anomalies en consultant leur compte bancaire, et doivent affronter seuls les difficultés de trésorerie qui en résultent.
L’urgence d’un accompagnement humain

En tant que conseiller des Français de l’étranger, je tiens à souligner l’angoisse profonde que ces situations provoquent. J’invite les pouvoirs publics à mesurer la détresse de nombreux compatriotes qui, faute d’épargne, peinent à faire face à la suspension imprévue de leurs revenus.
Oui, il faut saluer les avancées numériques : le bon fonctionnement du système consulaire pour l’inscription au registre des Français de l’étranger, la mise en place du vote électronique, ou encore l’expérimentation du renouvellement électronique du passeport…
Mais nous devons exiger, avec la même détermination, le maintien du lien humain. Il n’est pas acceptable que l’automatisation totale se fasse au détriment des plus vulnérables. Les services des retraites de l’État doivent instaurer une information claire et anticipée en cas de difficulté de paiement, et prévoir un accompagnement personnalisé des Français isolés, en lien avec les consulats et les ambassades.
Il est urgent de remettre l’humain au cœur de l’action publique. C’est la condition pour que la modernité reste un progrès — et non une source d’exclusion.