Édition internationale

Kareen Rispal : "En Espagne, le défi est d’approfondir une coopération déjà solide"

À l’occasion du 14 Juillet, et alors qu’elle achève ses six premiers mois à la tête de l’Ambassade de France à Madrid, Kareen Rispal revient sur les grandes lignes de sa mission et le sens qu’elle donne à son action.

Kareen Rispal ambassadrice de france en EspagneKareen Rispal ambassadrice de france en Espagne
Kareen Rispal, Ambassadrice de France en Espagne / © MEAEJudith Litvine
Écrit par Vincent GARNIER
Publié le 12 juillet 2025, mis à jour le 14 juillet 2025

Diplomate d’expérience, première femme nommée ambassadrice de France en Espagne, elle incarne une approche exigeante et humaine des relations bilatérales. Engagée pour l’Europe, attachée à la voix des Français de l’étranger, elle trace dans cet entretien les contours d’une diplomatie du lien : innovante, inclusive et profondément ancrée dans les valeurs de la République.

 

Vous avez pris vos fonctions à Madrid il y a six mois. Avant cela, vous avez occupé plusieurs postes majeurs dans la diplomatie française. Quels ont été, selon vous, les moments clés de votre carrière ?

Ce qui caractérise ma carrière, c’est sa grande diversité. J’ai commencé dans les cabinets ministériels, où j’ai appris à travailler vite, intensément, et à développer un sens politique fort. Une grande partie du début de ma carrière a ensuite été consacrée aux affaires européennes, un domaine très exigeant qui m’a formée à la négociation, à l’analyse technique et politique, et à la gestion de dossiers complexes.

J’ai également été l’avocate du gouvernement français à la Cour de justice de l’Union européenne, à Luxembourg, ce qui m’a permis de manier la rhétorique et apprendre à défendre nos positions dans un cadre juridique exigeant.

 

Cette expérience m’a beaucoup appris sur les méthodes de travail du monde économique, que j’essaie de mobiliser dans mes fonctions actuelles

Ensuite, j’ai eu une expérience américaine très formatrice : d’abord à New York comme conseillère culturelle pour les Etats-Unis, puis comme directrice des Amériques, responsable de la relation bilatérale entre la France et 35 pays d’Amérique du nord, d’Amérique latine et de la Caraïbe. C’était un vrai défi stratégique, qui m’a préparée à penser globalement en termes d’influence française, tout en devant m’adapter à la particularité de la relation bilatérale avec chacun de ces pays.

J’ai aussi été ambassadrice au Canada, dans un pays continent où les enjeux étaient très variés dans tous les domaines. Enfin, j’ai fait un passage également dans le secteur privé, dans un groupe du CAC 40, en charge des affaires publiques et du développement durable. Cette expérience m’a beaucoup appris sur les méthodes de travail du monde économique, que j’essaie de mobiliser dans mes fonctions actuelles.

La carrière de Kareen Rispal, en 10 points clés

- Titulaire d’une maîtrise en droit public, diplômée de Sciences Po Paris, et ancienne élève de l’École nationale d’administration (promotion Denis Diderot, ENA 1986) 

- Sous-directrice du droit communautaire et international économique (1997-2000), puis première conseillère à l’ambassade de France à Londres.

- Directrice de cabinet de la ministre des affaires européennes , Noëlle Lenoir , puis directrice adjointe de la coopération européenne au MEAE (2002-2005)

- Conseillère culturelle à l’ambassade de France aux Etats-Unis,  (2006-2010)

- Directrice des affaires publiques et du développement durable chez Lafarge (2011-2014)

- Directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère des Affaires étrangères, tout en assurant la fonction de « Haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes » au Quai d’Orsay, siégeant également au Haut Conseil à l’égalité (2014-2017)

- Ambassadrice de France au Canada (2017 2022) : première femme à occuper ce poste en Amérique du Nord 

- Lauréate du Prix Fem’ENA 2021, récompensée pour son engagement constant en faveur de la parité et de la promotion des femmes à des postes de décision 

- Inspection générale des Affaires étrangères. Nommée quelques jours avant le déclenchement de la crise russo ukrainienne, elle supervise les inspections du réseau diplomatique dans un contexte géopolitique complexe.

- Janvier 2025 : Ambassadrice de France en Espagne


Comment vos expériences au sein de vos postes Outre-Atlantique vous ont-elles préparée à votre mission actuelle en Espagne ?

Ces deux postes m’ont appris à diriger de grandes équipes et à mettre en œuvre des stratégies dans des contextes très variés. Quand on est directrice des Amériques, on passe du Pérou aux États-Unis en quelques heures de réunion : il faut assimiler une grande masse d’informations, connaître chaque pays, et articuler une vision cohérente.

 

Le défi, n’est pas tant de construire, mais d’approfondir en permanence une coopération déjà solide

À cela s’ajoute la nécessité de bien comprendre les grandes crises internationales, car le dialogue avec les Américains portait plus sur les crises internationales que sur les sujets purement bilatéraux.

Au Canada comme en Espagne, la relation bilatérale est déjà très structurée et riche. Le défi, n’est pas tant de construire, mais d’approfondir en permanence une coopération déjà solide. Dans le cas de l’Espagne, comme avec tout ami, il faut continuer à nourrir régulièrement notre relation. Il faut sans cesse chercher à faire mieux, à innover, à rapprocher davantage nos sociétés.

 

Kareen Rispal Madrid
Rencontre avec FrenchFounders - Women in leadership à Madrid / Ambassade de France en Espagne


Quel est votre bilan en tant que femme diplomate et très engagée à titre personnel concernant la place des femmes dans la diplomatie française ?

En effet, j’ai été haute fonctionnaire à l’égalité au ministère des Affaires étrangères et je suis très engagée pour la parité. Je crois fermement aux quotas, car c’est un mal nécessaire. Sans objectifs chiffrés, les mauvaises habitudes reviennent.

 

Je crois fermement aux quotas

On a pu me faire à moi aussi la réflexion que ma réussite tenait aux quotas. C’est possible, mais je ne suis pas moins compétente pour autant. Aujourd’hui, certains postes n’ont encore jamais été confiés à des femmes : Washington, la représentation permanente auprès des Nations unies, la représentation permanente auprès de l’Union européenne, Tokyo... Mais ce qui m’importe c’est que nous continuions à enregistrer des avancées. Elles ont été réelles ces dernières années, même si les équilibres restent fragiles. Quand j’étais ambassadrice au Canada, il y avait autant d’ambassadrices que d’ambassadeurs dans nos ambassades dans les pays du G7. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une. Mais je reste optimiste, car nous avons mis en place une vraie politique de féminisation du corps diplomatique.


Quels sont, selon vous, les grands défis du rôle d’ambassadeur dans un pays voisin et ami comme l’Espagne ?

C’est précisément cette proximité qui rend la mission complexe. Nos liens sont déjà très forts : plus de 3.600 entreprises françaises en Espagne, un réseau scolaire et culturel dense, des millions de touristes, une coopération bilatérale intense. Mais comme nos ministres se parlent à Bruxelles, ils sont moins enclins à venir en Espagne.

Le défi est donc de ne pas se reposer sur cette dynamique naturelle. Il faut sans cesse chercher à innover, à aller plus loin, à mobiliser tous les acteurs autour de projets communs. Je refuse de travailler en silos. Mon rôle est de faire travailler ensemble tous les acteurs — économiques, culturels, éducatifs — et de créer des passerelles entre les communautés françaises et espagnoles.

 

Kareen Rispal Madrid
L'Ambassadrice, à l'occasion de la cérémonie anniversaire du 140e anniversaire du Lycée français de Madrid / Ambassdade de France en Espagne



Si vous deviez partager un conseil ou une conviction à de jeunes Français ou Françaises qui vous lisent aujourd’hui depuis l’Espagne, quel serait-il ?

Je leur dirais qu’ils doivent être fiers d'être Français, qu'ils ne doivent pas renoncer à leurs valeurs. Mais aussi bien sûr, je les encourage à profiter de leur séjour en Espagne, pour s'ouvrir au monde et à une culture différente. Et peut-être poursuivre l'expérience de l'expatriation, qui est une vraie richesse, de continuer à être curieux intellectuellement, dans un monde qui bouge, et ne pas se laisser vaincre par la sédentarité -dans tous les sens du terme.

Je dirais aussi aux plus jeunes qu'il faut être ambitieux et audacieux, qu'il faut oser, ne renoncer à rien. Quand on est jeune, il faut tenter, même si l'on peut être amené à échouer : ce n'est pas grave, il faut savoir apprendre de ses échecs, bien que ce ne soit pas forcément dans la culture française.

 

Kareen Rispal Madrid
A l'occasion du Dîner de l’Entraide Française,  à la Casa de Velázquez / Ambassade de France en Espagne


Plus concrètement, quel message souhaitez-vous passer à nos compatriotes pour ce 14 Juillet ?

Engagez-vous pour l’Europe ! Plus que jamais, nous devons être unis et solidaires. L’Europe, c’est la liberté, la démocratie, la prospérité. C’est sans doute la plus belle construction politique des 50 dernières années. Je ressens ici en Espagne un profond attachement européen, et j’espère que nos compatriotes partagent cette conviction.

 

Je ressens ici en Espagne un profond attachement européen, et j’espère que nos compatriotes partagent cette conviction


Pouvez-vous revenir sur les grands rendez-vous qui vont marquer votre agenda dans les prochains mois ?

Le grand rendez-vous sera la ratification du Traité de Barcelone, qui permettra d’intensifier notre coopération dans des domaines essentiels : sécurité, justice, éducation, économie… Nous espérons qu’il sera ratifié très prochainement par le parlement espagnol. Nous travaillons déjà à une feuille de route conjointe pour sa mise en œuvre et espérons pouvoir organiser dans la foulée un sommet franco-espagnol, en France, d'ici la fin d'année.

 

Le grand rendez-vous sera la ratification du Traité de Barcelone

Nous préparons aussi, depuis l'Ambassade, " des rencontres de l’intelligence artificielle" qui auront  lieu à l’automne, autour de thématiques diverses en lien avec l’économie, la culture, la sécurité… L’IA est un enjeu structurant qui concerne tous les secteurs, et souhaite que Français et Espagnols nous avancions ensemble sur ce terrain.

Enfin, nous espérons pouvoir organiser une visite d’Etat du Président de la République en Espagne en 2026, si les calendriers le permettent.

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