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C. Wihtol: "La migration, un phénomène qui accompagne le XXIe siècle"

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lepetitjournal.com
Écrit par Céline Bergeron
Publié le 10 avril 2019, mis à jour le 11 avril 2019

A l’occasion de son passage à Madrid pour la conférence "Rêver d’Europe : migrations d’aujourd’hui et de demain", Catherine Wihtol, politologue et directrice de recherches au CNRS, spécialiste des migrations internationales, s'est exprimée sur le phénomène migratoire. Retour sur cet échange avec une femme qui a su (re)mettre l’humain au centre des questions migratoires.  

 

C’est dans une salle de classe de l’Institut français, baignée par les rayons du soleil, que l’échange avec Catherine Wihtol a pris place. Dès les premières minutes de cet échange passionnant, le ton est donné : "La migration est un phénomène qui accompagne l’histoire du XXIe siècle". Et de continuer : "Il faut accepter la réalité et faire en sorte que ça se passe le mieux possible plutôt que de se constituer en croisées voulant arrêter un flux... parce que ça ne servirait à rien". "Cela fait maintenant 30 ans que les politiques européennes sont crispées sur une politique de dissuasion, de répression". Le résultat de cette politique, ce sont 30.000 morts en Méditerranée et quantités de gens qui sont en situation irrégulière. Catherine Wihtol ajoute sur ce point, "économiquement on serait gagnant si on avait une politique plus ouverte à l’égard des migrations". 


Ne faut-il voir que le côté négatif des migrations ?

Pour cette spécialiste des migrations internationales, la réponse ne se fait pas attendre. "Les politiques européennes exploitent les peurs parce que ces démocraties sont terriblement dépendantes des sondages et de l’opinion publique". Aujourd’hui, un constat se dresse : dans la plupart des pays européens, c’est l’extrême Droite qui a imposé sa façon de penser sur les politiques migratoires. Par conséquent, "la théorie de l’invasion, du Grand remplacement, presque de la conquête par l’Islam de populations chrétiennes, c’est un peu l’inverse que la Reconquista espagnole en Andalousie". Catherine Wihtol fait une pause pour réfléchir puis poursuit. Selon elle, il y a une constance dans le fait de rassurer l’opinion publique et c’est pour cela que "les politiques migratoires ne sont pas faites pour avoir une bonne politique migratoire". Ces politiques sont faites pour apaiser l’opinion avec des actions sécuritaires (construction de murs, formation de garde-côtes, renforcement du budget de Frontex…) tandis que l'on assiste à une théâtralisation de la politique de dissuasion. Cela se fait à grand renfort d’exposition médiatique, comme cela a été le cas dans les camps de Calais. Un des principes de la politique migratoire de dissuasion est qu’il ne faudrait pas que les gens soient trop bien accueillis sinon ils seront de plus en plus à venir. Catherine Wihtol est ferme sur ce point, ce phénomène d’appel d’air n’existe pas. "On s’est aperçu que la politique de dissuasion n’a pas d’impact sur la décision de partir. Les gens du Sud veulent entreprendre leur existence. Ils ne sont pas dissuadés par le fait qu’il y ait des morts en Méditerranée parce qu’ils se disent aussi qu’il y en a qui ont réussi. Ils veulent se donner aussi la possibilité de réussir car ils ne veulent plus rester chez eux où il n’y a aucun avenir". 


Les flux de migration sous-entendent presque systématiquement "immigration". L’expatriation est peu abordée, pourquoi ?

D’un geste de la tête, Catherine Withol acquiesce avant d’expliquer que l’expatriation ne représente qu’une petite partie des flux migratoires. L’expatriation est finalement peu volumineuse. Pour preuve, il y a 266 millions de migrants internationaux, qui ne représentent que 3,5% de la population mondiale. Les migrations Nord/Sud ne représenteraient que 15 millions de personnes et concerneraient principalement des personnes qualifiées qui vont dans les pays du Sud ou alors des "seniors au soleil". L’expatriation est d’ailleurs amenée à se développer, ajoute-t-elle, à cause de la crise économique dans certains pays européens mais aussi avec l’essor du goût de la mobilité et du fait que les gens vivent plus vieux et sont très attirés par certaines destinations, notamment l’Espagne, pour y passer leur retraite.

D’ailleurs, la spécialiste des migrations revient sur les raisons qui poussent les Français à migrer en Espagne et les Espagnols à migrer en France. Curieusement, malgré notre proximité géographique et culturelle, les objectifs d’une expatriation sont très différents. Les premières vagues d’immigrations espagnoles en 1939 et dans les années 1960 vers la France étaient majoritairement constituées de personnes en situation précaire. Aujourd’hui, ce sont plutôt des personnes très qualifiées, ce qui engendre une fuite des cerveaux. "Il y a plus d’emplois très qualifiés dans d’autres pays européens". C’est vrai aussi pour l’Italie, la Grèce, le Portugal où il y a un exode des cerveaux en faveur des pays du nord de l’Europe comme le Danemark.
De l’autre côté des Pyrénées, leur choix d’installation sur la péninsule Ibérique est motivé par une qualité de vie meilleure, un climat agréable, des activités sportives et de loisirs moins chers qu’en France. Il s’agit "soit de personnes qui peuvent exercer leur métier à distance, soit des 'séniors au soleil', c’est-à-dire des catégories d’âge entre 60 et 80 ans."

Les gens qui migreront demain, ce sont les gens qui naissent aujourd’hui.

 

Et pour demain, comment les spécialistes envisagent les flux migratoires ? A cette question, Catherine Wihtol tient à préciser "qu’il y des choses que l’on peut prévoir mais d'autres, non". Il faut donc bien distinguer ce qu’il est possible de prévoir, en faisant preuve de prudence, comme la situation démographique puisque "les gens qui migreront demain, ce sont les gens qui naissent aujourd’hui". Mais la chercheuse tient à préciser qu’il est difficile de prévoir la transition démographique et "rien ne dit que les taux de fécondité seront les mêmes dans 80 ans, à la fin de ce siècle, qu’aujourd’hui". Avant d’ajouter : "Autre chose qu’on ne peut pas prévoir ce sont les crises et les conflits". Personne n’avait prévu la crise syrienne ou encore la fin du rideau de fer. Ces situations entrainent des migrations mais elles restent difficilement prévisibles. Du reste, "les réfugiés sont une source importante de migration en Europe puisque c’est une des premières sources de migration après le regroupement familial, les  étudiants et les travailleurs qualifiés".

Catherine Wihtol admet volontiers que "finalement, ce qu’on peut prévoir ce sont les migrations environnementales". Ces migrations sont différentes car les déplacés environnementaux migrent soit chez eux si cela est possible, soit dans un pays voisin. Les migrations environnementales ne devraient donc pas se diriger vers le continent européen. 
Pour l’heure, les principaux acteurs de flux migratoires en Europe sont les Européens eux-mêmes qui représentent un tiers des flux migratoires sur le continent. Toujours avec beaucoup de bienveillance, Catherine Wihtol conclut sur les migrations : "Je pense qu’il faut une approche plus positive. Il faut faire en sorte que cela se passe le mieux possible".