Alors que le débat sur les retraites bat son plein en France, la grève générale du 29 septembre dernier a aussi été l'occasion, en Espagne, de ramener le sujet sur le devant de la scène. Julio Santos (Photo Lepetitjournal.com), avocat en droit du travail et directeur de prestation au sein de la mutuelle Fraternidad Muprespa, analyse les enjeux d'une réforme souhaitée par le gouvernement en place
Julio Santos a fait un long chemin aux côtés des syndicats, les Comisiones Obreras. A la veille de la grève générale, le 28 septembre dernier, ce technicien du droit du travail ne doute pas de l'utilité de la mobilisation générale. A son sens, la question des retraites est aussi dans la balance, de la même manière que la réforme du travail, au centre de la contestation.
Lepetitjournal.com : Quelles sont les grandes lignes de la réforme des retraites voulue par le gouvernement Zapatero ?
Julio Santos : Le projet propose de faire passer l'âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans, et ce de manière générale et obligatoire. Il s'agit également d'augmenter la période de cotisations minimum, qui passerait de 15 à 22 ans. Par ailleurs, l'obtention de la retraite complète serait conditionnée par 40 années de travail, contre 35 aujourd'hui. Enfin, la base du calcul devrait également être modifiée. Aujourd'hui ce sont les 15 dernières années de travail qui sont prises en compte pour calculer le montant de la retraite qui sera touchée par le travailleur. Le projet est de prendre en compte l'ensemble de la carrière.
Quand et comment le système des retraites devrait-il être remis à plat ?
Le gouvernement évoque sa renégociation depuis plusieurs mois. Traditionnellement, la question de la retraite s'est débattue dans la cadre du pacte de Tolède, que le gouvernement souhaite convoquer avant la fin 2010.
Quel est votre point de vue concernant la nécessité de la réforme ?
Je pense que l'on pourrait l'éviter. La caisse unique de sécurité sociale, qui gère les fonds destinés aux retraites, n'est pas en déficit, loin de là. Elle affiche 6.000 millions d'euros d'excédent. Avec la conjoncture actuelle et compte-tenu de l'évolution de la pyramide des âges, on s'attend à un déficit d'ici 15 à 20 ans, certes. Mais c'était la même chose il y a 10 ans de cela, et nous avons résolu le problème grâce à l'immigration. Aujourd'hui nous sommes en crise, mais l'Espagne va sortir de la crise, même s'il faudra attendre quelques années encore. A la sortie de crise, nous devrons à nouveau faire appel à la maind'oeuvre immigrée.
Vous pensez donc que la conjoncture actuelle ne justifie pas une telle réforme structurelle ?
C'est exact. Et je déplore que cela se soit toujours passé de la même manière : en période de crise, des mesures structurelles allant en faveur du patronat et contre les travailleurs ont été adoptées. En sortie de crise, il n'y a jamais eu de retour en arrière. Prenez l'exemple des indemnisations de licenciement. Elles étaient de 60 jours en 1977, puis de 45 jours en 1980. Elles sont passées à 45 jours sous González, puis à 33 jours sous Aznar. Elles baissent encore sous Zapatero. Or, si ces mesures ont été prises en période de crise, l'Espagne a connu des moments de croissance entre-temps. Les indemnités n'ont cependant jamais été réévaluées. Il en va de même pour la question des retraites.
L'excédent de la Sécurité sociale est cependant en train de fondre. Ne faut-il pas agir ?
D'abord je crois que d'aucune manière, ni l'équilibre ni le futur de la Sécurité sociale ne sont pour l'instant menacés.
Par ailleurs, la caisse de la sécurité sociale n'est pas tenue d'être fermée. En d'autres termes : elle peut avoir des excédents, qui peuvent être utilisés par d'autres budgets de l'Etat, mais elle peut aussi être déficitaire et financée par d'autres sources. Je ne crois pas qu'il faille être un intégriste de l'indépendance de la caisse unique de la sécurité sociale. Ce que je crois par contre, c'est que l'on ne peut pas mettre en jeu la question de la protection sociale. La protection sociale est un droit du citoyen et un devoir de l'Etat. Il faut l'assurer coûte que coûte, avec l'argent de la caisse de la sécurité sociale ou via d'autres sources.
Revenons sur les propositions de la réforme. En quoi vous gênent-elles ?
Elles vont globalement contre les travailleurs. La base de calcul de la retraite, par exemple. Comme l'on débute généralement dans la vie active avec des salaires plus modestes, que l'incorporation au marché du travail est de plus en plus difficile et se réalise de façon plus précaire, calculer la retraite sur l'ensemble d'une carrière, et non sur les 15 dernières années de celle-ci, aura pour conséquence une baisse du montant de l'indemnisation.
Autre incohérence : retarder l'âge de départ à la retraite. Avec 20% de chômage, des mesures visant à rallonger la durée de travail me paraissent insensées. D'autant plus que si aujourd'hui l'âge légal de départ est à 65 ans, dans les faits les départs se font en moyenne à 63 ans, par le biais des conventions d'entreprise.
Que préconisez vous ?
Je pense que l'on peut proposer de repousser l'âge de départ à la retraite pour les personnes qui le souhaitent. Transformer le caractère obligatoire de cette mesure en un caractère volontaire. Je pense par ailleurs qu'il faut stimuler financièrement cet allongement de la durée de vie au travail : travailler plus longtemps, pour obtenir une retraite plus élevée. Aujourd'hui on nous propose de travailler plus longtemps pour la même retraite. Je pense aussi qu'en contrepartie d'un allongement volontaire du temps de travail de certains employés, il faut revoir à la baisse l'âge de départ à la retraite pour les secteurs les plus pénibles et les plus dangereux, comme la construction, ou le transport. Enfin, à l'image des mesures prises en Allemagne ou au Danemark, je crois qu'il faut combiner ces mesures avec une répartition du travail : travailler moins, mais plus nombreux.
Propos recueillis par Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com - Espagne) Lundi 4 octobre 2010
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