

Invitée par l'Institut Français dans le cadre du lancement de culturethèque, la chanteuse belge a présenté vendredi dernier à Madrid des extraits de son dernier album, "Année zéro". Avec un récital tout en fraîcheur, l'artiste a certes illustré le caractère moderne et sans frontières que la diffusion de la culture francophone peut receler. Mais sans plus. Pour Helena Noguerra, c'est d'avantage le langage musical que la langue française qui prime. "Pour moi, il n'y a pas d'autre enjeu que la musique", éclaircit-elle.
(Photo CC Benoît Derrier)
On ne fera pas chanter Helena Noguerra sur une partition réglée comme du papier à musique. On ne lui fera pas fredonner ce petit air qu'on aurait composé à son image, et qui permettrait de garder les choses, les gens et les genres bien à leur place. Tandis que l'Institut français d'Espagne inaugurait vendredi dernier un portail culturel ayant pour vocation de diffuser et promouvoir la langue et la culture française, Helena Noguerra, en concert dans le cadre du lancement de la plateforme, n'aura pas poussé le patriotisme linguistique outre mesure, loin s'en faut. "Ce n'est pas mon combat", coupe-t-elle d'emblée. "Je vais chanter là où on me le demande, comme un saltimbanque allant de château en château : je suis témoins d'une époque et j'essaye d'en rendre compte, c'est ça l'histoire de mon métier". Dans "Année zéro", l'artiste évoque en français, en anglais et en dix titres, dix hommes de sa vie. "Dix compositions sur mes rencontres de ces dernières années, dix chansons d'amour banales".
"J'aurais pu le taire, mais j'ai préféré forcer le trait" : dix chansons, dix hommes, et autant de manières de dire qu'on peut être une femme libre "sans pour autant être considérée comme une trainée". Et un message à destination de tous ceux qui l'identifient encore comme l'ex-compagne du chanteur Philippe Katerine ou de l'humoriste Nicolas Bedos : "J'ai voulu montrer qu'on peut utiliser des hommes à poils, les coucher dans des lits et s'inspirer d'eux. C'était une façon de renvoyer la balle à tous ceux qui m'ont traitée de muse quand je collaborais avec d'autres artistes masculins, comme si je n'avais pas eu d'autonomie". Indignée Helena Noguerra ? "En colère", plutôt. "Les femmes, nous avons encore beaucoup de combats à mener. Nous sommes encore trop souvent réduites au corps, à la séduction, à une simple image sexuée"... Et d'admettre : "J'en joue, moi aussi. J'utilise ces armes pour survivre, et je suis parfois en colère contre moi même quand j'en fais trop. Ce n'est pas toujours simple. On a cru que Brigitte Bardot participait à une forme de libération en se montrant nue, on peut penser que les FEMEN aussi, en montrant leur poitrine. Mais c'est à double tranchant, c'est aussi une façon de nous ramener à un objet sexuel".
"Attention aux brunes" chantait-elle en duo avec sa soeur Lio, dans les années 80. Helena Noguerra, de son vrai nom Helena Ribeiro Furtado Veho Nogueira, ne s'est depuis pas teint en fausse blonde. On sent que la moutarde peut vite monter au nez de cette fille d'émigrés portugais, installés à Bruxelles pour fuir la dictature de Salazar. Dans cette Espagne qu'elle connaît bien pour y avoir passé toutes ses vacances d'enfant, la remise en cause du droit à l'avortement n'est pas sans l'agacer. "C'est à pleurer", estime-t-elle. Plus que la colère, c'est pourtant la mélancolie qui la rattache surtout à ses racines. "J'ai des souvenirs de cuisine, des odeurs d'ail et de tomate, je me souviens de ma mère qui chante le fado", raconte-t-elle, dans un sourire que l'on imagine volontiers un peu triste. Et de fredonner quelques couplets en portugais, de remémorer ces étés près de Huelva, et d'évoquer l'espagnol, "un peu rouillé" qu'elle considère comme sa "première deuxième langue". Polyglotte, Helena Noguerra, avec 5 langues dans les cordes vocales, en plus d'une belle voix, le tout pas plus au service d'un idiome que d'un autre. "Je ne veux pas être ambassadrice du français" a-t-elle lâché plus tôt dans la conversation. "Si on me dit demain que l'on parle tous la même langue, je ne serai pas triste".
Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com - Espagne) Lundi 3 février 2014





