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GUILLAUME GALLIENNE - "La société française est très jacobine"

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 27 février 2014

Avec un espagnol presque parfait, une passion débordante pour l´Espagne et une partie de sa famille résidant à Madrid, l´acteur, réalisateur et humoriste Guillaume Gallienne était dans la capitale pour présenter son premier film, à caractère autobiographique, "Les garçons et Guillaume, à table". Un long-métrage qui a déjà séduit tant le public (en France, il a fait un carton) que la critique spécialisée. "Les garçons et Guillaume, à table" est le film qui a obtenu le plus de nominations aux prix César 2014 (la cérémonie aura lieu demain, à Paris). Rien de moins que 10 nominations, dont le meilleur acteur, le meilleur réalisateur, le meilleur film, le meilleur premier film... Amusant, original, tendre et très proche, Guillaume Gallienne nous parle de sa vie et de son film.

Lepetitjournal.com : Tout d´abord, d´où vous vient cette maîtrise de la langue espagnole ?
Guillaume Gallienne : J´adore cette langue. Ma mère est née à Madrid parce que son père travaillait pour l'"Intelligence Service", les Services secrets britanniques, pendant la guerre, ici. Et puis, mon oncle a épousé une Espagnole et tous mes cousins parlent espagnol. Mon parrain était espagnol. Et, du coup, tout le monde qui parlait espagnol divinement, ma grand-mère, ma mère?, et moi non ! Je me suis dit : "Il faut absolument que j´apprenne l´espagnol. J´adore cette langue !" Alors j´ai demandé à ma mère, quand j´avais 16 ans : "Mándame para España, por favor". Et, elle m´a envoyé à? La Linea de la Concepción, à Cadix [épisode qu´on voit dans le film, ndlr]. Quand j´ai débarqué là-bas, j´ai fait "Oh. Mon Dieu !" Mais, je me suis dit "Oh, enfin je suis dans 'Femmes au bord de la crise de nerfs' d´Almodovar", film que je venais de découvrir... Et je me suis dit : "Ça va bien se passer". J´ai échappé, toujours, de toutes les situations difficiles que j´ai pu traverser dans ma vie, à chaque fois, en me disant "Ça y est, je suis dans un film !". Et quand mes parents m´ont envoyé à la pension anglaise, j´ai pensé : "Je suis dans un film de James Ivory".

"Les enfants et Guillaume, à table" a été conçu, au début, comme un film ou comme la pièce de théâtre que vous avez joué ?
Comme je me suis toujours fait des films, l´histoire, au début, est un film dans ma tête. Quand je me suis souvenu de cette phrase à la fois fondatrice et névrotique de ma mère qui était, "Les enfants et Guillaume, à table", tout ce qui, à l´époque, ne constituait que des anecdotes isolées et marrantes, s´est tout d'un coup déroulé suivant un fil conducteur. Ce trajet menant du jeune homme trop passif et trop bien élevé, trop "cliché" à ce même individu qui s´est levé pour devenir acteur et actif, est devenu une évidence. Je le voyais dans un film. Mais, il se trouve qu´à l´époque je ne pouvais pas réunir le budget. C´est un homme de théâtre, Olivier Meyem, le directeur du Théâtre de l´Ouest Parisien, qui m´a donné l´opportunité. Il m'a dit : "J´aimerais faire une carte blanche, pour toi, dans mon théâtre". Du coup, je lui ai demandé : "Mais, c´est quoi carte blanche ? Parce que si c´est pour lire du Proust avec une arpiste derrière, je suis trop jeune !". "Non, non, carte blanche pour Guillaume Gallienne", m'a-t-il répondu. J'ai évoqué cette histoire que je voulais raconter depuis un moment et j'ai avancé que je pouvais la faire au théâtre.

Dans le film vous jouez votre personnage et celui de votre mère et au théâtre vous avez fait tous les personnages. Pourquoi ?
Je jouais tous les personnages parce que c´était une carte blanche, ce n´était pas une grosse production. J´avais déjà fait ça avec "Saint François, le divin jongleur" de Dario Fo. J´ai travaillé dans "l´économie du cygne". J´adore indiquer juste un mouvement de bassin, un mouvement de mains qui, tout de suite, raconte que c´est quelqu´un d´autre. Je le fais presque plus avec la voix que je ne le fais avec moi-même. C´est curieux parce qu´au théâtre, j´étais déjà dans une histoire d´axes comme au cinéma. Je faisais déjà un contre-champ logique dans ma tête, comme au cinéma. Le problème c´est que la performance prenait le dessus sur l´histoire et, de temps en temps, les gens riaient quand il n´y avait rien de drôle. En scène, souvent je me disais : "Si seulement, je pouvais leur montrer ce par quoi je passe". Peut-être, qu´ils riraient moins, ce serait entre les deux. Aussi, en jouant tous les personnages, je n´avais pas le temps de les défendre. Par exemple, pour mon père, dans le théâtre, la figure était dure alors que là, au cinéma, elle est plus complexe. Le cinéma est mieux aussi pour défendre le personnage de ma mère. En faisant tous les personnages, je n´avais pas le temps de jouer les "non-réactions" de Guillaume. Je pense que la passivité du personnage est une clé essentielle de l´histoire.

Parlez-nous des troubles de Guillaume sur son identité sexuelle.
La question n´est pas tellement l´identité sexuelle. C´est plus assumer son sexe. Assumer que je suis un homme. Alors c´est quoi ? Répondre à des critères ou pas, les critères de qui ? Le trouble est né de là. J´étais le plus jeune de la famille. Mes frères étaient plus grands que moi, beaucoup plus beaux, sportifs. Mon père, un grand sportif. Tous, assez brutaux. Je me suis dit : "Je n´y arriverai jamais. C´est insurmontable". Je me suis dit que les femmes, elles arrivent à avoir de l´autorité sans brutalité. Elles n´ont pas besoin d´être belles. Leur féminité, leur délicatesse donne du charme. Rien que le fait d´être femme, déjà elles étaient belles. Si je veux plaire, que les gens soient gentils avec moi, il vaut mieux que je sois une femme car les gens sont plutôt gentils avec elles. Alors, j´ai essayé ça.

Est-ce qu´il y a un hommage à la femme dans le film ?
Pour moi, il y a autant un hommage aux femmes qu´aux hommes parce que, finalement, les quatre personnes les plus gentilles avec moi sont des hommes : c´est Nicolas, le fils du paysan à la pension française, Jeremy, le psy et le prof d´équitation. Ce sont quatre mecs qui sont bien dans leur peau, dans leur slip, virils, et qui me regardent sans me juger. Ils me protègent, ils me sauvent? Le psy à un moment donné me dit : "Mais, vous vous aimez si peu que ça ?". Ils me donnent des clés sans me juger. Je trouve ça sublime. Dans le film, il y a aussi des hommages cinématographiques pour raconter les clichés dans lesquels je vivais et le fait que je me faisais des films tout le temps (d´Almodovar, de James Ivory...)

On a dit que votre film a des ressemblances avec le cinéma d´Almodovar. Etes-vous d´accord ? Vous vous êtes inspiré d´autres cinéastes ?
Disons, que peut-être, on s´amuse avec les frontières. Ça nous intéresse l´endroit de la frontière et pas l´un ou l´autre. D´autre part, un truc que j´aime beaucoup chez Lubitsch c´est quand les personnages ne sont pas conscients de l´énormité de la situation. C´est le spectateur qui l´est mais pas les personnages. Ces-derniers vivent la situation à fond mais ils n´ont aucun recul sur l´énormité de la situation. J´aime beaucoup aussi chez Billy Wilder : on passe de la comédie dans le salon à la tragédie dans la chambre. On fait un va-et-vient en permanence. J´adore ça. Jack Lemmon est un dieu pour ça. Billy Wilder aussi. Enfin, les deux ensemble. Dans "Certains l´aiment chaud", c´est Jack Lemmon qui est le plus intéressant parce qu´il est dans une frontière qui n´est pas si drôle. Elle est délicate. Il plonge un peu trop loin. Mon problème, c´est que, moi, quand je plonge, je plonge? (de plus en plus, d´ailleurs). Mais, il n´y a pas de jugement. C´est pas à moi de juger. Aux spectateurs, oui. Dans mon film, il y a, donc, ces clins d´oeil à Lubitsch et Wilder.

"Les garçons et Guillaume, à table" est votre premier film. Il a eu un succès énorme de public et, en plus, 10 nominations aux César.
Je débute et j´ai eu des intuitions. Je veux rester humble. Le film a toutes ces nominations et je suis ravi pour lui mais ce n´est pas moi. Je suis content pour tous les gens qui y ont travaillé. Par contre, je suis très heureux d´avoir eu la nomination au meilleur acteur car c´est un travail très personnel, le fait d´avoir fait ma mère et moi-même. Je me contente déjà d´être nommé mais c´est pas mon métier. Mon métier c´est de créer du présent et de représenter les montres. C´est en plus, c´est bien, c´est la fête? J´ai 42 ans, je n´en ai pas 24 ! Puis, la société française est très jacobine. Donc, 10 nominations, c´est tellement énorme qu´à mon avis, je vais repartir bredouille. Voilà, je connais aussi mon peuple. En fait, le mérite du film c´est d´avoir fait 2,5 millions d'entrées. C´est génial pour les producteurs, pour Gaumont. Industriellement, on a remboursé tout le monde. On peut continuer. C´est génial car, du coup, je peux écrire le second.

Et ce second film, comment va-t-il être ?
J´ai déjà le film dans ma tête. Moi, je fais au début "la embarazada", je fais la grossesse : c´est une histoire que je "porte" depuis 12 ans en moi. Elle ne me concerne pas mais elle tirée d´une histoire vraie. La complication de ce nouveau film c´est que ça doit être un film pauvre. Alors c´est compliqué. Il faut qu´il y ait peu de moyens. Ça correspond au sujet, à l´humilité du sujet. Est-ce que je sais faire, petit bourgeois que je suis ou grand bourgeois que je suis ? Savoir faire pauvre? Est-ce que j´ai cette humilité-là ?

Comment a été l´expérience de votre dernier rôle dans le film Yves Saint Laurent, biopic du célèbre couturier, récemment sorti en France, où vous interprétez Pierre Berger ?
Mon expérience a été très forte. J´ai perdu 5 kilos. J´ai dit à Pierre Berger : "Je ne sais pas comment tu as fait puisque moi, j´ai vécu 20 ans d´amour en deux mois et j´ai perdu 5 kilos?" Et il m´a répondu : "Et, bien, moi, ça a duré 50 ans !" Oui, mais la grande différence entre lui et moi, c'est qu'il vivait chaque moment pour la première fois et moi chaque moment pour la dernière. La seule responsabilité que j´avais vis-à-vis de Pierre Berger, du fait qu´il vive encore, c´était de respecter son deuil, donc son amour. Je ne pouvais pas trahir ça. Je suis sorti de là et j´ai mis du temps à m´en remettre. J´ai jamais aussi bien joué.

Vous préférez le théâtre au cinéma ?
Ah, non. Après une expérience comme Pierre Berger ou "Les garçons et Guillaume, à table"?, je peux dire que j´adore le cinéma. On crée des moments de grâce au cinéma. On crée du présent au cinéma d´une manière qui peut être phénoménale, "Fenomenal !" [Guillaume Gallienne l´a répété en espagnol lors de l´Interview, un clin d´oeil au film car le mot prend une importance particulière lors de l´épisode, quand il voyage en Espagne].

Les garçons et Guillaume, à table sort le 28 mars 2014 en Espagne.

Propos recueillis par Carmen PINEDA (www.lepetitjournal.com - Espagne) Jeudi 27 février 2014
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Publié le 26 février 2014, mis à jour le 27 février 2014
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