

A la tête de l'Alliance française de Malaga depuis septembre 2014, c'est un gestionnaire et un communicant hors pair, au parcours atypique au sein -et en dehors- du réseau du ministère des Affaires étrangères, qui dès son arrivée s'est plongé corps et âme dans deux dossiers brûlants, stratégiques pour le réseau des AF en Espagne : l'équilibrage des comptes de l'antenne andalouse d'une part, avec l'absorption d'un fort investissement préalable destinés à de nouveaux locaux, et le développement du festival du film français de Malaga, qui a accueilli l'automne dernier 12.500 spectateurs. "On a franchi un cap", estime à cet égard l'intéressé.
Débarquer à Malaga à 50 ans et quelque, au sein d'une des plus importantes Alliances françaises du pays, dans une ville en pleine mutation culturelle, avec une forte présence française, c'est en quelque sorte, pour un acteur culturel au parcours bien rempli, la cerise sur le gâteau. Or, si Franck Trouilloud (Photo DR) n'est pas un acteur culturel comme les autres et si son parcours, bien rempli certes, n'a rien d'orthodoxe, demandez lui cependant le goût de la cerise sur le gâteau, et vous aurez une description exhaustive des différentes saveurs du fruit, du gâteau, de la crème qui l'accompagne, la liste des ingrédients, le temps de cuisson, ainsi qu'une brève ontologie du menu complet -entrée, plat, dessert, boisson et pain compris. Plus qu'un communicant, cet ancien conseiller technique de Jack Lang au sein du ministère de la Culture, ex-dircom de la Ville de Rennes et de la Ville de Grenoble, est un bavard incorrigible, dont la passion, c'est à n'en point douter, alimente l'art du discours et de l'anecdote.
C'est en 1987 au Caire, au cours de son service de coopération, que l'Isérois contracte le virus du MAE, le ministère des Affaires étrangères. Spécialiste de marketing, il y développe une mission d'enseignement FLE pour les professionnels du tourisme égyptiens. Pourtant c'est au sein du ministère de la Culture qu'on le retrouve 2 ans plus tard, où il exerce le rôle de conseiller technique sous la houlette d'un certain Jack Lang, alors ministre "de la culture, de la communication, des grands travaux et du bicentenaire" du gouvernement Rocard. S'en suit un parcours au sein des collectivités territoriales qui ressemble peu à une carrière dans les arcanes diplomatiques ou celles de l'expatriation. A Blois d'abord, puis entre 1991 et 2003, à Rennes, où il est directeur de la communication de la Ville, mais assume aussi un mandat politique de maire, à la tête d'une commune de l'agglomération. De 2004 à 2007, il est ensuite directeur de cabinet de Jean-Marie Bockel, maire de Mulhouse et Président de l'agglomération. Un pas de plus vers l'Allemagne pour ce germanophone, qui de 2007 à 2011 retrouve enfin le MAE, en prenant pendant 5 ans la direction de l'Institut français de Leipzig, où il occupe accessoirement les fonctions de Consul Honoraire pour le Land de Saxe. En 2011, retour aux origines, à la communication de la Ville de Grenoble donc, et depuis 2014, Malaga. C'est aujourd'hui un des deux seuls agents du ministère des Affaires étrangères mis à disposition de la Fondation Alliance Française en Espagne.
lepetitjournal.com : Depuis quelques années, on entend de plus en plus parler, notamment au sein du réseau culturel français d'Espagne, et précisément dans la capitale, du Festival du film français de Malaga. Comment expliquez-vous cela ?
Frank Trouilloud : Créée il y a 22 ans à l'initiative de l'Alliance française de Malaga, portée à bout de bras depuis 2011 par Hédi Saim, responsable culturel de l'AF de Malaga et directeur délégué du festival, cette rencontre autour du 7e art français a changé de dimension il y a 5 ans, en sortant du strict domaine scolaire et pédagogique et en attirant chaque année un public plus large. En 2014, on recensait 10.000 spectateurs, ils étaient 11.000 en 2015, puis 12.500 pour la dernière édition. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution mais il est certain que nous avons franchi un cap clair cette année, avec pour la première fois des films présentés en avant-première dans le pays et la venue sur le festival de nombreuses stars françaises, à l'instar de Julie Gayet notamment. Ce sont autant de signes qui permettent de transformer ce festival en un véritable rendez-vous important, où peu à peu réalisateurs, producteurs et distributeurs auront chaque fois plus de raisons de se rencontrer, pour assurer la promotion et la diffusion des films en Espagne. Les retombées presse de l'édition 2016 sont d'ailleurs incomparables par rapport aux années précédentes.
Quel est le secret de ce succès ?
Le succès d'un festival de cinéma est lié notamment à deux facteurs : son positionnement et sa notoriété. Nous avons choisi depuis 2014 de centrer le festival sur les nouveautés francophones, avec de fait une place prépondérante pour la production française, et présenté un grand nombre de films qui ne sont pas encore sortis en Espagne. Concernant la notoriété, c'est l'histoire de l'?uf et de la poule, avec le rôle essentiel des têtes d'affiche et de leur présence -ou pas- sur le festival. Comment faire pour faire venir les têtes d'affiche, sans notoriété ? Comment obtenir de la notoriété sans les têtes d'affiche ? Cette année, nous avons su résoudre cette équation. Outre Julie Gayet en clôture, nous avons accueilli de nombreux artistes qui sont venus faire la promotion de leurs films à Malaga, à l'image d'Aïssa Maïga, Lucien Jean-Baptiste, Audrey Estrougo, Kamel Redouani, Ahmed Deeb, ou Farouk Atig par exemple.
Comment avez-vous procédé ?
Je ne vous cache pas que nous nous sommes fortement appuyés sur Jérôme Clément, le Président de la Fondation Alliance française. Ancien président d'Arte et du CNC, président du festival de cinéma "Premiers plans" à Angers, il dispose d'un réseau de contacts impressionnant et nous a ouvert des portes au sein du milieu du cinéma, avec deux rencontres clé : celle de Dominique Besnehard et Marie-France Brière, qui sont notamment co-directeurs du festivals francophone d'Angoulême, et celle de Claude-Eric Poiroux, patron d'Europa Cinéma. Nous avons de la sorte pu mettre en place un accord avec les festivals d'Angers et d'Angoulême, pour faire circuler certains films qui y sont présentés, en avant-première en Espagne. Via leur intermédiation, nous avons aussi obtenu des producteurs francophones qu'ils incluent Malaga dans la liste des tournées de promotion à l'étranger proposées à leurs artistes, c'est à dire à nos têtes d'affiche. Enfin, nous avons bien entendu pu compter sur le soutien des services culturels de l'Ambassade de France en Espagne, et de la délégation générale de l'Alliance Francaise Espagne, qui nous ont facilité certaines mises en relation et nous ont accompagné sur ce projet, notamment financièrement.
Aujourd'hui nous avons donc un bon positionnement francophone et une notoriété qui grandit. Pour la 23e édition du festival, en 2017, nous devons travailler encore plus en amont dans la programmation du festival, pour assurer une meilleure communication et de plus grandes retombées (évaluées à 120.000? pour l'édition 2016).
Le succès du festival est aussi lié à une ambiance très "pro-française", que l'on ressent dernièrement à Malaga.
Oui, il est indéniable que le maire de la ville, Francisco de la Torre Prados, a fait beaucoup en faveur de la promotion culturelle, notamment française, à Malaga. L'ouverture de l'annexe du centre Pompidou, en 2015, en est une des illustrations les plus marquantes. Pour ma part, j'ai bénéficié à Malaga d'une réelle opportunité d'écoute en allant à la rencontre des autorités locales, que ce soit au niveau de la Mairie ou de la Diputación, l'équivalent de notre conseil départemental, et même de la Région Andalousie. Or la Culture s'appuie encore en général en grande partie sur l'argent public : sans soutien de la puissance publique, difficile, voire impossible, de proposer certaines créations qui ne sont pas particulièrement "grand public". Pour le festival de cinéma de l'Alliance Française, la problématique est la même : projeter certains films dans des salles où l'affluence du public n'est pas garantie, c'est prendre le risque de devoir faire face à un déficit, ce qui n'est pas permis pour une Alliance Française.
C'est par le biais des accords que nous avons développé en local, dans le cadre d'une véritable politique culturelle connectée avec les réseaux existants, que nous avons pu résoudre ce dilemme.
Nous travaillons ainsi désormais, outre notre collaboration historique avec les cinémas Albeñiz (réseau Europa Cinéma), en partenariat avec l'annexe du centre Pompidou (Ville de Malaga), mais aussi avec la Termica, un centre culturel public de la Diputación, et bien-sûr avec l'université UMA, qui sont autant de relais qui nous permettent de disposer de salles pour diffuser les films à moindre frais, mais aussi de rencontrer un public plus large ou d'inscrire notre programmation dans des parcours culturels plus amples... Nous sommes reconnus comme acteur culturel local, la Mairie nous inclue dans son réseau officiel et nous permet ainsi de bénéficier d'aides directes ou indirectes. Ajoutons le soutien de Targobank, notre premier mécène privé, voilà quels sont les coups de pouces précieux qui nous ont permis d'en arriver où nous en sommes aujourd'hui.
Et demain ?
L'objectif est de faire croître encore le festival. Notre objectif est de créer un Prix du Jury, qui serait remis au producteur, pour la distribution du film gagnant en Espagne. Cela changerait la nature du festival et les enjeux pour les films en lice. Il faut que les producteurs français qui veulent vendre leur film en Espagne disent aux distributeurs "Va voir mon film à Malaga".
Si le festival, comme tout porte à le croire, continue de grandir, il faudra enfin réfléchir à la structure qui porte ce projet. Aujourd'hui c'est le festival de l'Alliance française, à l'avenir il faudra imaginer une structure dédiée, avec des salariés permanents, qui se consacreraient à ce seul projet. En quelque sorte on ne peut que s'en sortir par le haut.
Comment se porte l'AF de Malaga ?
Lors de mon arrivée en septembre 2014, l'AF de Malaga était dans une situation financière très difficile, du fait d'un fort investissement mal maîtrisé, lié à l'acquisition de son nouveau siège dans le centre historique de la ville, qui avait largement grévé la trésorerie de l'entité. Avec le soutien du nouveau Comité de l'AF, présidé par Emilio Ortega Arjonilla, le travail de toute l'équipe des salariés et l'aide des services culturels de l'Ambassade de France et de la Délégation Générale AF nous avons dû rééquilibrer les comptes. Je vous passe les détails, mais il s'est notamment agi d'un véritable travail d'équipe. aujourd'hui le pari est en passe d'être réussi. En 2 ans et demi, les effectifs sont passés de 800 à 1290 élèves, les inscriptions au DELF de 600 à 1250. Au printemps 2019 l'AF Malaga aura enfin payé sa dette "rouge" ou immédiate et les comptes seront de nouveau équilibrés par la seule activité de l'Alliance, puisque jusque là nous devons trouver chaque année quelques 70.000? extra pour équilibrer notre bilan.
Quels est votre principal projet d'avenir ?
Nous accompagnons activement la mise en place du français en LV2 obligatoire depuis la rentrée 2016 en Andalousie. Cela génère dans un premier temps une demande de formation des professeurs, nous devrions pouvoir apporter des solutions à ce public. Par ailleurs l'Espagne a une culture des diplômes, cela nous aide aussi, grâce aux certifications que nous proposons. L'expérience devrait de toutes façons être très intéressante, notamment depuis Madrid, puisque nous pourrons voir la dynamique sur laquelle se lancent les institutions culturelles et linguistiques d'un territoire qui adopte la langue française obligatoire dans le système scolaire. De fait L'AF de Malaga apparaît comme un site pilote pour l'ensemble du réseau en Espagne.
Propos recueillis par Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com - Espagne) Vendredi 13 janvier 2017
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