

La campagne électorale de la présidentielle française a relancé le débat sur le statut des binationaux, avec un écho au-delà même des frontières de l'Hexagone. Lepetitjournal.com est parti à la rencontre d'une famille madrilène au sein de laquelle le père, le fils et la petite-amie sont concernés. Rencontre
(Bruno, Gabrielle et Modesto posent avec leurs documents d'identité / Photo Lepetitjournal.com)
Trois personnes, six pièces d'identité. La binationalité, Modesto Entrecanales, son fils Bruno et la petite-amie de ce dernier, Gabrielle Tixeront, n'en ont pas qu'une idée abstraite. Ils la vivent au quotidien, depuis la trentaine pour le premier, âgé de 58 ans ; depuis toujours pour les deux derniers, respectivement 29 et 30 ans. C'est leur identité. Double. "Je suis de parents espagnols, raconte le père, né à Santander. J'ai plus vécu en France, puisque nous sommes partis quand j'avais trois ans et je suis revenu à Madrid à 36 ans. Mais je ne me sens pas plus Français pour autant. Et l'inverse n'est pas vrai non plus. Je suis autant Espagnol que Français." D'un revers franc, il balaye certaines propositions politiques qui mettent en péril l'avenir de son statut identitaire. "Quand on se sent un peu des deux côtés, on trouve logique que les papiers d'identité reflètent ce sentiment." Une opinion partagée par son fils Bruno, parcours inverse : né à Versailles, il vit à Madrid depuis l'âge de 12 ans. "On se sent des deux pays, au même titre. Nous possédons une vraie double culture."
"Quand on se sent un peu des deux côtés, on trouve logique que les papiers d'identité reflètent ce sentiment"
Les trois sont loin de considérer, comme Marine Le Pen l'avait soutenu, dans un courrier adressé à tous les députés de l'Assemblée nationale en juin dernier, que la double nationalité porte "atteinte à la cohésion républicaine".
"Cela n'aurait pas de sens de devoir choisir, moins encore entre deux pays européen", affirme Modesto. "Je pense que ces propos n'ont qu'un but électoraliste. Ceux qui souhaitent diviser les Français entre "vrais Français" à la nationalité unique et les binationaux, vont à l'encontre de ce qu'est l'Europe." Lui confesse justement se sentir "plus européen" que nombre de ses amis, via ce particularisme.
Gabrielle, qui possède la double nationalité à la faveur d'une branche familiale française, n'hésite pas à parler d'avantage : "Cela confère plus de culture, une plus grande richesse personnelle". Comme Bruno, elle est passée par le Lycée Français de Madrid. A la différence de son petit-ami, elle a ensuite opté pour des études en France : "L'éducation scolaire est meilleure en France. Ici, on n'apprend pas la réflexion personnelle, ce n'est que du par coeur. Les gens sont ainsi plus manipulables. Voilà une vraie distinction entre les deux pays. L'enseignement est plus compétitif en France, trop laxiste en Espagne."
Appelés aux urnes plusieurs fois en six mois
A la faveur de son expérience dans l'Hexagone, Gabrielle a ouvert une boulangerie-pâtisserie française, à Madrid. "Les gens apprécient, assure-t-elle. En matière de desserts, les Espagnols n'ont pas de mal à admettre qu'il y a un autre savoir-faire dès lors que l'on passe les Pyrénées." Un commerce comme une façon de vivre sa double identité, jusque dans le cadre professionnel.
Modesto est lui impliqué en politique. Directeur de campagne du candidat indépendant Bernard Soulier dans le cadre des premières élections pour les députés français de l'étranger, il regrette le désintérêt des Français qui votent depuis l'Espagne : "En 2007, seulement 18% des inscrits avaient voté. Il y a un fort désengagement." L'enjeu est pourtant de taille, dès lors que l'un des membres du gouvernement, en l'occurence le secrétaire d'Etat aux Transports, Thierry Mariani, déclarait en mai dernier vouloir créer un registre national des binationaux. "Personne n'y croit réellement", soutient Modesto. "Pour récupérer quelques voix, ils essayent d'attirer les gens. Il n'y a pas de demi-Français."
Le 22 avril prochain, quasiment six mois jour pour jour après les législatives espagnoles, et quelques semaines avant les françaises, Modesto, Bruno et Gabrielle se rendront aux urnes. Voter, le meilleur moyen pour les binationaux de faire entendre leur voix.
Benjamin IDRAC (www.lepetitjournal.com - Espagne) Mercredi 29 février 2012
