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20-N - La vallée de l'amnésie

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 13 novembre 2012

Chaque 20 novembre la Vallée de los Caidos, sanctuaire pharaonique édifié sous Franco, fait parler d'elle. Devenue lieu de pèlerinage pour les uns, site touristique pour les autres, elle était l'un des casses tête du projet de loi sur la Mémoire Historique et un défi majeur pour une démocratie qui s'assume

La croix de la Vallée de los Caidos, 150 mètres de haut et 46 mètres de large

Visible jusqu'à 40 kilomètres à la ronde, la croix monumentale surplombe l'Abbaye des Bénédictins, ces moines gestionnaires du sanctuaire. De l'autre côté, une austère Basilique sépulcrale sert d'entrée au site. C'est là que sont enterrées, aux côtés de Franco et du fondateur de la Phalange José Antonio Primo de Rivera, quelques dizaines de milliers de victimes de la guerre civile.


Panorama polémique
En 1940, le Caudillo avait ordonné la construction de la Santa Cruz del Valle de los Caidos, pour y recevoir les sépultures des "martyrs"franquistes. Quelques années après son ouverture (en 1957), le dictateur, nécessiteux de s'acheter une bonne conduite sur la scène internationale, y faisait entrer aussi les victimes républicaines.
Actuellement, les historiens évaluent entre 40.000 et 60.000 le nombre de victimes des deux camps qui reposent dans les cryptes de l'église souterraine. Des chiffres bien loin des registres "officiels", jalousement gardés par les Bénédictins qui comptabilisent 33 847 cercueils. Aujourd'hui, de nombreux descendants cherchent leurs morts, mais se heurtent aux portes closes de la nécropole*. Ils n'ont aucun recours, étant donné le vide juridique qui entoure depuis toujours la Fondation de la Santa Cruz del Valle de los Caidos. Une impasse que la Loi sur la Mémoire Historique promettait de débloquer.
Pour édifier ce projet pharaonique dont la réalisation s'est étalée sur 20 ans, le régime aura contraint aux travaux forcés 20.000 prisonniers politiques. Un fait historique encore nié par des nostalgiques de l'époque, et que le touriste de passage en ces lieux aura toutes les peines du monde à deviner. La visite guidée pèche par omission, tandis que les ouvrages vendus sur place font référence à des "ouvriers tailleurs de pierre de la région de l'Escorial". On attendait de la loi qu'elle répare ces "erreurs". 

Maigre consolation
Le projet initial de la Ley de la Memoria, élaboré il y a près d'un an par l'équipe de Zapatero, prévoyait pourtant l'instauration d'une exposition éducative et historique permanente dans la Basilique. Le PSOE répondait ainsi à une recommandation du Conseil de l'Europe, votée en mars 2006**. Mais pour le PP et l'Eglise Catholique, l'endroit devait rester un sanctuaire religieux, vierge de toute considération politique. Une concession à laquelle il aura fallu céder pour que la loi réponde à "des principes que tous [les partis] [puissent] partager", selon les propres termes de la vice-présidente du gouvernement.
Qu'en est-il alors de l'avenir du site, après les votes successifs de la Commission Constitutionnelle du Congrès, et de la chambre des députés, ces 16 et 31 octobre ? Le temple du dictateur devra indubitablement se plier aux futurs dispositifs interdisant l'exaltation du franquisme.
En attendant leurs mises en application, plusieurs manifestations ont encore pérégriné ce week-end vers le sanctuaire et se poursuivront jusqu'à ce soir. Ces hommages au fondateur de la Phalange et au Generalisimo, tous deux décédés un 20 novembre, auront, cette année encore, été autorisés. Quant aux familles qui cherchent leurs défunts, elles n'auront d'autres choix que de continuer à se tourner vers les Bénédictins, le statut juridique du monument n'ayant toujours pas été défini.
La chape de l'amnésie pèse encore bien lourd sur la vallée.
Caroline RODRIGUEZ. (www.lepetitjournal.com- Madrid) mardi 20 novembre 2007


* Seuls les sépultures de Franco et de Primo de Rivera, disposées de part et d'autre de l'autel sont visibles du public.

{mospagebreaktitle=RAPPORT "Nécessité de condamner le franquisme au niveau international"}** RAPPORT "Nécessité de condamner le franquisme au niveau international", approuvé par l'assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe. Extraits :

Préambule :
« En Espagne, un débat public est toujours en cours sur les crimes commis sous la dictature de Franco et l'inventaire complet des violations des droits de l'homme relatives à cette époque n'est pas encore achevé. Tout en recommandant un certain nombre de mesures visant à accélérer le processus, l'Assemblée parlementaire souligne que la violation des droits de l'homme n'est pas une affaire interne qui ne concerne qu'un pays seul et que le Conseil de l'Europe est bien placé pour engager un débat sérieux sur ce sujet au niveau international. En outre, l'Assemblée demande au Conseil des Ministres d'adopter une déclaration officielle condamnant le régime franquiste au niveau international et de déclarer le 18 juillet 2006 comme journée officielle de condamnation du régime de Franco. »
Article 8.2.3 : « Par conséquent, l'Assemblée demande au Comité des Ministres d'inviter instamment le Gouvernement espagnol à mettre en place une exposition permanente dans la basilique souterraine de la Valle de los Caidos dans la banlieue de Madrid ? où le général Franco est enterré ? expliquant comment elle a été construite par des prisonniers républicains. »
Article 67 : « Le régime franquiste a aussi créé des camps de concentration et des bataillons de travail forcé où des milliers de personnes, parmi lesquelles des femmes et des enfants, ont été « rééduquées ». Les détenus républicains étaient soumis à des conditions d'esclavage. Vingt mille prisonniers ont construit de leurs mains, en la taillant dans la roche, la basilique de la Valle de los Caidos (vallée de ceux qui sont tombés pour la patrie), le monument édifié par Franco pour célébrer sa victoire dans la guerre civile. Des bataillons du travail composés de prisonniers républicains ont été contraints au travail forcé dans les mines, pour la construction de lignes de chemin de fer ou la reconstruction des « regiones devastadas ». Ils étaient aussi utilisés par l'armée et loués à des entreprises privées. »

L'intégralité du rapport :
http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/WorkingDocs/Doc05/FDOC10737.htm

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Publié le 20 novembre 2007, mis à jour le 13 novembre 2012
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