Plus de cinquante ans après l´indépendance de l´Algérie, la jeune écrivaine algérienne Kaouther Adimi explore dans son roman Les petits de Décembre, à travers l´histoire d´un terrain vague, la société de son pays avec ses duperies, sa corruption, ses abus de pouvoir, mais aussi ses espérances.
Kaouther Adimi
La littérature algérienne d´expression française ne cesse de nous étonner en enfantant toujours de nouveaux talents. Un des noms qui nous ont le plus impressionnés ces derniers temps est celui de Kaouther Adimi. Née en 1986 à Alger, elle a passé une partie de son enfance à Grenoble, en France, avant de regagner en 1994 son pays natal qui vivait à l´époque sous l´emprise du terrorisme. Diplômée en lettres modernes et en management de ressources humaines, elle a fini par rentrer en France où elle vit toujours. En 2011, elle a publié aux éditions Actes Sud un premier roman fort remarqué L´Envers des autres qui s´est vu couronner du prix de la Vocation. Ce roman avait déjà paru en 2010 en Algérie chez Barzakh sous le titre Des ballerines de papicha. Petit à petit, elle s´est affirmée comme une des jeunes écrivaines les plus prometteuses de sa génération. En 2017, elle a gravi un échelon supplémentaire dans sa carrière en publiant le très beau roman Nos richesses, aux éditions du Seuil, un opus qui a reçu le Prix Renaudot des Lycéens. Le point de départ est la librairie Les Vraies Richesses, inaugurée à Alger en 1935 par Edmond Charlot, en prenant exemple sur la librairie parisienne d´Adrienne Monnier. Placée sous l´égide de Jean Giono, la nouvelle librairie et petite maison d´édition algéroise se faisait fort de promouvoir de jeunes écrivains de la Méditerranée. Aussi a-t-elle publié, pour inaugurer son catalogue, le premier texte de celui qui n´était alors qu´un parfait inconnu et qui répondait au nom d´Albert Camus…
Algérie : l´espoir fait vivre.
Lors de cette rentrée d´été 2019, Kaouther Adimi revient, toujours aux éditions du Seuil, avec un nouveau roman tout aussi puissant : Les Petits de Décembre. L´histoire se déroule en 2016 à Dely Brahim, une petite commune de l´ouest d´Alger, dans la cité dite du 11-Décembre. Des enfants y jouent au ballon dans un terrain qui devient une surface boueuse les jours de pluie, mais qui malgré tout fait leur bonheur. Dans ce quartier vivent entre autres des militaires à la retraite ou des gens comme Adila, une petite femme aux cheveux bruns très courts qui, pendant la guerre d´Algérie, avait combattu les Français les armes à la main et qui a continué à militer pendant les années de terrorisme.
La vie harmonieuse de la commune bascule le matin où deux généraux, plans de construction à la main, y débarquent pour venir s´installer dans de belles villas déjà dessinées. La réaction des habitants du quartier est particulièrement vigoureuse surtout de la part de jeunes comme Inès -fille de Yasmine et petite-fille d´Adila- Jamyl et Mahdi qui s´en prennent directement aux deux généraux et qui vont mener par la suite la résistance, pour ainsi dire, aux prétentions des deux militaires.
Les deux généraux n´acceptent pas, cela va sans dire, de se faire humilier par des enfants et ne veulent nullement que les choses en restent là, leur réputation et leur pouvoir ne pouvant pas être mis en cause. Le général Saïd a étudié en Russie et fut un des instigateurs de la purge dans l´ armée dans les années quatre-vingt-dix : «Il a lutté avec acharnement contre toute forme d´islamisme, veilla à ce que les étudiants qui portaient une barbe soient suivis, mis sur écoute et convoqués pour être durement interrogés. Il ne douta jamais du bien-fondé de la mission qui lui avait été confiée par sa hiérarchie : anéantir les mouvements islamistes du pays». Ses trois enfants vivent en France grâce à des bourses octroyées par l´État. On raconte qu´il a des parts dans plusieurs entreprises, qu´il est incontournable pour tout ce qui touche au business du pays et que les proches du ministre et des présidents sont tous liés à lui d´une manière ou d´une autre. Il a pourtant une maladie qui le ronge : un cancer qui l´oblige à prendre sa retraite. Il s´est lié d´amitié dans les années quatre-vingt avec Athmane, l´autre général, qui possède plusieurs propriétés à l´extérieur, qui consulte les services d´une voyante et qui fut recruté par le service juridique de l´armée grâce à un faux diplôme de droit, alors qu´il n´avait pas fini les études qu´il avait commencées à Londres.
Ces deux généraux sont certes deux personnages importants de l´intrigue, mais ils sont avant tout le symbole de la corruption, de l´affairisme, de la vénalité du pouvoir en Algérie. Ils veulent donner une leçon exemplaire aux jeunes de la cité du 11-Décembre, mais, en même temps, ils prennent des risques puisque à l´époque des réseaux sociaux la mobilisation des jeunes est énorme et le pouvoir n´est pas en mesure de se mettre à dos des pans entiers de la société algérienne.
Ce roman étale aussi au grand jour l´hypocrisie des gens qui applaudissent théoriquement des mesures sociales progressistes, mais qui, par contre, ne perdent pas l´occasion de tirer à boulets rouges sur ceux ou celles qui dérogent aux principes de la décence et des bonnes mœurs, comme les femmes divorcées qui ne sont pas vues d´un bon œil, surtout lorsqu´elles s´habillent trop à la mode occidentale.
Kaouther Adimi raconte d´une plume élégante les heurs et malheurs du peuple algérien qui, malgré les manigances, la corruption et l´arrogance du pouvoir, nourrit l´espoir en un avenir plus équitable. Un peuple qui, au nom de la justice, n´a pas peur de lutter pour ses idéaux.
Kaouther Adimi, Les petits de Décembre, éditions du Seuil, Paris, août 2019.