Christian Tison est depuis septembre 2018 le nouveau directeur de l´Institut Français du Portugal et Conseiller de coopération et d’action culturelle. Le cinéma est un vecteur majeur de son parcours professionnel, que ce soit en France, en Argentine ou au Portugal. Il a accordé une interview au Lepetitjournal/Lisbonne où il évoque les divers aspects de sa mission dans le domaine culturel ainsi que l´importance de la diplomatie d´influence culturelle.
Lepetitjournal/Lisbonne : Quelles sont les grandes lignes de votre parcours professionnel pour ceux qui ne vous connaissent pas ?
Christian Tison : J’ai eu deux grandes étapes dans ma vie professionnelle: une dans le secteur privé dans la production et la distribution cinématographique, l’autre, depuis une quinzaine d’années, dans le secteur public avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. C’est le cinéma qui est le fil rouge de ce parcours : après mon expérience dans le privé, je suis rentré au ministère en 2004 pour y diriger le service cinéma dont la mission était de favoriser l’exportation du cinéma français et de soutenir les cinématographies des pays du Sud. C’est aussi pour le ministère que j’ai passé quatre ans en Argentine en qualité d’attaché audiovisuel régional (pour les 4 pays du Cône Sud) auprès de l’ambassade de France en Argentine.
Votre arrivée au Portugal a été un choix ?
On a la chance au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de pouvoir changer de poste tous les 3 ou 4 ans. Après une expérience d’attaché en ambassade et un passage de 3 ans à Paris, il m’était naturel de demander un poste de conseiller culturel et de directeur d’institut français. Ensuite, la nomination est le résultat d’un processus mené par la DRH du ministère qui tient compte des postes disponibles et des vœux des agents.
Que pouvez-vous dire de votre mission depuis votre arrivée au Portugal ?
Notre travail dans les services culturels des ambassades et les instituts français dans le monde, en relation étroite avec le réseau des Alliances Françaises, est de mettre en place une diplomatie d’influence au service de notre pays dans les domaines de la culture, de l’enseignement du français et en français, et dans celui de la coopération universitaire et scientifique.
Au Portugal, l’influence de la France est déjà très présente. Le Portugal est un pays francophile, beaucoup de Portugais parlent français et les deux pays sont très proches culturellement.
Néanmoins, notre mission d’influence au Portugal garde tout son sens car rien n’est jamais acquis pour toujours. On le voit avec l’enseignement du français dans le système éducatif portugais qui n’est plus ce qu’il était il y a une vingtaine d’années.
Quelles sont les priorités dans le cadre de cette mission d´ordre culturel ?
Notre mission d’influence dans le secteur de la culture consiste à renforcer la présence de la France dans le paysage culturel portugais.
Cela passe d’abord par un travail étroit avec les partenaires portugais, qu’ils soient de grandes institutions culturelles incontournables ou des acteurs émergents, et de les accompagner dans leur programmation d’œuvres françaises. Cela implique bien sûr d’apprendre à connaître la scène culturelle portugaise, et pas seulement à Lisbonne. Nous avons la chance actuellement d’être dans une période de forte attractivité du Portugal qui se traduit par une grande effervescence culturelle… et beaucoup de sollicitations pour l’Institut Français du Portugal !
Nous organisons nous-mêmes de nombreux évènements dans notre Médiathèque à l’Institut Français du Portugal : projections, lancements de livres ou d’expositions, concerts… Les derniers évènements, comme le lancement de l’exposition Charlotte Salomon, Vie ? ou Théâtre ? (actuellement au Museu Berardo) ou la conférence de Jean-Yves Loude sur son livre Lisbonne dans la ville noire ont affiché complet.
La priorité pour notre agenda culturel en 2019 est bien sûr La Festa do Cinema Francês en octobre et novembre qui reste l’évènement le plus important mis en œuvre par l’Institut Français du Portugal. Ce sera cette année son 20ème anniversaire et nous voulons que l’évènement soit à la hauteur de cet anniversaire !
En effet, la Festa do Cinema Francês et celle de la Francophonie sont depuis plusieurs années des moments marquants de la présence culturelle française au Portugal…
Vous avez raison pour la Fête du cinéma français.
Pour la Fête de la Francophonie, il s’agit d’abord de célébrer la langue française que nous partageons avec de nombreux pays dans le monde. Nous organisons la Fête de la Francophonie au Portugal avec une quinzaine d’ambassades représentant des pays membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Avec cette fête que coordonne l’Institut Français du Portugal, nous avons à cœur de célébrer la diversité de la langue française, les valeurs qu’elle véhicule et le dialogue des cultures qu’elle permet.
Pouvez-vous nous dire quel bilan vous tirez de l´édition 2018 de la Festa do Cinema Francês et de celle de la Francophonie ?
La fête du cinéma français en 2018 a été un grand succès avec près de 20.000 spectateurs et la présence de grands noms du cinéma français. Nous avons eu la chance d’avoir avec nous, en qualité de parrain de la Festa, l’un des plus grands réalisateurs français, Jean-Paul Rappeneau. Parmi les autres invités, on pouvait compter sur des réalisateurs talentueux qui ont souvent les honneurs du festival de Cannes comme Stéphane Brizé ou Xavier Gianolli. Les retombées médiatiques ont d’ailleurs été excellentes.
La fête de la Francophonie a aussi été une grande réussite avec près de 120 évènements programmés durant tout le mois de mars dans 24 villes du Portugal, avec comme point culminant, une magnifique journée artistique et festive le 23 mars au Teatro Capitólio à Lisbonne qui a accueilli plus de 1400 personnes.
Je voudrais aussi souligner le succès en janvier dernier de la Nuit des Idées que nous avons organisée avec la Fondation Calouste Gulbenkian sur le thème "Face au présent", avec de nombreux intellectuels portugais et français. Nous avons en effet accueilli en une seule soirée plus de 2500 participants dont beaucoup de jeunes.
Le débat d’idées est une forme que nous privilégions car elle permet facilement d’interagir avec la société civile portugaise et il y a une demande. Forts de ce succès, nous organiserons une nouvelle édition de La nuit des idées en janvier 2020, et avant, nous allons mettre en œuvre cette année un cycle de conférences sur le thème de "Villes durables" avec la ville de Lisbonne.
Quelles nouveautés pour 2019 ?
Outre les évènements que j’ai déjà mentionnés, nous accueillerons début mai Ana Karina dans le cadre du festival IndieLisboa pour un hommage à la Cinémathèque Portugaise. Nous participerons à La nuit de la littérature européenne le 8 juin avec la venue d’une grande écrivaine française dont je ne peux pas encore vous dire le nom, nous aurons la chance d’avoir Isabelle Huppert au Festival d’Almada les 12 et 13 juillet dans une pièce mise en scène par Bob Wilson, "Mary said she said", et Charlotte Gainsbourg se produira au Festival Super Rock Super Bock le 19 juillet.
Quelle analyse faites-vous, en fonction de votre expérience, de l´évolution de l´influence de la culture française dans le monde et du rayonnement français ? Y-a-t-il des changements par rapport à il y a 15 ans quand vous êtes arrivé au Ministère de l´Europe et des Affaires étrangères ?
En matière de culture et d’idées, la France reste incontestablement une référence dans le monde entier : je peux en témoigner après mon expérience en Amérique du Sud et c’est aussi le cas au Portugal. Mais c’est une position qui n’a pas obligatoirement vocation à être pérenne. La compétition entre les pays sur le terrain de l’influence est de plus en plus forte, avec notamment de grands pays émergents qui s’invitent dans cette compétition.
Notre travail consiste à entretenir et renforcer cette position de référence. Je ne sais pas si c’est plus ou moins facile qu’il y a 15 ans, mais la manière de porter une diplomatie d’influence, en tout cas dans les secteurs de la culture et des idées, a effectivement évolué. Nous sommes passés d’un modèle de "rayonnement", de diffusion de notre culture, à une logique d’interaction avec les sociétés des pays dans lesquels nous travaillons. Une partie importante de notre travail consiste maintenant à favoriser le dialogue entre la société civile française et la société civile du pays étranger. Cette évolution est due à la mondialisation et au développement extraordinaire des technologies numériques.
Propos recueillis par Custódia Domingues