L´écrivain français d´origine congolaise Wilfried N´Sondé récupère à travers la fiction l´histoire de Nsaku Ne Vunda ou Dom António Manuel, le premier ambassadeur africain au Vatican. Comme nous le présente l´éditeur : "un ébouriffant plaidoyer qui exalte les nécessaires vertus de l´égalité, de la fraternité et de l´espérance".
Dans une époque où l´on parle tellement du devoir de mémoire et où il est si souvent question de la lutte contre l´oubli, on constate néanmoins que l´humanité ne cesse de reproduire les mêmes erreurs et que l´amnésie est encore à l´ordre du jour. Aussi est-il important que des romans nous fassent réfléchir sur la condition humaine et nous incitent à nous pencher sur la mémoire collective et sur un lointain passé qui nous tourmente encore. C´est le cas d´un des romans les plus intéressants publiés en France depuis le début de l´année sous la plume de Wilfried N´Sondé : Un océan, Deux mers, trois continents.
Wilfried N´Sondé est un écrivain et musicien français né en 1968 à Brazzaville, capitale da La République du Congo. Il a grandi en Île-de-France et étudié les sciences politiques avant de partir à Berlin où il a vécu pendant vingt-cinq ans. Il a aussi enseigné la littérature à l´Université de Berne, en Suisse, et vit désormais à Paris. Il a publié tous ses romans -y compris ce dernier que l´on vous présente aujourd´hui- chez Actes-Sud, a savoir Le Cœur des enfants léopards (2007, prix des Cinq continents de la francophonie et prix Senghor de la création littéraire), Le Silence des esprits (2010), Fleur de béton (2012) et Berlinoise (2015). Ses deux premiers romans sont déjà disponibles en édition de poche dans la collection Babel.
Ce roman, un véritable plaidoyer pour la tolérance, nous ramène au début du dix-septième siècle et aux tribulations d´un jeune africain qui répondait au nom de Nsaku Ne Vunda, né sur les rives du fleuve Kongo. Orphelin élevé dans le respect des ancêtres et des traditions, éduqué par les missionnaires et baptisé Dom António Manuel le jour de son ordination, il est chargé par Álvaro II, le roi des Bakongos, un pion sans intérêt pour les Portugais, de devenir son ambassadeur auprès du pape Clément VIII. En fait, la mission dont Nsaku Ne Vunda ou Dom Antonio Manuel -le premier ambassadeur africain à Rome- devait s´acquitter n´était pas à vrai dire celle de représenter son royaume au Vatican, mais plutôt de plaider auprès du Saint-Père une noble cause. Il s´agissait donc de le sensibiliser pour qu´il fasse jouer son autorité sur les monarques d´Europe afin que ceux-ci abolissent l´esclavage, que le roi des Bakongos identifiait comme le meurtre de l´humanité. Il attendait que Dom António Manuel en informe le pape qui ignorait sûrement ces ignobles trafics qui allaient à l´encontre des principes prêchés par le christianisme.
Le moins que l´on puisse dire c´est que la mission secrète qui incombait à Dom António Manuel était parsemée d´embûches. En effet, le bateau sur lequel il embarquait était chargé d´esclaves et allait passer par le Nouveau Monde. Plongé dans la détresse, le jeune prêtre, élevé dans la pureté des enseignements nobles qu´il avait puisés dans les textes religieux, éprouvait un sentiment de révolte et d´impuissance devant la violence qui s´étalait au grand jour devant ses yeux : "Je haïssais déjà ce bateau peuplé de dégénérés obéissant à des règles dans la logique, si éloignée de ce que j´avais toujours vécu, m´échappait complètement. En sanglots, je m´allongeai sur ma paillasse, les yeux fermés. Oublier un instant les cris des femmes venant du pont, le bruit des viols que je devinais au loin, la vulgarité des injonctions, les ordres aboyés, les protestations, les lamentations et les appels à l´aide à vous fendre le cœur qui remontaient inlassablement de la cale. De rage, j´appuyai très fort les paumes de mes mains contre mes oreilles et laissait l´amertume m´envahir. J´en voulais à tout ce qui pouvait exister dans ce monde de m´avoir forcé à quitter la province de Boko et poussé à laisser derrière moi la quiétude de mes jours consacrés à construire notre chapelle en haut de la colline, à honorer le Seigneur et à chérir la mémoire des ancêtres". Les rares moments de bonheur étaient les conversations avec Martin, un jeune mousse auquel il s´était attaché et dont la véritable identité se révèlera pendant le voyage, à la grande surprise de Dom António Manuel…
Avant son arrivée à Rome, nombre d´obstacles se sont dressés sur le chemin du jeune prêtre qui ignorait qu´en Europe des conspirations se tissaient pour l´empêcher d´atteindre son but, mais qu´inversement d´autres forces se conjuguaient pour essayer de le protéger. En passant par le Portugal et par l´Espagne des dangers le guettaient et l´Inquisition vouait aux gémonies ceux qui osaient à peine penser, réfléchir ou simplement marcher…
Avec Un océan, deux mers, trois continents, roman d´aventures et récit de formation, Wilfried N´Sondé nous fait connaître ce personnage oublié de l´Histoire, véritable Candide africain, dont aujourd´hui encore les visiteurs peuvent découvrir le buste qu´on appelle Nigrita dans la basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome.
Porté par un langage poétique et un style élégant, ce roman de Wilfried N´Sondé est une vraie leçon d´humanisme et d´espérance.
Wilfried N´Sondé, Un océan, deux mers, trois continents, éditions Actes-Sud, Arles, janvier 2018.