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"Le Capitaine" d´Adrien Bosc

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Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 22 novembre 2018

Après Constellation, un premier roman fort remarqué et couronné de deux prix littéraires, Adrien Bosc publie son deuxième roman, Le Capitaine, où il raconte avec  force détails et en mêlant réalité et fiction l´exode des réprouvés de la France de Vichy et d´une Europe en feu.

 

Le capitaine Paul-Lemerle.

Dans ma chronique précédente publiée sur le roman Un cargo pour les Açores de Jean-Yves Loude, j´ai cité en passant le roman Constellation d´Adrien Bosc dont le sujet tournait autour du vol New York-Paris d´Air France de l´avion Lockheed Constellation qui s´est écrasé le 27 octobre 1949 sur une montagne de l´archipel portugais des Açores. Dans cet accident ont péri entre autres le boxeur Marcel Cerdan, amant d´Edith Piaf, et la musicienne prodige Ginette Neveu. Ce roman, publié en 2014, a défrayé la chronique et pour cause. D´abord parce que c´était le premier roman d´un auteur qui n´avait que 28 ans et puis parce que c´était une œuvre d´une indiscutable maturité d´écriture, exempte de ces péchés de jeunesse que l´on trouve d´ordinaire sous la plume d´auteurs qui viennent de publier leur premier roman. Aussi lui fut-il décerné le prix de la Vocation et le prix du roman de l´Académie Française.

Né à Avignon en 1986, fondateur des Éditions du Sous-Sol et actuellement directeur-adjoint aux Éditions du Seuil, Adrien Bosc publie dans cette rentrée littéraire 2018 son deuxième roman, intitulé Le Capitaine, où il est derechef question de voyage, mais aussi d´exil, d´errance et de survie face à la guerre et à la barbarie.

Le 21 mars 1941, le navire Capitaine-Paul-Lemerle quitte le port de Marseille et parmi ses passagers on compte les réprouvés de la France de Vichy et d´une Europe en feu, les immigrés de l´Est et républicains espagnols en exil, les juifs et apatrides, les écrivains surréalistes et artistes décadents, les savants et affairistes. On croise André Breton, Claude Lévi-Strauss, Victor Serge et son fils, le peintre cubain Wilfredo Lam, son confrère français André Masson, et un groupe important d´Allemands dont la photographe Germaine Krull, Anna Seghers et ses enfants ou l´essayiste Alfred Kantorowicz (ne pas confondre avec l´historien Ernst Kantorowicz).

Le narrateur pose un regard très particulier sur quelques personnages d´exception qui seraient en d´autres circonstances des nantis, mais qui sous les coups de boutoir de l´exode ressemblent au commun des mortels. Roman nourri d´extraits de lettres, de carnets de voyage, de journaux, mais aussi-et surtout-de l´imagination pétillante et prodigieuse de l´auteur, Le Capitaine est une fiction où l´on voit défiler des personnages qui tuent le temps en devisant, en improvisant des conférences sur les sujets les plus divers, éludant de la sorte la longue attente qui les séparent de la fin de leur voyage, un voyage à destination des États-Unis, du Mexique ou de l´Amérique du Sud.

Souvent dans le récit, le narrateur nous renvoie à l´histoire personnelle de certains personnages et à ce qu´ils ont enduré pour être finalement du voyage. C´est le cas d´Alfred Kantorowicz, un nom important parmi la communauté des émigrés allemands en France où il s´est réfugié après que les nazis eurent accédé au pouvoir. Il était un homme fortement engagé qui avait intégré les Brigades Internationales dans la Guerre d´Espagne. Il était entré dans Madrid Libre, avait combattu deux ans, mais, à la fin, la victoire de Franco avait sonné le glas du rêve internationaliste en défense de la République espagnole. À Paris, en 1933, il avait imaginé avec l´Association de protection des écrivains allemands le projet d´une bibliothèque qui rassemblerait les œuvres brûlées, censurées ou passées sous silence par le Troisième Reich. L´année suivante avec Heinrich Mann, il a inauguré au boulevard Arago, toujours à Paris, la Bibliothèque allemande de la liberté à laquelle se sont associés nombre d´intellectuels.  Ce combat l´a placé sur la liste noire des autorités allemandes Ainsi attendait-il d´être, selon les termes de l´article 19 de la convention d´armistice entre la France et l´Allemagne, «livré sur demande». Néanmoins, se rappelant le conseil d´une amie, un conseil dont il devrait se servir en cas de besoin, il a pu s´en sortir de justesse : «tandis que le commandant vérifiait l´ordre d´arrestation, à voix basse il lui glissa ce qu´une amie lui avait conseillé en dernier recours : «Mon colonel, le colonel Riverdi vous a parlé de nous. Moi, je suis Alfred Kantorowicz.- Ah, c´est vous alors !» Puis le gendarme avait pris le tampon du bureau du port, l´avait apposé sur les visas, déchiré en morceaux l´ordre d´arrestation : «Fichez-moi le camp et faites en sorte de disparaître»».

Le pire pour les voyageurs du Capitaine Lemerle s´est produit en Martinique -«La-Martinique, la perle des Antilles…et le déshonneur de la France.»- où les troupes du lieutenant Castaing se défoulaient en se moquant, par sadisme ou par ignorance, des réfugiés et en inventant des règles et des ordres contradictoires. Les voyageurs ont tous été envoyés à la Pointe-Rouge, au Lazaret, une ancienne léproserie où ils sont restés quelque temps jusqu´à leur départ pour de différentes destinations. Seuls y ont échappé Claude Lévi-Strauss, Smadja (un Tunisien mystérieux) et un Béké de retour au pays.  

Claude Lévi-Strauss en attendant à Porto Rico son départ vers New York et après avoir été soumis à un interrogatoire particulièrement poussé (lui, qui avait été invité à enseigner à la New School for Social Research, au pays de l´Oncle Sam) a écrit encore une lettre à ses parents où il a fait état de ses ennuis : «Et me voilà renfermé dans mon hôtel, avec deux gardes pour moi tout seul maintenant qui m´accompagnent chaque fois que je veux aller boire un ice-cream soda ! Cela s´est passé il y a deux jours. Avant-hier j´ai été reconvoqué pour l´examen de mes documents par un spécialiste (sic), après quoi on m´a tout rendu : c´est déjà ça.»

Pour un jeune écrivain le plus dur ce n´est peut-être pas le premier roman, mais le deuxième où, parfois, les promesses entrevues précédemment ne sont pas tenues. Ce n´est pas le cas d´Adrien Bosc. Ce deuxième roman -Le Capitaine- confirme que nous sommes indéniablement devant un des jeunes écrivains français les plus talentueux.


Adrien Bosc, Le Capitaine, éditions Stock, Paris, août 2018

 

Publié le 22 novembre 2018, mis à jour le 22 novembre 2018

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