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"Maîtres et esclaves" roman de Paul Greveillac

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Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 20 décembre 2018

Après le succès des Âmes Rouges, en 2016, Paul Greveillac poursuit avec Maîtres et esclaves, son deuxième roman, une réflexion sur le dilemme de la création artistique en régime totalitaire. Après l´ex-Urss, c´est le tour de la Chine.  

Maîtres et esclaves en Chine.

Mao Zedong a affirmé un jour -je l´ai déjà cité une fois ailleurs- qu´un tiers de l´humanité pourrait mourir si c´était pour le bonheur du communisme. En lançant la révolution culturelle en 1966, il a ouvert une période de terreur qui ne s´est achevée qu´avec sa mort, dix ans plus tard. Il y a eu des millions de victimes. Aujourd´hui le travail de mémoire reste à faire car si le pouvoir en place ne suit plus les préceptes maoïstes, le parti communiste règne toujours sans partage, quoiqu´il se soit converti aux plaisirs présumés du capitalisme d´État (version un tant soit peu ambiguë d´un certain capitalisme sauvage).

Dans les années cinquante, la Chine était un pays arriéré et agricole. C´est dans cette époque qu´est né le héros du roman Maîtres et esclaves, paru chez Gallimard fin août. C´est le deuxième roman de Paul Greveillac, jeune écrivain né en 1981. Le premier fut fort remarqué tant et si bien qu´il s´est vu décerner le prestigieux prix Roger Nimier. Il s´intitulait Les Âmes Rouges (il a été le sujet de la chronique de mai 2016 de mon blog La plume dissidente) et dépeignait la censure littéraire et cinématographique dans l´Urss post –stalinienne. Pour Paul Greveillac, donc, les difficultés pour donner libre cours à l´imagination lorsqu´un pouvoir totalitaire muselle les intellectuels ou les artistes est un sujet qui lui tient à cœur, à la différence près que si dans Les Âmes Rouges on constate comment l´amitié entre Vladimir Katouchkov, un censeur russe -qui, écoeuré par le système, en dénonce l´hypocrisie- et Pavel Golchenko, un projectionniste ukrainien, résiste au verrou du pouvoir, dans Maîtres et esclaves on vérifie comment un héros, obtenant la carte du Parti et devenant peintre du régime, est rattrapé par l´Histoire.

Tian Kewei (le nom de notre héros) naît en 1950-un an après la prise du pouvoir par les communistes- dans une famille de paysans chinois, à Sichuan, au pied de l´Himalaya. Kewei ne pense qu´à dessiner du matin au soir, une passion transmise par son père, ce qui rend pourtant triste sa mère qui ne voit pas d´un bon œil cette prédilection pour la peinture, craignant un sombre avenir pour son rejeton. C´est l´époque où la collectivisation bat son plein et la famine risque de décimer le village. Le dirigeant local du Parti, Jiang Jinsheng, écoute avec engouement les bulletins triomphateurs de Radio Pékin, vociférant que le "Grand Bond en avant" va transformer la Chine et qu´il doit tenir sa commune et faire ses quotas : "Moins de trente ans auparavant, dans un contexte proche, la famine avait causé des millions de morts en Urss, en Ukraine. Mais comment Jiang l´eut-il su. Et en quoi cela l´eût-il concerné… Les morte étaient le prix à payer pour la concrétisation de la Nouvelle Chine. Lui-même, d´ailleurs, n´était-il pas bien vivant ?" En raisonnant de la sorte, il lit sans le savoir dans les pensées de Lin Jingquan (son supérieur hiérarchique) ou de Mao lui-même qui dirait bientôt : "Distribuer les ressources de façon égalitaire ne fera que ruiner le Grand Bond en avant. Quand il n´y a pas assez de nourriture, des gens meurent de faim. Il vaut mieux laisser mourir la moitié de la population, afin que l´autre moitié puisse manger suffisamment".

On trouve donc dans ce roman foisonnant, tout un cortège de suspicions, de délations, d´autocritiques érigées à la catégorie de système ou encore la justice populaire dite révolutionnaire (et ses dérives). La page 116, entre autres, nous donne une illustration assez éloquente de la perversité du système. Un des membres d´une troupe vengeresse et assassine s´adresse à Kewei d´une voix impérieuse : "-Va dire au village que le Groupe des lances est là. Que tous ceux qui s´accrochent aux vieilles idées, aux vieilles coutumes, aux vieilles habitudes, à la vieille culture… que tous ceux-là se le tiennent pour dit ! Et il brandit son arme, dont le fer était entouré d´un petit ruban rouge noirci par endroits. On avait, de cette lance, empalé plus d´un récalcitrant. De l´anus à l´occiput. Histoire de bien faire entrer la Révolution culturelle dans les crânes". Et le narrateur poursuit l´histoire de l´abjection dans laquelle le village est plongé : "Le village connut bientôt une animation extraordinaire. Il se transforma en un organisme drogué à un opium plus puissant que la religion, cocktail de peur, d´impuissance, de sadomasochisme et de pulsions inavouables. Son agitation devint rapidement malsaine. Sur la grand-place, on trouvait désormais, à peine moins illettrés que ceux dont ils rédigeaient les confessions, des écrivains publics. Autocritique ordinaire : 20 jiao. Autocritique du tonnerre : 50 jiao".

Repéré par un garde rouge, Tian Kewei échappe au travail agricole et à la rééducation permanente. Il part étudier aux Beaux-arts de Pékin, laissant derrière lui sa mère, sa toute jeune épouse, leur fils et un village dont les traditions ancestrales sont en train de se diluer. Dans la grande ville, il côtoie les maîtres de la nouvelle Chine et connaît une ascension sans limite. Néanmoins, le bonheur ne dure pas toujours et plus tard son fils, féru de peinture lui aussi, va baigner dans les milieux de la dissidence…

Paul Greveillac -qui a eu un grand-père chinois qui avait quitté la Chine en des circonstances troubles et inconnues- a affirmé, dans une vidéo promotionnelle des éditions Gallimard, qu´il avait choisi la Chine en partie pour les raisons personnelles mentionnées, mais aussi parce que ce pays est une espèce de laboratoire qui permet de créer des personnages plus vrais que nature et fort romanesques. Quant au titre, il n´est pas à prendre d´une manière statique, puisqu´un jour ou un autre même ceux qui, au début, étaient des maîtres peuvent devenir des esclaves de quelque chose ou de quelqu´un et que la Chine est une réalité aussi mouvementée que tout peut basculer sans qu´on l´eût prévu.

En lisant ce beau roman, les lecteurs les plus jeunes s´interrogeront peut-être sur les raisons qui ont jadis poussé toute une génération de jeunes bourgeois français et européens à prendre comme modèle un régime chinois pervers, commandé par un sinistre personnage qui répondait au nom de Mao Zedong…  

Paul Greveillac, Maîtres et esclaves, éditions Gallimard, Paris, août 2018

 

Publié le 20 décembre 2018, mis à jour le 20 décembre 2018

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