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"Toda a gente gosta de Jeanne", une comédie dramatique à ne pas manquer

Celine-DevauxCeline-Devaux
©C. Roux
Écrit par Camille Roux
Publié le 10 novembre 2022, mis à jour le 10 novembre 2022

Projetée pour la première fois lors de la séance d'ouverture de la 23ème édition de la Festa do Cinema Francês à Lisbonne le 26 octobre dernier, Toda a gente gosta de Jeanne, de la jeune réalisatrice française Céline Devaux, sort en salle au Portugal ce jeudi 10 novembre.


Toda a gente gosta de Jeanne : 95 minutes de rires et d'émotions

Alors endettée, Jeanne n'a d'autres choix que de vendre l'appartement, situé à Lisbonne, de sa mère récemment décédée. Elle fait la rencontre de Jean, un ancien camarade d'école, à l'aéroport de Paris. S'en suit alors une réflexion émouvante et complexe sur l'amour, le deuil, mais aussi sur la relation parent-enfant. Les dessins d'animation, présents tout au long du film et interprétant les petites voix qui encombrent l'esprit de Jeanne, apportent quant à eux une touche originale et pétillante à ce long-métrage au thème pourtant dramatique. 

 

Une comédie féminine en plein cœur de Lisbonne

À l'occasion de la projection de son film Toda a gente gosta de Jeanne au cinéma São Jorge de Lisbonne dans le cadre de la Festa do Cinema Francês, la réalisatrice Céline Devaux a accordé un entretien exclusif à Lepetitjournal/Lisbonne. Elle se confie sur la réalisation du film, le choix des acteurs, mais également les thèmes qu'elle aborde avec brio tels que le deuil, l'amour, ou la représentation féminine.
 
Lepetitjournal/Lisbonne : Vous êtes ici dans le cadre de la Festa do Cinema Francês pour la projection de votre film Tout le monde aime Jeanne, le film d'ouverture de cette édition. Qu'est-ce que cela représente pour vous de pouvoir participer à cet évènement ?
Céline Devaux : C'est un honneur, et puis c'est surtout un grand moment pour nous puisque le film a été tourné ici, donc rencontrer le public lisboète, français ou portugais, c'est très important. On a beaucoup de chance de pouvoir faire l'ouverture de ce festival.
 
Votre film retrace avec brio les différentes étapes du deuil ainsi que la relation ambigüe que peuvent entretenir les enfants avec leurs parents, d'où vous est venu l'idée de faire un film sur ce sujet ? 

Je trouve que la famille est un laboratoire passionnant, c'est le seul endroit où l'on reste en contact avec des gens avec qui on n'est pas d'accord. Dans la vie on choisit généralement ses amis, et les divergences politiques et comportementales sont souvent le signe de la fin d'une amitié. En revanche, en famille, on sent l'obligation de voir encore ces gens qui font partie de notre entourage malgré ces divergences. Après on peut partir, mais c'est très mal vu de le faire donc c'est intéressant de voir à quel point on concentre la valeur des gens dans la famille.
 
Tout le monde aime Jeanne est une production franco-portugaise. D'où vient ce projet ?

L'histoire était écrite à Lisbonne depuis le début, c'était une ville que je commençais à bien connaître car je suis beaucoup venue pour le travail. Je voulais aussi parler de cette espèce de phénomène européen des villes qui commencent à être « vendues » au tourisme, dévorées par la spéculation, et Lisbonne en est un exemple flagrant. C'est une ville qui me tient à cœur et qui, je pense, a été déformée. En tout cas de l'étranger il y avait cette vision réduite selon laquelle il s'agirait de la ville colorée, sympa et peu chère, alors qu'évidemment quand on vient au Portugal on constate qu'il y a une richesse immense de la culture portugaise et qui est tellement éclatante ! C'est absurde de s'arrêter là.
 
Dans votre film, vous avez inséré des images d'animation qui illustrent les pensées de la protagoniste Jeanne, dont vous êtes l'auteure puisque vous êtes également illustratrice. Pourquoi avoir choisi de donner une véritable voix à ses pensées par le biais de l'illustration ?
 

C'est quelque chose qui ne se fait pas trop au cinéma généralement. Je pense que c'est extrêmement courant d'être traversé par des voix intérieures plus ou moins toxiques, et j'aurais pu me limiter à la représenter comme une voix-off mais l'animation est ma formation première donc j'avais envie de rendre visuelle cette voix. J'avais envie de parler de honte aussi, et pour cela l'animation s'y prête bien puisqu'il y a quelque chose qui permet le ressort comique et la nostalgie.
 
Vous prêtez votre voix à ces images d'animation. Aviez-vous déjà fait cela auparavant ?

Non je ne l'avais jamais fait et c'est un concours de circonstances. Cela devait être une autre voix mais pour faire avancer le montage c'est moi qui la faisais en enregistrant sur mon téléphone. Finalement on a choisi de la garder. Je l'ai faite sans pression en pensant que cela ne resterait pas, mais finalement c'était une expérience assez géniale ! 
 
Pour en venir à votre parcours, vous avez poursuivi vos études à l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Le dessin a-t-il toujours été une vocation pour vous ?

Je ne sais pas vraiment, je crois que j'ai toujours dessiné. J'ai commencé par faire des études de littérature, mais je voulais vraiment dessiner donc j'ai eu la chance d'être acceptée dans cette école-là.
 
À quel moment avez-vous fait le choix de vous tourner vers le cinéma ?

Il y a une spécialité cinéma d'animation à l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, j'ai découvert ce domaine et j'ai trouvé cela extraordinaire. Cela m'a donné envie de faire des films tout court, c'est-à-dire qu'au départ c'était avec le dessin, et puis réussir à fabriquer des objets dans lesquels il y a l'image, le texte, le son, je trouvais cela irrésistible.
 
Au départ vous avez réalisé plusieurs films d'animation, je pense notamment au court métrage Vie et Mort de l'illustre Grigori Efimovitch Raspoutine récompensé au Festival International du court métrage de Clermont Ferrand, ou encore le film Gros Chagrin ayant reçu le prix du meilleur court-métrage à la célèbre Mostra de Venise en 2017. Avec Tout le monde aime Jeanne vous signez votre premier long métrage, cela représente-t-il pour vous la suite logique de votre carrière ?

On peut faire une carrière entière en faisant exclusivement des courts-métrages, et je trouve d'ailleurs cela assez génial, mais dans l'ensemble ce métier se prête davantage à la réalisation de long-métrages.
 
Dans Tout le monde aime Jeanne, on peut suivre l'histoire de Jeanne, interprétée par Blanche Gardin, une femme carriériste qui ne laisse transparaître aucune émotion, jusqu'à son retour au Portugal et sa rencontre avec Jean, interprété par Laurent Lafitte. Quel est le message que vous souhaitez faire passer aux spectateurs ? 

Je voulais explorer la possibilité d'être dans l'intériorité d'une femme, ce qui n'est finalement pas si évident au cinéma, même si cela se fait de plus en plus. Je voulais aussi renverser les rôles, c'est-à-dire écrire un personnage de femme qui ne cherche pas à plaire parce qu'elle n'y parvient pas. Elle ne s'occupe de personne et elle ne parle pas, alors que généralement dans la vie, et par extension dans les films, on donne aux femmes la parole, celle qui sait dire les mots et mettre des mots sur les situations et les émotions. Ce sont aussi celles qui s'occupent des autres, et dans le cas de ce film ce sont les deux hommes qui passent leur temps à parler et qui s'occupent d'elle.
 
Vous avez donc choisi Blanche Gardin et Laurent Lafitte pour interpréter les deux protagonistes principaux. À l'écran, le duo semble très bien marcher, pourquoi avoir choisi deux humoristes ?

Au départ j'avais écrit pour Blanche Gardin, mais pas pour Laurent Lafitte. Je rêvais de proposer ce rôle à Blanche Gardin car c'est un rôle qui était une sorte de contre-emploi par rapport à ce qu'elle a l'habitude de faire. Elle écrit très bien, elle parle très bien, et elle parle aussi beaucoup. Là je lui proposais un rôle plutôt mutique, avec un spectre d'émotions différent et une posture physique différente. J'étais sûre qu'elle serait géniale, et j'avais très envie de lui proposer cela, de ne pas l'employer pour ce qu'elle sait faire. Pour Laurent, quand on a voulu trouver l'acolyte de Blanche, on a pensé à lui et il s'avère que ce sont deux personnes qui écrivent et mettent en scène, plus que des humoristes. J'aime bien l'idée de collaborer avec des gens très forts dans ce qu'ils font et qui ont envie de s'approprier le texte.  
 
Pourquoi avoir choisi Nuno Lopes pour interpréter le personnage de Vítor ?

Je connaissais l'acteur, je le trouvais d'ailleurs génial, et cela me faisait également plaisir de lui proposer à lui aussi un rôle à contre-emploi, beaucoup plus comique que le rôle ombrageux qu'on lui donne habituellement.
 
Vous êtes également engagée au sein du collectif 50/50 qui a pour but de promouvoir l'égalité des genres et la diversité dans le cinéma. Votre engagement pour cette cause tient-il à une expérience personnelle ? Vous êtes-vous déjà sentie discriminée par rapport à votre condition de femme dans l'évolution de votre carrière ?

Évidemment cela me tient à cœur, mais de toute façon c'est inévitable, en tant que femme dans le cinéma on est obligé de s'en préoccuper puisqu'on est dans un domaine où, au départ, on est en très grande minorité. J'ai eu la chance tout de même de ne pas venir d'une école de cinéma, donc j'ai toujours été un peu une « outsider », même actuellement car j'ai fait une école d'art et pas de cinéma, car ma formation c'est l'animation et pas le scénario classique. Donc au départ, femme ou homme, je viens d'un autre domaine, ce qui je pense a beaucoup contribué à me faire me sentir moins mise en danger par les hommes. Je trouve qu'il y a quand même de très forts reliquats d'éducation dans ce domaine quand je vois la désinvolture, le courage et la légèreté avec laquelle les jeunes hommes s'enthousiasment de leurs propres idées et les présentent au monde, et à quel point en revanche les jeunes femmes vont d'abord justifier leur idée avant de la présenter.
 
Quels sont vos projets pour la suite ? Souhaitez-vous poursuivre avec d'autres long-métrages ?
J'écris deux long-métrages !

 

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