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ROMAN – "Le Glorieux et le Maudit" d´Olivier Charneux

Olivier CharneuxOlivier Charneux
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 26 avril 2023

Après la mort de Raymond Radiguet, Jean Cocteau rencontre un jeune provincial surdoué, Jean Desbordes, dont les textes et la personnalité le séduisent. Ils vont vivre sept ans ensemble. Cocteau écrira un jour La voix humaine, déchirante transposition de leur rupture. Jean Desbordes se marie, poursuit sa carrière littéraire, s´engage dans la Résistance et meurt sous la torture. Injustement oublié, il revit maintenant sous la plume alerte d´Olivier Charneux dans son roman Le Glorieux et le Maudit, aux éditions du Seuil.     


Olivier Charneux

La littérature est souvent un énorme purgatoire d´écrivains. La postérité ignore la gloire de ceux qui ont autrefois étalé au grand jour leur talent. Néanmoins, il peut suffire parfois qu´un écrivain évoque un autre plus ancien pour que ce dernier revienne sur le devant de la scène.

Olivier Charneux, né le 25 mai 1963 à Charleville-Mezières (Ardennes), a plus d´une dizaine de livres à son actif. En 2020, par exemple, il a publié aux éditions Séguier Le prix de la joie, Eté 1963, l´affaire Charles Trenet, un très passionnant récit sur un épisode de la vie de celui que l´on surnommait «le fou chantant», un épisode ayant trait à une sordide accusation qui a mené à son incarcération vingt-huit jours durant, entre juillet et août 1963 (justement l´année où Olivier Charneux est né), à la maison d´arrêt d´Aix-en-Provence, pour avoir eu «des relations sexuelles avec des jeunes de son sexe âgés de moins de vingt-et-un ans»(1).  Il s´agit d´un livre très émouvant et sur lequel j´ai fait une chronique pour mon blog «La plume dissidente». Cette fois-ci, Olivier Charneux écrit un roman tout aussi beau et poignant, publié aux éditions du Seuil, intitulé Le Glorieux et le Maudit, Jean Cocteau-Jean Desbordes : deux destins. S´il raconte un peu l´histoire de la relation, puis de la rupture entre le  Glorieux Jean Cocteau, célèbre poète et dramaturge né en 1889, et le Maudit, Jean Desbordes, jeune poète surdoué, ce n´est que pour mieux mettre en exergue la vie d´un écrivain talentueux et résistant courageux, injustement oublié.


Jean Desbordes, jeune poète surdoué

Né le 3 mai 1906 à Rupt-sur-Moselle (Vosges) au sein d´une famille protestante, Jean Desbordes se découvre une vocation d´écrivain dès sa jeunesse. Son père -le pharmacien de la commune- étant décédé, il vit avec sa mère et ses deux sœurs fréquentant très peu de monde. Enfoui donc dans une énorme solitude, il tombe sur un livre de Jean Cocteau Le Grand Écart qui l´a émerveillé. Se cachant sous le pseudonyme de Jean de List, il écrit une lettre à celui qu´il tenait déjà pour son maître qui lui répond, pour sa part, d´un ton enthousiaste. En 1926, Jean Desbordes devient une sorte de secrétaire de Jean Cocteau -qui était plongé dans la tristesse après la mort prématurée de Raymond Radiguet-, passe le plus clair de son temps au 9, Rue Vignon, à Paris, domicile de son «maître» et entame en concomitance une très prometteuse carrière littéraire avec la parution en 1928 de J´adore, essai poétique qui donne l´exacte mesure du talent incommensurable de ce jeune surdoué qui participe aussi dans le film de Cocteau Le sang d´un poète.


Le Glorieux et le Maudit, Jean Cocteau et Jean Desbordes  

La relation entre Cocteau et Desbordes est tissée d´amour, de littérature, de consommation de drogues -surtout de l´opium- et de drague en Côte d´Azur. Des frasques possibles grâce à l´argent de la mère de Cocteau, de Coco Chanel ou d´autres financeurs. Un jour, des flics débarquent chez Cocteau : «L´homme en costume fripé se présente comme inspecteur de la brigade des mœurs. Il énonce qu´une information est ouverte contre lui par le parquet de la Seine, qu´une perquisition va avoir lieu immédiatement dans sa chambre». Ils fouillent la pièce et puis embarquent Cocteau et Desbordes. Un flic lâche avec mépris : «Cocaïnomanes, opiomanes et pédérastes…Ils accumulent les tares, ces pervers». Cocteau rappelle sa condition de poète, affirmation  à laquelle l´inspecteur répond sarcastiquement : «Et moi, je suis la reine d´Angleterre», déclenchant l´hilarité de sa troupe. On les emmène rue Lutèce, dans les locaux de la Brigade des mœurs. Ils parviennent finalement à s´en sortir grâce à l´intervention d´une connaissance de Joseph Kessel, l´écrivain. Ils doivent se soumettre à une cure de désintoxication. Toujours est-il qu´ils ne cessent jamais de consommer des drogues.

Après sept ans de vie ensemble, leur rupture se produit et Cocteau en fait une déchirante transposition dans La voix humaine. Desbordes file alors un mauvais coton. Il est quand même aidé par un ami d´enfance, Morice, il relance sa carrière littéraire avec un succès mitigé et épouse Madeleine Peltier, une pharmacienne (qui exerçait curieusement le métier qui avait été celui de son père). Avec la guerre, il s´engage dans la Résistance où il se fait remarquer par son professionnalisme, sa fidélité et son héroïsme. Arrêté par la Gestapo en juillet 1944, il refuse de donner les noms de ses compagnons et meurt sous la torture. Jeté d´abord dans une fosse commune, son corps est retrouvé plus tard, et en 1948 il est finalement enterré dans son village natal de Rupt-sur-Moselle.

Ce roman d´Olivier Charneux porte d´une part un nouveau regard sur Jean Cocteau et cherche d´autre part à retirer du limbe Jean Desbordes, un écrivain et un héros de la Résistance : un homme pas comme les autres dont les livres -J´adore, La Mue, Les Tragédiens, Les Forcenés(2), Le crime de la Rue Royale, Le vrai visage du Marquis de Sade- méritent d´être lus et dont l´intrépidité et l´héroïsme devraient être un exemple pour les jeunes générations.


Olivier Charneux, Le Glorieux et le Maudit, Jean Cocteau et Jean Desbordes : deux destins, éditions du Seuil, Paris, mars 2023.
 

(1)La majorité était à 21 ans en 1963. Elle a été fixée à 18 ans en 1974.
(2)Le roman Les Forcénés a été réédité en 2022 par les éditions Interstices, un signe encourageant pouvant signifier un regain d´intérêt pour l´œuvre de Jean Desbordes.

 

 

 

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