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LIVRE - Houris un roman de Kamel Daoud

Kamel Daoud est le vainqueur du prix Goncourt 2024, attribué le 4 novembre, pour son roman « Houris » qui aborde les massacres de la "décennie noire" en Algérie, entre 1992 et 2002. En 2015 il avait également reçu le prix Goncourt pour son premier roman "Meursault contre-enquête".

HourisHouris
©Gallimard
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 26 septembre 2024, mis à jour le 22 novembre 2024

Après le succès du brillant "Meursault contre-enquête" (prix Goncourt du premier roman 2015) — une réécriture postcoloniale de L'Étranger et un hommage à Albert Camus-Kamel Daoud vient de publier son troisième roman, "Houris", le monologue d'une jeune fille rescapée d'un égorgement qui a éradiqué ses cordes vocales. Un égorgement survenu lors de la décennie de plomb en Algérie où s'est déroulée une guerre que l'on ne peut pas nommer. Magistral !

Kamel Daoud : journaliste puis chroniqueur mais aussi écrivain

« Aujourd´hui, M´ma est encore vivante. Elle ne dit plus rien, mais elle pourrait raconter bien des choses. Contrairement à moi, qui, à force de ressasser cette histoire, ne m´en souviens presque plus ». Cet extrait fait écho à un autre publié bien des décennies plus tôt : « Aujourd´hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J´ai reçu un télégramme de l´asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués ». Cela ne veut rien dire. C´était peut-être hier ». Le premier extrait est le début du roman Meursault contre-enquête de Kamel Daoud -finaliste du Prix Goncourt 2014 et Prix Goncourt du premier roman 2015- une réécriture post-coloniale de L´Étranger, roman où l´on peut lire le deuxième extrait. Paru en 1942, L´Étranger fut écrit par Albert Camus (1913-1960), écrivain français né à Mondovi (aujourd´hui Dréan), en Algérie, qui a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1957.  

Kamel Daoud, né lui aussi en Algérie –dans la ville de Mostaganem, en 1970– était journaliste au Quotidien d'Oran, où il tenait la chronique la plus lue du pays, Raïna Raïkoum, avant de devenir écrivain. Un écrivain dont le talent a dérangé pas mal de monde -surtout les islamistes, mais pas que ceux-ci, à dire vrai- non seulement en Algérie mais aussi en France, où des idiots utiles l'ont traité d'islamophobe. Kamel Daoud -qui vit aujourd´hui en France avec sa famille et est chroniqueur à l'hebdomadaire Le Point- a récemment rappelé que d'aucuns ne l'aiment pas parce qu'il n'est ni communiste, ni décolonial encarté, ni antifrançais. Dans une interview en 2017, s'nsurgeant contre le port de la burqa, il a affirmé sans tergiverser qu'il n'y avait pas d'émancipation pour la femme dans la soumission.

Depuis le 15 août, le lecteur francophone a à sa disposition le nouveau roman de Kamel Daoud,  et on vous le dit tout crûment : quel roman !

 

Houris : un roman sur la condition de la femme

Le roman s´intitule Houris — du nom des 72 vierges attendues par les kamikazes islamistes dans l´autre côté, dans le paradis – et il y est question de la condition de la femme. Le roman — qui vient d'être couronné du Prix Transfuge pour le meilleur roman français de la rentrée- est un long monologue d´Aube, une jeune coiffeuse algérienne qui doit se souvenir de la guerre d´indépendance, qu´elle n´a pas vécue, et oublier la guerre civile qui s´est déroulée entre 1992 et 2002, opposant le gouvernement militaire aux groupes islamistes et provoquant autour de deux cent mille morts. En effet, en Algérie, il est interdit de parler de cette guerre, sous peine d´amende ou d´emprisonnement. La raison invoquée pour cette amnésie obligatoire est l´amnistie des crimes et le besoin de réconciliation nationale.

Néanmoins, Aube porte sur son corps la marque de la tragédie de cette guerre : le couteau d´un islamiste a détruit ses cordes vocales, la rendant muette (une canule lui permet de respirer). Cette guerre a vu défiler d´ailleurs un cortège d´atrocités, à savoir des milliers de morts, comme on l´a écrit plus haut, des égorgements sauvages, des villages décimés. Son histoire, Aube ne peut la raconter, de sa voix intérieure, qu´à la fille qu´elle porte dans son ventre. Pourtant, elle ne sait même pas si elle peut garder l´enfant, si elle peut le faire dans un pays où la loi du silence s´est imposée, un pays qui ne veut pas entendre le souvenir de ses plaies et où les femmes souffrent davantage : « Le prophète Ibrahim a dû faire une grasse matinée durant ces années en Algérie. Il a dû dormir plus longtemps après le soleil et nous sommes tous restés coincés dans son songe saturé de sang, où il courait son couteau à la main pour égorger chaque fils. Et si tu étais une femme dans la décennie noire ? Alors c´était pire. Tu vois, petite étrangère imprévue, si tu viens au monde dans ce pays, tu prends un risque. Il y aura des années où tu mangeras à ta faim, d´autres où l´on te mangera, et d´autres encore où l´on t´égorgera. Tu payeras le rêve alambiqué d´un vieux prophète et quelqu´un te violera. D´ailleurs, les moutons du ciel rachètent uniquement les garçons, pas les filles. Quand le fils d´Ibrahim est une fille, l´histoire finit toujours dans le sang ».     

Aube décide de se rendre dans son village natal où tout a débuté et où les morts lui répondront peut-être. Trouvera-t-elle pour autant les réponses qu´elle cherche ? Il fallait entendre ne serait-ce que symboliquement la voix des morts parce que seuls les morts ont perdu la guerre. Dans sa quête de réponses, Aube ne paraît côtoyer que le silence, mais un silence qui résonne de la mémoire de ces morts dont on n´entend pas la voix, mais que l´on ressent partout.


Kamel Daoud nous livre avec Houris un roman magistral, puissant, d´une rare beauté poétique qui ne nous épargne pourtant rien de la crudité et de l´hypocrisie de la vie algérienne, écartelée entre un pouvoir corrompu et la pression d´un islam rigoriste. Kamel Daoud, qui dans sa jeunesse a succombé un temps à l´idéologie islamiste des Frères musulmans, sait de quoi il retourne, lui qui depuis des années prend sa plume pour dénoncer une idéologie qui se propose d´asservir le peuple en général et les femmes en particulier. Vous ne regretterez pas de lire ce nouveau roman de Kamel Daoud, un intellectuel dans la meilleure tradition de la France des Lumières.

Kamel Daoud, Houris, éditions Gallimard, Paris, août 2024.

 

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