L’aide Covid pour les expatriés de France prend fin le 31 août. Après trois ans de pandémie et un confinement strict, quelles sont les conséquences de la crise sur la communauté française au Pérou ?
Avec plus de 200 000 décès, le Pérou est le pays d’Amérique latine le plus touché par la pandémie du Covid-19. Si avec la fin du confinement, le moral des expatriés français s’est considérablement amélioré, l’impact de la crise a eu de nombreuses conséquences à la fois psychologiques et économiques.
Crise économique, isolement social, dépression, rupture et conflits intrafamiliaux… Les conséquences du Covid-19 sont nombreuses. En France, plus de 10% de la population souffre de symptômes dépressifs modérés à sévères, contre environ 4% au Pérou. Mais avec la pandémie, « cette proportion a augmenté de façon arithmétique » constate Marie-France Cathelat, psychothérapeute psychanalytique.
La prévention des risques liés au Covid pour les expatriés français au Pérou
« Il faut quand même reconnaître que le gouvernement français, du fait de son histoire, a été un des premiers pays conscients des conséquences psychologiques extrêmement graves d’un choc traumatique. Or une épidémie, c’est un traumatisme », soulève la psychanalyste. Avec le programme STAFE, l’ouverture d’un atelier de prévention des troubles psychologiques liés au Covid pour les expatriés français au Pérou a permis d’améliorer leur santé mentale. « Ces personnes avaient de grandes raisons d’être dans l’angoisse, soit par manque de travail soit parce qu’elles dirigeaient un organisme où il fallait porter aide. Mais du fait des limitations du Covid, c’était impossible. Il y avait un niveau d’anxiété et de frustrations très grand ».
Mais ce procédé a également servi à prévenir les dégâts psychologiques de manière durable. « A l’heure actuelle, je constate qu’il y a une prise de conscience sur les bienfaits de la psychothérapie et des méthodes de relaxation qui n’existait pas avant. En général, ceux qui ont fait partie des ateliers n’avaient pas ce genre d’expériences mais ils s’y sont intéressés. », témoigne la psychothérapeute. Au total, plus d’une dizaine de personnes ont bénéficié de cette assistance psychologique, en présentiel ou en visio. Aujourd’hui, tous les participants ont retrouvé une vie « à peu près normale » et équilibrée.
Il y a une grande augmentation des dépressions moyennes et profondes en France. Or les Français de France n’ont pas vécu ce que les Français de l’étranger ont vécu. Marie-France Cathelat
La pandémie, conjuguée à la crise économique, a conduit de nombreux Français à quitter le Pérou ou mettre la clé sous la porte. Sans surprise, les principaux pôles d’activités touchés sont le tourisme et la restauration. Si le chiffre est inquantifiable, aujourd’hui certains tentent de redémarrer une activité mais ils sont peu nombreux. Une des raisons principales : la peur d’un retour au confinement strict et l’absence de soutien financier de la part de l’Etat péruvien en cas de cessation d’activité. Les aides Covid allouées par la France pour les expatriés français existent, mais elles restent faibles : 159,17 euros (environ 616 soles) pour un couple ou une personne seule, avec un ajout de 106,11 euros (environ 411 soles) par enfant français. De plus, elles prendront fin le 31 août.
Les enfants, principales victimes de la pandémie au Pérou (et ailleurs)
A la différence de la France, le confinement total, ou « à la chinoise », a duré six mois. L’école a seulement repris en mars, et pour les étudiants, les dernières universités rouvrent leurs portes ce mois-ci. Pendant deux années consécutives, les cours étaient enseignés en distanciel. « Beaucoup de parents sont partis pour l’intérêt de leurs enfants » témoigne Marie, mère de deux filles âgées de 10 et 14 ans. « Si encore cela avait été la même situation partout dans le monde, les familles n’auraient peut-être pas quitté le Pérou. Mais en tant que Français, nous savions qu’en France ce n’était pas comme ici », poursuit-elle.
L’absence de sociabilisation due à la fermeture des écoles et l’interdiction de sortir ont très fortement impacté la santé mentale des plus jeunes. Angoisse à l’idée d’aller dehors, peur de ramener le virus à la maison… Même après la levée du confinement, les enfants ont eu du mal à se réadapter. « Ma fille est née une semaine avant le confinement. Quand nous avons commencé à sortir, un an et demi après, elle hurlait. Elle hurlait de peur. Et cela se voyait qu’elle avait peur. Elle s’accrochait à moi avec ses ongles, elle ne voulait pas aller à l’extérieur », témoigne Delphine, mère de deux enfants en bas-âge. Même constat pour Marie qui a dû « forcer [ses] filles à sortir » pour se réhabituer à la vie en extérieur.
Le premier mot de mon fils n’a pas été papa ou maman mais « calle », la rue. Avant la pandémie, mon fils allait deux fois par jour au parc avec sa nounou. Quand le confinement est tombé, il frappait sur la porte et pleurait en disant « Calle ! Calle ! » Delphine
Si aujourd’hui les enfants prennent de nouveau du plaisir à sortir, le port du masque reste, pour eux, primordial. « Si nous sortons sans le mettre, mon fils s’écrie : « Mon masque ! Mon masque ! ». Il angoisse. Cela arrive de moins en moins mais il faut qu’il réapprenne à vivre sans cela », déclare Delphine. « Ils ont grandi avec des images de personnes qui mouraient, des amis dans leur entourage où leurs grands-parents sont décédés. Ils ont grandi avec le fait qu’ils ne pouvaient pas sortir parce que s’ils sortaient, ils pouvaient tomber malade et rendre malade leurs proches », intervient la maman des deux jeunes filles.
Mes filles préfèrent avoir un masque, ne pas tomber malade et surtout ne pas rendre malade les autres. C’est la réalité de nos enfants, ici, au Pérou. Marie
Manque de lits dans les unités de soins intensifs, file d’attente pour obtenir de l’oxygène à des prix exorbitants, endettement des familles, refus d’hospitalisation, décès… S’il est tentant de comparer la situation péruvienne à celle de la France, ce n'est pas si simple. « Il y a un tel décalage entre ce que nous avons vécu et ce qui s’est passé en France, c’est pour cela qu’on a du mal à expliquer cette nécessité du masque. Il faut aussi comprendre qu’au Pérou, les habitants ne peuvent pas se permettre d’être malades. S’ils le sont, ils perdent leur travail. »
Face à tout cela, quand tu as vu toute cette misère, être Français est un privilège. Marie
Avec les cours en distanciel, Marie-France Cathelat prévient aussi sur les effets à long terme d’une surconsommation d’écran. « Il y a indiscutablement une facture sur le plan psychologique pour les enfants de France et d’ailleurs. Le prix à payer des précédents confinements va se poser pour l'avenir ». En effet, des études pointent du doigt les effets néfastes du numérique, notamment sur la croissance émotionnelle et intellectuelle des enfants. « Ils ont été accrochés à leur tablette, à la télévision... Cela va être très difficile de les défaire de cette attache. C’est prouvé, plus elle est inscrite dans le jeune âge, plus elle porte préjudice au développement cognitif de l’enfant ».
Augmentation du nombre de régularisations de la part des Français du Pérou Avec la crise du Covid-19, le rapport à l’Etat et le regain du sentiment d’appartenance à la France des expatriés ont changé. L’ambassade de France au Pérou a dû gérer une demande exponentielle dans la régularisation de leur situation. En 2021, 750 passeports et 268 cartes d’identité ont été délivrés (soit plus qu’en 2019, avant la pandémie, 682 pour l’un et 149 pour l’autre). De même, 224 actes d’état civil (naissance, mariage, décès…) ont été transcrits en 2021 (contre 218 en 2019). L’augmentation des inscrits au registre des Français de l’étranger témoigne de cette volonté de régulariser ses papiers. |