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Expat blues : quand expatriation rime avec dépression

Phénomène encore tabou, la dépression en expatriation est pourtant plus courante qu’on ne pourrait le penser. Derrière l’idéalisation de l’expatriation se cache parfois un mal-être sous-jacent. Mais comment l’expliquer et le combattre ? Témoignages.

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Écrit par Némo Empis
Publié le 22 novembre 2020, mis à jour le 29 octobre 2023

 

Dans l’imaginaire collectif, expatriation rime plus souvent avec exaltation qu’avec dépression. Cet « expat’ blues », les expatriés n’en n’ont pas toujours conscience avant de partir à l’étranger. Une fois arrivés sur place, de nombreux soucis peuvent se dresser sur leur chemin : éloignement, manque de repères ou encore peur de parler.

Le complexe des expatriés

Birgit Walsh, coach de vie et ancienne expatriée explique le manque de communication assez facilement : « ces personnes là - au vu de leur cadre de vie et de leurs conditions qui sont souvent meilleures que celles des locaux -, ont tendance à complexer parce qu’elles sentent qu’elles ne seront pas forcément écoutées. » Et ce sentiment, les expatriés sont nombreux à le partager. Mariam expatriée depuis 25 ans, est actuellement à Tunis, c’est sa septième destination en tant que Française à l’étranger. Elle a sans cesse l’impression de ne pas être prise au sérieux. « Quand j’évoque mes passages dépressifs autour de moi, les gens n’imaginent pas que cela puisse m’arriver », désespère-t-elle.

Le risque d’addiction est plus élevé 

Si les symptômes de la dépression restent relativement les mêmes qu’en France, l’expatrié fait face à des problèmes bien plus spécifiques. « Il n’est jamais évident de trouver un soutien, psychologique par exemple, selon le pays dans lequel on se trouve, » estime Birgit. Une situation particulière qui pousse parfois à s’isoler davantage que dans son pays natal. La coach énonce également une tendance plus marquée à vouloir camoufler sa dépression. « Certaines personnes se réfugient dans la fête, dans la consommation d’alcool voire de certaines drogues, les addictions sont plus risquées à l’étranger », assure-t-elle. Marie*, partie en Écosse il y a 11 ans maintenant, a connu cette situation, « j’ai consommé des substances illicites et mon état n’a fait que s’empirer suite à cela. » Et si les contraintes sont plus nombreuses à l’étranger que chez soi, les causes qui peuvent mener à la dépression le sont tout autant.

Une perte de repères bouleversante

« Je me sens comme un petit flocon de coton qui flotte, tant que ce flocon n’est pas devenu un fil, il ne peut pas s’intégrer au tissu », l’image utilisée par Mariam parle d’elle-même. Lorsqu’elle arrive dans un nouveau pays, elle subit une perte de repères terrible, presque fatale. « J’appelle cela des crises d’identité : je n’ai plus de connexion autour de moi, je ne sais plus où je suis et pire, j’ai l’impression que je ne suis plus personne », témoigne-t-elle. Pour Birgit Walsh, la perte de repères est un vrai fléau pour les expatriés, « cela mène vers la fâcheuse tendance à vouloir s’isoler du monde. » Ce manque emporte bien souvent tout sur son passage, notamment la confiance en soi, primordiale dans ce genre de contexte. « Dans mon cas, c’est surtout une accumulation de plusieurs petites choses qui ont fait que cela n’allait plus, détaille Marie, mais c’était surtout le fait de m’attacher à des personnes qui allaient et qui revenaient, je n’avais aucune stabilité dans mon entourage. Inévitablement, je me suis sans cesse remise en cause, toujours en culpabilisant. »

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Isolés, voire rejetés

Les raisons d’une dépression à l’étranger sont quasiment inchiffrables, tant elles sont variées. Émilie**, en Italie depuis un an, vit très mal son départ. Les angoisses qui la rongent au quotidien sont nombreuses et parmi elles, la barrière de la langue. « Elle s’avère également être un frein et une source de mal-être », affirme la coach de vie. Selon Émilie, elle est l’une des principales causes de toutes ses préoccupations. « Il faut se rendre compte de la difficulté à s’adapter, dans n’importe quel pays étranger, lorsqu’on ne parle pas la langue », se désole-t-elle. Marie était justement partie en Écosse pour perfectionner son anglais. Séparée du père de sa fille, elle est contrainte à rester là-bas sous peine de ne plus voir son enfant. Le problème de la langue n’étant pas un problème, elle évoque plutôt un sentiment de rejet, autant social que professionnel. « Étonnamment, il m’est impossible de devenir amie avec des locaux, les seules personnes que je fréquente sont des expatriés, interpelle-t-elle, dernièrement, j’ai perdu mon emploi à cause de la pandémie. Mais à part la mère célibataire étrangère, l’entreprise a maintenu les postes de tout le monde. »

Le « mal-être du conjoint suiveur »

L’impression de rejet évoquée par Marie, Mariam la partage et parle de « problèmes d’accueil, parfois. » « J’ai vécu dans des pays où en tant que blanche, soit les gens avaient peur de nous, soit ils nous détestaient », dit-elle. Même après sept expatriations, elle revit tout le temps le même phénomène. En fait, Mariam subit ce que Birgit Walsh appelle le « mal-être du conjoint suiveur ». Son mari étant obligé de changer de pays tous les quatre ans, elle et ses enfants le suivent. « Quand vous arrivez, c’est génial, vous êtes content de votre nouvelle vie, et d’un coup - au bout de deux mois personnellement -, il n’y a plus rien », décrit-elle. Ce vide, seule Mariam le ressent dans le couple, « celui qui travaille est connecté grâce à son activité, parfois il parle la langue du pays ou au moins il bénéficie d’interprètes, tandis que celui qui suit se retrouve sans rien et devient plus vulnérable. » Pour faire face à cela, elle a été coachée par l’entreprise de son mari, consciente du choc que peuvent subir les « suiveurs ». « Cela donne de la patience et cela permet d’aller chercher de l’aide mais malheureusement cela n’empêche pas de tomber en dépression », regrette-t-elle. Déjà empêtrés par les problèmes dépressifs, les expatriés ont vu leur année 2020 chamboulée par la pandémie de Covid-19.

Covid-19, pas tous logés à la même enseigne

De nombreux ressortissants à l’étranger ont vu leurs plans bouleversés en cette année si particulière. L’impossibilité de rentrer au pays en a inquiété plus d’un. « La peur du manque d’informations peut être source d’angoisse pour les expatriés. Que ce soit lié à la Covid-19 ou pas, certains gouvernements sont moins transparents que d’autres », selon Birgit Walsh. Là encore, Émilie ressent cette crainte, « pourtant je n’ai traversé qu’une frontière ! Mais j’ai du mal à obtenir des informations sur le fonctionnement général du système italien. » Pour l’instant, impossible pour elle de rentrer en France, d’y retrouver des lieux familiers. À l’inverse, l’arrivée soudaine de la pandémie a quelque part soulagé Marie. « Puisque j’ai perdu mon emploi, je suis retournée tous les mois en France, je me suis rendu compte à quel point mon pays me manquait », explique la jeune maman.

Difficile de lutter ?

« De nombreuses fois je m’en suis sortie en serrant les dents, en patientant que mon réseau se reforme », assure Mariam. Pour Birgit Walsh, il n’est pas toujours évident de trouver de l’aide psychologique sur place, ceux qui souffrent ne savent pas à qui s’adresser. Une mauvaise expérience dont Marie a fait les frais, « j’ai consulté une psychologue écossaise, elle m’a fait un mauvais diagnostic se souvient-elle, à cause de ça j’ai pris les mauvais médicaments pendant deux ans, cela m’a même valu un séjour à l’hôpital psychiatrique, chose qui ne me serait jamais arrivée en France. » Cette crainte de ne pas savoir vers qui aller est au coeur des préoccupations d’Émilie, « je suis passé d’une totale liberté dans mes prises de décisions, à un assistanat permanent pour toutes mes démarches. »

Les consultations par visioconférence m’ont fait beaucoup de bien 

Trouver un psychologue qui convient n’est pas toujours aisé à l’étranger. La Covid-19 est arrivée, et avec elle, l’émergence de la visioconférence. Une solution qui a permis au secteur de la santé de s’adapter au contexte. Les psychologues notamment ont continué leurs activités pendant les confinements, et ceux qui en profitent le plus sont les expatriés. « La dernière psychologue que j’ai consultée était française, c’était en visioconférence et ça m’a fait beaucoup de bien », se réjouit Marie. Même son de cloche chez Mariam, unanime sur le sujet. « C’est fantastique de pouvoir consulter nos médecins français en ligne, cela m’a énormément aidé et je pense qu’il faut normaliser ces consultations », insiste-t-elle.

Oser en parler

« Ce n’est pas toujours facile, confie Mariam, mais il faut oser en parler. » Une difficulté qui fait écho au complexe de l’expatrié évoquée par Birgit Walsh. Faire de ce tabou une norme aiderait probablement beaucoup de malades également, parce que oui, la dépression est une maladie. « Je ne le pensais pas, mais ma psychologue française m’a dit que le phénomène était tout à fait fréquent, raconte Marie, elle m’a diagnostiqué un burn-out et a dit qu’il y avait beaucoup plus de risques d’en faire un à l’étranger que dans son pays d’origine. » L’entourage est primordial dans ces moments de doutes, Mariam en témoigne : « une fois j’ai osé déranger une amie pour aller prendre un café, par chance elle a bien voulu, cela m’a probablement sauvé la vie. » La vie rêvée des expatriés n’est donc pas toujours celle que l’on croît, derrière les privilèges apparents se glissent souvent des ennuis sous-jacents. « Les avis sont souvent biaisés lorsque l’expatriation est un peu trop glorifiée », souligne Birgit Walsh. Cela rappelle d’ailleurs à Mariam une discussion qu’elle avait eu avec une cousine, « elle m’avait dit qu’elle rêvait d’avoir ma vie, je lui ai répondu en souriant, que je rêvais d’avoir la sienne… »

*Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat

**Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat

Némo Empis
Publié le 22 novembre 2020, mis à jour le 29 octobre 2023
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