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KALAWEIT - Aurélien Brulé, un Français qui se bat pour la cause des Gibbons

Écrit par Lepetitjournal Kuala Lumpur
Publié le 23 juin 2015, mis à jour le 24 juin 2015

Franco-Indonésien, Aurélien Brulé, Chanee de son surnom, se bat depuis plus de 17 ans pour la cause des gibbons et la sauvegarde de leur habitat naturel. Il est le fondateur de l'association Kalaweit qui est aujourd'hui le plus grand projet au monde pour la préservation de ces singes. Le 27 avril dernier, Chanee publiait Inéluctable, la parole des crocs, en vente sur la boutique en ligne de l'association, ce nouvel ouvrage raconte ses expériences, ainsi que les sauvetages d'animaux qu'il mène. Pour nous il est revenu sur son parcours, ses projets, et les objectifs qu'il souhaite mener à bien au travers de Kalaweit.

Lepetitjournal.com : Comment vous est venue cette passion pour les animaux, et en particulier pour les gibbons ?

Chanee : Quand j'étais gamin j'ai découvert les singes dans un zoo. J'essayais de les comprendre, je passais tous mes mercredis dans ce parc à les observer. Par la suite à 16 ans, j'ai publié un petit bouquin sur leur comportement, ce qui a suscité l'intérêt de certains journalistes. Justement, dans un des articles qu'ils ont écrit, je disais que je voulais partir en Asie, voir les gibbons à l'état sauvage, et surtout monter un projet pour les aider. C'est comme ça que la comédienne Murielle Robin, après être tombée sur ce papier m'a appelé, et m'a dit, "voilà, tu veux partir en Asie, sauver les gibbons, je vais t'aider". Et c'est ainsi que je suis parti pour la première fois en Thaïlande. 

Votre prénom est Aurélien. Pour quelle raison avoir choisi comme surnom Chanee ?

La première fois que je suis parti, c'était en Thaïlande, en mai 1997. Je n'avais pas tout à fait 18 ans. Comme je passais mon temps à chercher les gibbons dans la forêt, et que les locaux n'arrivaient pas à prononcer mon prénom, ils ont fini par m'appeler Gibbon, ce qui est "Chanee" en Thaï. C'est comme ça que j'ai pris ce surnom. 

Après votre premier voyage en Asie, vous êtes rentré tout juste quelques mois en France avant d'y retourner. Qu'est-ce qui a initié ce nouveau départ ?

Quand je suis rentré en France, j'ai appris que la forêt en Indonésie était en train d'être détruite, et que rien n'était fait pour sauver les gibbons. Je me suis dit que l'Indonésie était certainement le bon endroit pour monter un projet. Je suis rentré donc en France six mois, et je suis reparti immédiatement en Indonésie.

Votre projet est de sauver les gibbons, tout en préservant leur habitat naturel. Comment cela se passe t'il concrètement ?

En fait, il existe trois volets du projet. Le premier c'est justement de récupérer les animaux victimes des braconniers et de la déforestation. En dehors de leur habitat, les gibbons sont détenus comme des jouets vivants. Le but, c'est d'essayer de récupérer ces animaux pour les réhabiliter et les relâcher dans la nature. J'ai monté deux centres, un à Bornéo, dans la province de Kalimantan et un dans la province ouest de Sumatra. Aujourd'hui, on ne s'occupe plus que des gibbons, mais aussi des ours, des crocodiles? On a toutes sortes d'animaux! La deuxième priorité, c'est de leur donner un habitat en rachetant des forêts et des réserves. J'ai obtenu la nationalité indonésienne en 2012, ce qui me permet de racheter des terrains et de créer des micro-réserves près de Bornéo et de Sumatra. Le troisième volet du projet, c'est d'informer les populations locales. Donc à Bornéo j'ai créé une radio FM dans la ville de Palangkaraya depuis 2003. Et depuis l'année dernière, j'ai une émission hebdomadaire sur la première chaine indonésienne, Metro TV, où l'on peut nous suivre dans nos sauvetages. C'est la première émission produite par les télévisions indonésiennes dans la sauvegarde de la faune sauvage. 

En plus d'informer, est-ce que la radio vous permet de sauver des animaux ?

Oui bien sûr ! En parallèle de l'émission, on a lancé une application smartphone qui permet d'écouter la radio, mais aussi de nous envoyer des informations sur les animaux en détresse. Comme ça, on collecte les informations directement pour sauver les animaux. 60 à 70% des animaux qui nous sont amenés le sont par les auditeurs. Les personnes qui nous écoutent vont donc faire un travail complémentaire du notre en récupérant des animaux chez des gens.

Vous habitez depuis plusieurs années en Indonésie, vous avez même acquis la nationalité indonésienne. Est-ce un atout pour la communication avec les locaux ? 

Avec la population, ça ne change rien, parce que c'est surtout ma manière de vivre qui fait que je me suis intégré. Avec mon épouse et mes enfants, on n'est pas dans une résidence d'expatriés comme on peut le voir dans certains endroits en Asie. Par contre avoir la nationalité, ça change énormément le rapport à la sécurité. Avant, j'étais un peu sur un fauteuil éjectable à chaque fois qu'il y avait un souci. Aujourd'hui, je peux avoir plus d'assurance, je peux faire l'émission de télé, ce que je n'aurais jamais pu faire si je n'avais pas eu la nationalité indonésienne. Mais par contre, si on compare avec la Malaisie, je ne pourrais pas faire le quart de ce que je fais en Indonésie. Une radio FM animée par une association qui critique l'exploitation de l'huile de palme, en Indonésie c'est possible, en Malaisie...  

Comment fonctionne concrètement Kalaweit ? Est-ce une association, une entreprise ? 

Kalaweit fonctionne sur le modèle de l'association. On a 56 salariés à plein temps, dont cinq vétérinaires, des gardes, des soigneurs,...  Par contre la radio est une entreprise à part entière. Cela signifie que si demain en Indonésie il y a un gros conflit avec l'association, ça ne met pas en péril la radio. 

Il est possible de parrainer un gibbon sur votre site. Comment cela fonctionne t-il ?

Pendant le parrainage, on suit le gibbon au cours de son processus de réhabilitation. Les gens vont recevoir des  mails tous les mois au sujet de ce qu'il se passe avec leurs animaux. Ça reste symbolique, mais ça permet de donner des exemples concrets sur ce qu'il se passe réellement. Ça permet aussi de montrer les challenges de la réhabilitation. On a des salariés dont la mission est d'observer les animaux pour ensuite envoyer des mails aux personnes qui ont adopté un gibbon.

Concernant les gibbons, sont-ils plus exposés à la déforestation ou au braconnage ?

Avant tout, le principal danger reste la déforestation. Les gibbons perdent leur habitat et sont souvent aussi attrapés à ce moment-là. La déforestation a des conséquences énormes, car les gibbons sont des singes strictement arboricoles, qui ne peuvent pas vivre sans les arbres. A l'heure actuelle, dans la partie Indonésienne de Bornéo, c'est la fin de la déforestation massive. Ils ont tout déforesté à Sumatra. Il doit rester moins de 15% de la forêt. Et maintenant, ils s'attaquent à la Papouasie, et tout ça pour l'industrie de l'huile de palme. 

Qui attrapent les gibbons et les revend ? 

Ceux qui attrapent les gibbons, ce sont les ouvriers des compagnies. Au moment où ils déforestent, ils vont tuer les adultes et récupérer les bébés pour se faire un petit plus ! Ils sont ensuite vendus comme jouet vivant. Ce n'est pas la même approche qu'un braconnier. A Bornéo, les gibbons vont être vendus 10 euros, 200 euros à Jakarta et plusieurs milliers d'euros quand à l'étranger. On a le même scénario au Sabah et sur la péninsule malaise. Dans les alentours de Kuala Lumpur, vous avez des gibbons détenus chez des gens aussi.

Que deviennent-ils après leur majorité sexuelle ? 

Les gibbons sont détenus jusqu'à leur maturité sexuelle puis ils deviennent agressifs. Après, deux possibilités : ou ils sont tués, ou ils vont mourir de stress parce qu'ils vont être détenus dans une toute petite cage ou être attachés à une corde. Donc l'espérance de vie d'un gibbon détenu chez quelqu'un n'excède jamais dix ans, alors qu'à l'état sauvage ils vivent une trentaine d'années. 

Relâchez-vous par la suite des gibbons dans la nature ?

Non, pas assez, même très peu par rapport aux autres animaux. Les gibbons sont des animaux très territoriaux, donc ils ne peuvent pas se partager une forêt plus petite. Le principal souci à l'heure actuelle, c'est que l'on récupère ces animaux, mais on ne sait pas où les relâcher. Dans la forêt qui reste il y a déjà trop de gibbons. Relâcher nos animaux dans ces forêts n'est pas possible car ils sont tellement territoriaux et qu'ils s'entretueraient. Là, on vient de relâcher trois couples de gibbons à Sumatra, mais cela reste très rare, contrairement à tous les autres animaux que nous recueillons. 

Si vous deviez faire un bilan de l'action menée par Kalaweit, quel regard porteriez-vous?

Je ne dirais pas que je suis satisfait, parce que le jour où je serai satisfait, je m'arrêterai. Il y a tellement d'enjeux, et on est une micro-goutte au milieu d'une destruction massive de la forêt, au milieu de ce qu'il se passe à l'heure actuelle en Indonésie. On ne peut pas être satisfait. Par contre, je n'ai pas envie d'être pessimiste, parce que ce dont on a besoin à l'heure actuelle c'est d'action, pour en sauver un maximum. C'est pour ça qu'il faut se focaliser sur la sauvegarde de ces centaines d'hectares de forêts qu'on rachète, sur la multiplication de ces initiatives et sur le sauvetage de ces animaux. Je pense que l'heure du bilan n'est pas venue. C'est le temps d'agir concrètement sur le terrain pour en sauver le plus possible et éviter de tout perdre. 

 

Marie Nardoux (www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) mercredi 24 juin 2015

Crédit photos : Kalaweit.org

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Publié le 23 juin 2015, mis à jour le 24 juin 2015

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