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GILLES MARTINEZ - “C’est là qu’il y a un pincement au cœur, lorsque l’on s’en va“

Écrit par Lepetitjournal Kuala Lumpur
Publié le 13 juillet 2016, mis à jour le 14 juillet 2016

Ce lundi, Gilles Martinez, proviseur du LFKL, fermait pour la dernière fois la porte de son bureau. L'instant furtif où l'on se remémore le jour où on est arrivé, l'accueil, les inquiétudes de l'époque. Un moment qu'il décrit comme chargé d'émotion après des heures passées dans l'établissement. Le voilà aujourd'hui à Pragues où l'attend son futur poste, une ville qui l'a toujours attiré. Nous l'avons rencontré quelques jours avant qu'il ne quitte ses fonctions, au terme de ces cinq années passées en Malaisie.

Lepetitjournal.com Kuala Lumpur : Concernant le baccalauréat, vous me disiez que vous n'aviez pas forcément été très serein?
Gilles Martinez : Parce que je pense que je commence à être un vieil enfant gâté. Les quatre dernières années on a enregistré 100% de réussite à ce bac, et c'était un peu le défi permanent. Et pas forcément un défi gagné d'avance puisque l'année dernière et l'année précédente on avait des candidats qui étaient extrêmement tangents et ont obtenu leur baccalauréat au deuxième groupe d'épreuves. Mais il y avait quand même une espèce d'enjeu. Là j'étais moins serein car on avait cette année deux candidats dont les résultats étaient très faibles, pour diverses raisons, accidents de parcours et manque de motivation. Mais voilà c'est toujours dommage de constater l'échec, et forcément cet échec on le partage. Je pense qu'on n'a pas moins fait que les années précédentes, nous n'avons pas failli à notre mission, nous n'avons pas réduit les moyens consacrés. C'est une réponse à ceux qui disent que de toutes façons ?le bac c'est tellement facile, que le niveau a baissé, à notre époque?? Je crois que les gens se rassurent. Les attentes du baccalauréat d'il y a 20 ans ou 30 ans n'étaient pas du tout les mêmes que celles d'aujourd'hui. Et bon nombre de ceux qui ont passé le bac à cette époque, et j'en fais partie, seraient bien incapables de l'avoir aujourd'hui sans aucune préparation. 

N'y avait-il pas surtout une reconnaissance du baccalauréat qui était plus prégnante ?
Le bac était plus valorisé sur le marché du travail. Il y avait aussi moins de candidats. Cette année ils étaient presque 700.000. Alors est-ce que c'est une réussite, est-ce que c'est une erreur ? Je ne sais pas, mais cette démocratisation de l'accès au savoir fait qu'aujourd'hui 80% d'une tranche d'âge passe cet examen et le réussit pratiquement. C'est sûrement beaucoup moins élitiste qu'il y a 40 ans. Quand Napoléon a créé cet examen en 1808, la première promotion était celle de 1809, il y avait 30 candidats, pas une seule fille. La première qui a passé le bac était une jeune femme qui s'appelait Daubié, et c'était en 1861. Et donc en 1809 ils étaient 30 à passer une épreuve orale et collective. C'est sûr que c'était mieux avant, en comparaison de ce qu'on leur demande aujourd'hui. 

On pense souvent que les élèves qui étudient dans des lycées français à l'étranger se trouvent dans des conditions d'enseignement qui sont privilégiées, est-ce que cela sonne vraiment comme une évidence ?
Ce n'est pas si évident, parce que certains trouvent quand même le moyen de le rater. Mais ce ne sont pas des élèves qui sont avec nous depuis toujours, ils ont aussi un vécu d'élève ailleurs, et une vie qui leur appartient. Il est clair que les élèves des lycées français à l'étranger sont dans des conditions plus que privilégiées pour réussir leur scolarité. D'abord les effectifs en classe sont allégés, lorsqu'on a nous une classe complète, cela constitue à peu près un demi groupe en métropole, donc forcément, en termes de qualité d'enseignement, de temps accordé à chaque élève, il y a des proportions qui sont tout à fait en faveur de nos élèves. En plus il y a les moyens que l'on peut mettre dans la pédagogie, le fait que le chef de l'établissement soit en charge du recrutement du personnel. Là aussi il y a une approche différente, tous les ans j'ai des entretiens de sélection des professeurs, et pour un poste qui est ouvert, il y a 100 dossiers qui arrivent du monde entier : de France métropolitaine, de gens qui sont déjà ailleurs sur le réseau. Donc forcément avec cet étillage là on finit par avoir des gens qui ont une valeur sûre. Après il y a aussi le fait que dans des lycées comme celui-là, il n'y a pas une grande mixité sociale. La plupart de nos enfants grandissent dans les mêmes milieux que leurs camarades, c'est-à-dire dans des milieux eux-mêmes favorisés socialement et donc qui ont accès à un certain nombre de sources, de savoir, de documentation, dont les parents eux-mêmes sont des gens instruits et diplômés, qui peuvent suivre les études de leurs enfants, qui peuvent avoir des exigences, sans les livrer à eux-mêmes. Quand vous êtes dans un établissement en académie, vous avez quelques élèves comme cela, mais vous avez aussi pas mal d'élèves dont les parents ont jeté l'éponge sur le plan scolaire, soit parce qu'ils n'ont pas eux-mêmes le niveau de leur enfant sur l'année en question, soit parce qu'ils n'ont pas le temps. Tout ça crée ici des conditions qui font que les élèves réussissent bien. A coté, on a des infrastructures comme le stade, le gymnase, le mur d'escalade, la piscine? En France quand vous voulez aller au stade vous y allez à pied, la piscine c'est trois semaines par an à la piscine municipale, l'escalade c'est à peine si on sait que ça existe?. 

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué au terme de ces cinq ans ?
Il y a plusieurs domaines, le premier c'est d'avoir vu réussir certains élèves qui n'avaient pas de grandes facilités, ni intellectuelles, ni sociales. On a aussi des élèves issus de familles qui sont boursières. C'est avec ces élèves qu'on sent que l'on a reproduit ce qui s'est passé pour soi-même. Mon père était ouvrier, ma mère était caissière, pour moi l'école de la République c'est ce qui m'a permis de sortir de cette condition d'ouvrier pour faire autre chose, gagner correctement ma vie, m'instruire et avoir une insertion correcte dans la société. Quand on arrive à le reproduire chez quelqu'un d'autre, c'est une grande satisfaction, et on a comme ça quelques élèves, encore une fois qui ne partaient pas avec toutes les chances de leur coté, qui, à notre contact ont grandi, ont mûri, se sont instruits, ont passé leur bac et font aujourd'hui des études plus ou moins brillantes dans l'enseignement supérieur et ont un avenir qui leur est assuré. C'est la plus belle et la meilleure des récompenses. Après il y a des souvenirs un peu plus exceptionnels et élitistes quand vous avez une de vos élèves qui remporte le premier prix au Concours Général des Lycées qui est un concours de très haut niveau, et que vous êtes avec elle à la Sorbonne pour la remise des prix. Dans une vie de proviseur c'est aussi extraordinaire surtout en termes de projection, parce que l'on se dit que l'on a face à soi quelqu'un qui est intellectuellement brillant, et dont on espère qu'il aura une contribution sur l'essor de la société et de l'humanité très au-delà de ce qu'on a pu faire soi-même, donc ça c'est toujours très intéressant. Après, d'excellents souvenirs, l'équipe avec laquelle j'ai travaillé, aussi bien les enseignants que mes proches collaborateurs ; ça a vraiment été une belle histoire d'amitié. C'est là qu'il y a un pincement au c?ur, lorsqu'on s'en va. 

Si vous deviez remercier quelqu'un ?
Oui, il y a plusieurs personnes ou groupes de personnes qu'il faut effectivement remercier, encore une fois l'équipe qui m'entoure et me supporte au quotidien, ce sont eux qui font effectivement tourner l'établissement. Après il y a les partenaires sans qui on ne peut pas avancer, les membres des Conseils d'Administration que j'ai connu ici et qui sont des gens qui me surprennent toujours par le temps qu'ils ont à consacrer bénévolement à traiter des sujets qui sont souvent pénibles, qui impliquent de lourdes responsabilités : signer un emprunt quand vous décidez de construire une école. Tout cela bénévolement, je trouve que c'est admirable. L'abnégation qui est la leur aussi, alors qu'ils ont tous des professions de décideur, d'entendre la parole des professionnels que nous sommes, qui travaillons dans un monde qui est aux antipodes du leur. Il y a un attelage assez curieux qui lorsqu'il tire tous dans le même sens fait avancer le carrosse. Donc ce sont des gens avec qui j'ai beaucoup aimé travailler, qui ont une intelligence très fine des situations. Et puis évidemment la dernière composante c'est le poste diplomatique qui a toujours parfaitement joué son rôle. Un rôle qui se conçoit dans la discrétion, mais dans un suivi très précis de ce qui se fait. Et puis dans un soutien inconditionnel des initiatives du lycée français. Et aussi bien les deux Ambassadeurs qu'il m'a été donné de connaitre ici, que les deux Conseillers Culturels avec qui j'ai dû travailler, avaient ce souci du lycée français. Lorsque l'autorité du chef d'établissement ne suffit plus, l'Ambassade a toujours été là pour porter ces dossiers, et faire en sorte qu'ils aboutissent. Et c'est un privilège d'avoir ce triptyque de la direction académique de l'établissement, le conseil d'administration (les parents d'élèves), et puis le poste diplomatique, qui fonctionne ensemble, dans une même communauté d'esprit et convergence de vues à savoir les enfants, l'école et leur bien-être. 
 
Quitter l'enseignement vous y songez parfois ? 
Pas vraiment en fait. Et puis je ne vois pas trop ce que je peux faire d'autre. J'ai des hobbies comme tout le monde, j'aime beaucoup écrire, j'aime lire? Mais j'ai du mal à me projeter dans autre chose. La vraie question pour moi c'est est-ce que je vais faire ce métier jusqu'au moment de la retraite. Ce métier-là peut-être pas. Pas parce qu'il est plus usant qu'un autre, mais je trouve qu'au bout d'un moment il faut je crois pour bien faire les choses, avoir de l'expérience et une acuité intellectuelle tournée vers l'avenir, la curiosité, l'envie d'apprendre et de tester des choses nouvelles. 
J'ai encore des choses à apprendre c'est sûr, mais je commence à bien connaître le métier et à être en situation de transmettre, et ça c'est très intéressant. Ca fait 44 ans que je vais à l'école et j'en ai encore pour un moment. Je disais à mes collaborateurs que c'était la 29è fois que je passais le bac!

 

Alexandra Le Vaillant (www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) mardi 12 juillet 2016

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Publié le 13 juillet 2016, mis à jour le 14 juillet 2016

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