Le 15 décembre 2021 est à marquer d’une pierre rouge et blanche, telles les couleurs du drapeau indonésien. Lors de la 16ème session du comité intergouvernemental de l'UNESCO, l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture qui s’est tenue à Paris, son président, Punchi Nilame Meegaswatte a déclaré le gamelan officiellement inscrit au Patrimoine Mondial Culturel Immatériel de l’Humanité.
Le ministre de l’Education, de la Culture et de la Technologie Nadiem Anwar Makarim qui apprit la nouvelle en direct par visio-conférence, a exprimé sa fierté de voir le gamelan reconnu comme trésor de l'art musical de l’Indonésie. « Par cette reconnaissance, l'UNESCO a noté la valeur de la philosophie du gamelan en tant que moyen d'expression culturel et de construction d'un lien entre les humains et l'univers. L'UNESCO reconnaît également que le gamelan, qui se joue en collectivité, enseigne les valeurs d'harmonie, de respect mutuel, d'amour et de soin les uns envers les autres ».
La nouvelle fut aussi bien accueillie par le président indonésien Joko Widodo : « Je salue chaleureusement et fièrement cette nomination. Le gamelan fait depuis longtemps partie de la vie quotidienne des habitants de diverses régions d'Indonésie, il continue d'être étudié, développé et transmis de génération en génération. Le gamelan inspire et influence également les musiques du monde entier. L'Indonésie continuera à préserver le gamelan par le biais d'une éducation et d'une formation formelle et non formelle, à travers des festivals, des défilés, des spectacles et des échanges culturels ».
Le gamelan, trésor de l’art musical d’Indonésie
Le gamelan, présent dans tout l’archipel indonésien sous les formes les plus diverses, est un ensemble d’instruments essentiellement à percussion, faits de bronze, de bois et de peaux, de gongs, de lamellophones et de tambours. A l’inverse de l’orchestre symphonique occidental, il n’y a que trois types d’instruments qui ne sont pas martelés : la flûte de bambou suling, un instrument à vent ; la vièle appelée rebab, un instrument à cordes frottées et la citare appelée kecapi ou siter, un instrument à cordes pincées - tous les autres instruments sont à percussion. Sans toutefois oublier le chant mélodieux , narratifs et poétique des sinden (voix féminines) et des gerong (voix masculines) qui les accompagnent.
Le jeu si spécifique du gamelan, de tradition essentiellement orale et en constante évolution, est tel un corps collectif aux éléments indissociables, entrelacés et complémentaires, il forme un tout homogène et comme aime le rappeler la musicologue Kati Basset, le gamelan est "un instrument collectif" tel "un piano à trente mains", un vrai modèle de coopération et de cohésion sociale qui demande une grande conscience collective, une écoute et un respect mutuel.
Qu’il soit de Sunda, du centre de Java, de Bali, de Lombok ou de Sumatra, son répertoire est riche et infini, il accompagne les rituels, les célébrations, les spectacles de théâtre mythologiques ou humoristiques, le fameux wayang ou marionnettes d’ombres, de bois ou humaines, les chants et les danses sacrées ou profanes. Il se joue tant dans les palais princiers où il s’est développé pendant des siècles que dans les temples et les villages, les écoles et les centres culturels, les places publiques alun-alun et les terrains de sport aménagés pour accueillir gracieusement le grand public. Les vertus pédagogiques de la pratique du gamelan en font un outil d’enseignement particulièrement prisé dans de nombreuses écoles d’Indonésie et du monde entier.
Le gamelan inspire et influence les musiques du monde entier
Le gamelan a fortement influencé la musique occidentale : Jean-Philippe Rameau au XVIIIème siècle possédait un xylophone gambang de gamme pentatonique à Versailles ; Claude Debussy, considéré comme le père de la musique moderne du XXème siècle, fut ébloui par les sonorités étincelantes, les rythmes imbriqués et les mélodies envoûtantes du gamelan découvert à l’Exposition Universelle de Paris en 1889. Par ses compositions innovantes, il changera résolument le cours de l’histoire musicale en déterminant le style impressionniste français ouvrant ainsi la porte à la modernité. Il sera suivi de près par Maurice Ravel, puis Olivier Messiaen et Francis Poulenc. Outre-manche, Benjamin Britten fera référence au gamelan dans ses opéras « Mort à Venise » et « Le Prince des Pagodes » suite à ses voyages à Bali. La musique contemporaine américaine s’en inspirera aussi largement avec John Cage, Lou Harrison, ou la musique minimaliste de Steve Reich et Philip Glass.
Une 12ème consécration pour l’Indonésie
L’Indonésie n’en est pas à sa première reconnaissance officielle du Patrimoine immatériel de l’UNESCO, mais bien à sa douzième édition. Parmi elles, on comptera les diverses formes théâtrales du Wayang en 2003, l’art du sabre forgé, sculpté et décoré : le Keris en 2008, les merveilleuses impressions textiles à la cire perdue du Batik en 2009, les Angklung, instruments soundanais de bambous accordés en 2010, la danse à genoux et percussion corporelle de Aceh Saman aussi appelée « danse des mille mains » en 2011, le tissage ou crochetage du sac traditionnel de Papouasie occidentale appelé Noken en 2012, trois danses traditionnelle balinaises sacrées que sont le Wayang Wong, le Topeng de Sidakarya et le Gambuh, et semi-sacrées le Legong Kraton, le Joged Bumbung et le Barong Ket en 2015, l'art de la construction de voiliers Pinisi du Sud de Sulawesi en 2017, l’art martial et sa forme dansée du Pencak Silat (2019) et enfin, la déclamation poétique indo-malaise du Pantun en 2020.
Promotion, protection et transmission
Par cette reconnaissance solennelle, l’UNESCO entend renforcer l’engagement des divers pouvoirs publics indonésiens dans la promotion, la protection, le développement et la transmission des connaissances et pratiques traditionnelles par un soutien accru des acteurs culturels, des artistes, des luthiers, des artisans, des enseignants et des infrastructures à travers des plans d’action équitables en étroite collaboration avec les communautés, sans discrimination ni favoritisme. Parmi les nombreuses demandes de candidatures de reconnaissance du gamelan auprès de l’UNESCO ces dernières années, notons celle du maître de l’Institut des Arts de Solo maestro Rahayu Suppanggah, qui nous a quittés le 10 novembre 2020, avant de voir son rêve enfin se réaliser. Espérons désormais que pour les générations à venir sa mémoire soit honorée.
Pour célébrer l'événement en "fanfare", ce samedi 22 et dimanche 23 janvier 2022 à 20h (14h à Paris), se tiendra un spectacle colossal à Solo avec 100 musiciens jouant sur trois sets de gamelan javanais, un gamelan balinais et un gamelan Talempong de Sumatra. Ils accompagneront le dalang Ki Purbo Asmoro dans une représentation exceptionnelle de wayang kulit "DUMADINE GAMELAN, la genèse mythique du Gamelan" entièrement traduite et sous-titrée en direct le dimanche par Dr Kitsie Emerson.
Vous pourrez également suivre le concert en direct sur ce lien
Adresse : Sanggar Mayangkara Jl Bromo V. Subdistrict, Kadipiro, Surakarta, Java Centre