Vanessa Reksodipoetro, directrice de la fondation Yayasan Usaha Mulia (YUM), raconte l’histoire de cette organisation indonésienne et présente les projets qu’elle mène aujourd’hui à Java Ouest et au Kalimantan central. Un témoignage riche, parfois poignant, qui retrace un demi-siècle de lutte contre la pauvreté.


Une fondation née bien avant sa reconnaissance officielle
Contrairement à ce que beaucoup imaginent, YUM n’a pas été fondée par Vanessa ou par sa mère. L’organisation remonte aux années 1960, lorsque trois expatriés hollandais — dont un prêtre catholique — ont commencé à organiser des cliniques mobiles dans un Jakarta alors dépourvu de structures de santé pour les plus pauvres.
En 1976, cette initiative prend une forme légale : YUM devient officiellement une fondation, soutenue notamment par l’ONG néerlandaise Terre des Hommes, qui financera la construction de deux hôpitaux et l’expansion des projets jusqu’à Java Ouest. L’année 2026 marquera ainsi ses 50 ans d’existence administrative, même si son action a débuté bien avant.
Une organisation professionnelle, enracinée dans les communautés
Interrogée sur la différence entre fondation (Yayasan) et association, Vanessa rappelle que la législation indonésienne encadre strictement les fondations, considérées comme des entités professionnelles : les employés sont rémunérés, les comptes contrôlés, la gouvernance formalisée.
YUM travaille aujourd’hui dans deux zones : Java Ouest (à Cipanas) et Kalimantan central (à Bukit Batu). Dans chacune, l’organisation possède un centre communautaire construit sur ses propres terrains, preuve d’une volonté de s’installer durablement.
« On montre à la communauté qu’on n’est pas là pour deux ans, mais pour rester », explique Vanessa.
Cette présence locale est essentielle pour instaurer la confiance, écouter les besoins et construire des projets adaptés, définis avec les habitants, jamais imposés de l’extérieur.
Kalimantan : du paludisme à la gestion durable des terres
Lutter contre le paludisme… puis contre le manque d’eau potable
YUM s’est implantée au Kalimantan central au début des années 2000, alertée par l’ampleur du paludisme : jusqu’à 1 000 cas par an autour du centre communautaire. Grâce à un financement du gouvernement allemand, l’équipe lance d’abord un programme de prévention et de traitement.
En entrant dans les villages, un autre problème apparaît immédiatement : l’absence totale d’eau potable. YUM lance alors un vaste projet de construction de châteaux d’eau, mais conditionne systématiquement l’aide à l’implication des habitants : mise à disposition du terrain, main-d’œuvre locale, création de comités de gestion.
Une approche si efficace que l’organisation Ingénieurs Sans Frontières en Belgique a invité Vanessa à présenter ce modèle a l’Université de Louvain.
L’agroforesterie pour restaurer des terres épuisées
Autre projet phare : l’agroforesterie. Les terres du Kalimantan, souvent acides et dégradées par la monoculture et les produits chimiques, ont besoin d’être régénérées. Après un projet pilote d’un an, YUM accompagne désormais 200 fermiers dans la transition vers une agriculture plus durable mêlant cultures vivrières, arbres fruitiers et essences forestières.
Cette initiative répond aussi aux bouleversements climatiques dont les agriculteurs constatent déjà les effets sans toujours les comprendre.

Java Ouest : de l’orphelinat à un centre éducatif pour 4 000 enfants
Présente à Java Ouest depuis les années 1970, YUM y gérait autrefois un orphelinat d’une cinquantaine d’enfants. En 2008, à la suite d’un rapport conjoint de l’UNICEF, du ministère indonésien des Affaires sociales et de Save the Children, l’organisation se transforme.
Le constat est sans appel : 95 % des enfants placés dans les orphelinats indonésiens ont encore au moins un parent. Le meilleur endroit pour eux reste leur famille, à condition de soutenir celle-ci. YUM ferme donc progressivement l’orphelinat et crée un centre communautaire qui offre aujourd’hui :
• une maternelle centrée sur le jeu et non exclusivement sur l’enseignement religieux ;
• des programmes d'intervention scolaire pour les enfants en difficulté (lecture, écriture, mathématiques) ;
• une grande bibliothèque et un système de “boîtes de livres” tournantes dans les écoles ;
• des activités pour les adolescents, dont des cours d’anglais et des formations professionnelles ;
• des sessions de sensibilisation pour les parents sur l’éducation, la santé mentale, l’addiction au téléphone ou encore le harcèlement scolaire.
Grâce à cette nouvelle approche, YUM accompagne désormais plus de 4 000 enfants et parents chaque année.
Des enjeux structurels immenses
Les difficultés sont variées selon les régions :
• À Java Ouest, la scolarisation chute brutalement après 6–7 ans d’école, et la pauvreté reste très élevée malgré le potentiel agricole.
• Au Kalimantan, manque d'infrastructures, mariages précoces (20 % des filles mariées avant 18 ans), retards de croissance et faible motivation des enseignants compliquent l’action éducative.
Vers plus d’autonomie financière : la ferme biologique YUM
Pour réduire sa dépendance aux donateurs, YUM développe également une entreprise sociale : une ferme biologique située près du centre de Java Ouest. Elle sert à la fois de lieu de formation, de projet pédagogique pour les écoles internationales et de source de revenus grâce à la vente de légumes, shiitakés, œufs et produits transformés.
Les commandes se font en ligne et sont livrées deux fois par semaine à Jakarta. Une petite boutique a également ouvert à Cilandak.
Une mission constante : lutter contre la pauvreté de manière globale
Au fil de la conférence, une conviction se dégage : la pauvreté est un phénomène complexe qui exige une approche holistique. YUM agit donc simultanément sur la santé, l’éducation, l’accès à l’eau, l’agriculture, l’autonomie économique et l’implication des familles.
« Notre expertise, c’est le travail communautaire, résume Vanessa. Chercher avec les habitants ce dont ils ont réellement besoin, et construire ensemble des solutions durables. »
Pour plus de renseignements: www.yumindonesia.org
Pour acheter les légumes bios: www.yumorganicfarm.com
