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Villa Manoa Kei : réinventer l’hospitalité aux confins de l’Indonésie

À l’écart des circuits touristiques classiques, sur les rivages encore préservés des îles Kei, Maria a fondé Villa Manoa Kei — un lieu de vie autant qu’un projet engagé. Cette voyageuse passionnée a posé ses valises entre mangroves, traditions ancestrales et récits oubliés. À travers son regard sensible, elle tisse un lien unique entre les habitants, la nature et les voyageurs de passage.

Villa Manoa KeiVilla Manoa Kei
La Villa Manoa Kei
Écrit par Marie Pinot Liebert
Publié le 11 mai 2025, mis à jour le 26 mai 2025

 

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours avant de rejoindre les îles Kei ?

Je suis architecte de formation, spécialisée en anthropologie, et également photojournaliste. J’ai été basée en France, où j’ai collaboré avec plusieurs magazines de la presse française, comme Le Figaro, ainsi qu’avec des publications suisses telles qu’Animan, principalement sur des sujets liés à la société et à la nature.

Mon lien avec l’Indonésie remonte à 1995, lorsque j’étais encore enfant. Je suis née en Afrique, de parents originaires de Côte d’Ivoire et du Maroc, et c’est à travers ma passion pour le surf et l’aventure que j’ai découvert cette région du monde. Le voyage a toujours fait partie de moi depuis très jeune, et c’est ce désir de découverte qui m’a conduite en Indonésie la première fois.

 

Qu'est-ce qui vous a attirée vers cette région et comment avez-vous découvert les îles Kei ?

En 2016, je me suis installée à Bali avec mon fils. Depuis cette base, nous avons exploré l'Est de l'Indonésie, découvrant ses îles et ses cultures. Lors de la crise du Covid, j'avais prévu de retourner dans les Moluques pour terminer un reportage en cours. Mais c'est finalement là-bas, aux îles Kei, que j'ai choisi de me confiner, presque instinctivement.

Ce qui m’a attirée aux îles Kei, c’est l’histoire d’une petite île au sud de l'archipel qui s'appelle Tanimbar Kei. A cet endroit, une communauté hindoue, héritière de la période Majapahit, subsiste encore, à l’instar de Bali Aga. C’est cette mémoire vivante, ce lien ancien avec l’histoire hindoue indonésienne, qui m’a poussée à m’y rendre.

Pendant la pandémie, nous avons été hébergés à Ohoililir chez les missionnaires du Sacré-Cœur, dont les origines remontent à Issoudun, en France, plus d’un siècle auparavant. C’est également là que mon fils était scolarisé. Ne pouvant quitter l’archipel, j’ai eu l’idée de construire un bateau traditionnel, ce qui m’a conduit jusqu’au petit village d’Ohoidertawun. Une profonde amitié s’est immédiatement nouée avec le chef coutumier, appelé "Patti", un mot sanscrit signifiant "ministre". La construction du bateau a finalement pris racine sur ses terres, et de ce projet est née Rumah Tua, la première maison de Manoa.

 

Quelles sont les valeurs fondamentales de Villa Manoa Kei ?

Villa Manoa Kei a officiellement ouvert il y a un mois et demi. Le nom Manoa a une signification profonde pour moi. Il vient de "Noa", qui signifie "lever un tabou" en polynésien, et c’est aussi le prénom de mon fils. Le "Ma" fait référence à "Mama" ou "Maria". Ici, tout le monde connaît mon fils, car il a été scolarisé sur l’île ; alors quand on me voit, on m’appelle affectueusement “Mama Noa”.

Villa Manoa Kei est née de cette étape inattendue dans les îles Kei. C’est un lieu que j’ai voulu empreint d’âme et d’authenticité, une invitation au voyage à travers mon univers personnel. La villa, conçue comme un jeu d’ombres, de lumière et de perspectives, s’inspire des influences austronésiennes, arabes et ibériques. Elle fait face à l’immense baie d’Ohoidertawun, où la mer, en se retirant sur plusieurs kilomètres, révèle une palette infinie de bleus, de verts et de turquoise

J’ai conçu et imaginé seule la construction de la villa, ce qui fut un vrai défi. Les habitants du village n’avaient, par exemple, jamais vu de toilettes modernes. Il a donc fallu construire en respectant les traditions locales, tout en introduisant des éléments d’une autre culture. Ce fut une aventure humaine avant tout, dans un esprit de grande famille – une valeur profondément ancrée ici. 

 

Villa Manoa Kei

 

Comment l’établissement s’intègre-t-il dans la culture locale des îles Kei ?

Villa Manoa Kei a été construite dans un profond respect des savoir-faire et des matériaux traditionnels des Moluques, une région au carrefour des cultures.

Nous avons utilisé des matériaux locaux, à commencer par les feuilles de sagoutier pour les toitures, comme celles que l’on retrouve sur les pondok (abris traditionnels) ou les bateaux. Le bambou a servi à créer des structures pour s’asseoir ou former des cloisons, tandis que les troncs de sagoutier, appelés gaba-gaba, ont été utilisés pour les murs. Le rotin et l’ijuk, une fibre de palmier noir très résistante — traditionnellement utilisée par les Bugis pour protéger les bateaux de la foudre — ont également été intégrés à la construction.

 

Villa Manoa Kei
L'une des chambres, chacune est unique, de la Villa Manoa Kei

 

Les fondations reposent sur des pierres de corail appelées Lutur, traditionnellement utilisées pour empêcher les cochons de pénétrer dans les habitations. Cette méthode ancestrale témoigne d’un ancrage culturel profond.

Avant même de commencer la construction, nous avons respecté les rituels locaux : une cérémonie d’offrandes aux ancêtres a été organisée, ainsi qu’un rite particulier lors de la pose de la première toiture, avec des bracelets en or et des noix d’arec enveloppées dans des feuilles de siri — des gestes symboliques de protection et de bénédiction.

 

Pouvez-vous nous parler des actions écologiques que vous avez mises en place ?

La protection de l’environnement dans les îles Kei représente un immense défi, notamment en raison de pratiques destructrices toujours présentes, comme la pêche à la dynamite. Pour lutter contre l’érosion du littoral, j’ai commencé à replanter de la mangrove, en parallèle d’un travail de sensibilisation auprès des autorités locales. C’est un processus long et complexe, d’autant plus en tant qu’étrangère, mais nécessaire pour préserver ces écosystèmes fragiles.

Nous avons aussi mis en place un programme de préservation des tortues marines, dont les populations sont en déclin. Nous veillons à leur reproduction, puis relâchons les nouveau-nés dans notre zone ou dans un petit lac d’eau salée naturel, où elles peuvent sortir d’elles-mêmes vers la mer. Comme les tortues reviennent toujours pondre là où elles sont nées, l’idée est de créer un cycle durable de retour naturel.

Par ailleurs, nous travaillons à la réintroduction et à la valorisation des bateaux traditionnels de l’archipel. Notre objectif est de les faire reconstruire selon les méthodes ancestrales, pour transmettre ce savoir aux jeunes générations. Ces embarcations, ludiques et écologiques, pourraient devenir un moyen de transport alternatif et culturellement enraciné dans l’archipel. 

 

La Villa Manoa Kei

 

Quelles sont les initiatives locales que vous soutenez ou auxquelles vous participez ?

Les îles Kei n’ont pas connu le même développement que d’autres régions des Moluques plus célèbres pour le commerce des épices. Ici, l’économie repose principalement sur la pêche, notamment les œufs de poissons volants, l’agriculture, les fermes perlières, et une étonnante diversité de fruits et légumes, cultivés sur un sol corallien. C’est une richesse discrète, mais réelle.

Je m’implique dans la valorisation de ce territoire : soutenir les agriculteurs, participer à des projets liés à la mer, et surtout aider à faire connaître le patrimoine naturel et culturel exceptionnel des Kei. Par exemple, certaines îles abritent des kangourous endémiques et des peintures rupestres datant de l’époque austronésienne, encore largement méconnues. 

Enfin, mon fils Noah, à seulement 15 ans, a déjà réalisé un impressionnant travail de recensement ornithologique, tant visuel que sonore, des espèces endémiques des îles de Kei Besar, Kei Kecil et d’Aru.

 

Quels sont vos projets pour la suite ?

Villa Manoa Kei n’est pas un projet hôtelier classique. L’hébergement sert surtout de base pour ancrer une présence, protéger les îles Kei et sensibiliser les autorités locales. C’est un prétexte pour créer quelque chose de plus grand : un lien fort avec la communauté, un engagement environnemental, une plateforme d’éducation douce, et aussi une manière de subvenir à nos besoins tout en vivant sur place.

En vivant ici, j’ai pris conscience que notre présence pouvait aussi offrir une forme de protection aux habitants, en soutenant des pratiques durables et en accompagnant les transformations locales. Si Manoa parvient à devenir un modèle d’autonomie et de durabilité, alors je développerai d’autres projets autour de cette même vision : des initiatives qui ont du sens, enracinées dans la culture locale et respectueuses de l’environnement.

 

Villa Manoa Kei

 

Comment réserver un séjour à la Villa Manoa ?

À Villa Manoa Kei, nous avons fait le choix de rester une structure à taille humaine. Nous souhaitons nous émanciper des grandes plateformes de réservation car nous privilégions le contact direct. Il est préférable de me contacter par WhatsApp : cela permet d’échanger, de présenter notre catalogue, et de créer un lien personnalisé avec chaque visiteur.

Ce tourisme-là, lent, respectueux et intime, est selon moi la meilleure voie pour les îles Kei. Il permet de valoriser l’authenticité de la région sans la dénaturer, et de construire des relations durables entre visiteurs et habitants. Mon souhait est de continuer à développer cette approche, à la fois humaine, écologique et culturelle.

 

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