Olivier Chambard est le nouvel ambassadeur de France auprès de l’Indonésie, de Timor-Est et de l’ASEAN. Il retrouve après 20 ans une nouvelle ambassade plus grande, signe de l’importance et de l’intérêt que la France porte à l’archipel.
L’Indonésie ne vous est pas inconnue car vous avez déjà été en poste à Jakarta entre 1997 et 2000. Revenir 20 ans après : quels changements avez-vous constaté ? Quelles sont vos impressions ?
Je tiens à préciser que l’Indonésie est un choix, j’ai posé ma candidature pour ce poste car j’avais très envie de revenir dans ce pays que j’avais beaucoup aimé et connu dans une période particulière, entre 1997 et 2000. Je suis honoré d’avoir obtenu ce poste important et c’est avec joie que je retrouve l’Indonésie.
Les changements, il est encore un peu tôt pour en parler car je ne suis là que depuis un mois et demi. C’est peut-être subjectif, mais je retrouve une Indonésie pas si différente de celle que j’ai quittée, certes il y a plus de gratte-ciel, pour certains très modernes à Jakarta, mais l’ambiance me semble inchangée. Les Indonésiens que j’ai rencontrés sont toujours de contact facile et sympathique, c’est vraiment un grand plaisir de les retrouver.
Néanmoins, lorsque j’ai quitté l’Indonésie en 2000, le pays traversait une période critique de son histoire : une crise financière et économique majeure et la naissance d’institutions démocratiques. Je reviens dans un pays 20 ans après, où la stabilité politique se confirme et où la croissance économique est au rendez-vous.
Vous parlez indonésien, un plus dans les relations diplomatiques ?
En 20 ans, j’ai oublié du vocabulaire, je m’y remets, je travaille et j’espère faire des progrès rapides. Je dois souligner que je suis bien aidé par les services de l’ambassade. C’est important lorsque l’on est dans un pays de faire l’effort d’apprendre la langue et d’avoir des contacts dans cette langue.
Vous avez déjà rencontré une partie de la communauté française installée à Jakarta : entrepreneurs, conseillers du commerce extérieur, lycée Français … Vous êtes allé à la rencontre de celle de Bali. Quels sont les premiers sujets de travail mais aussi d’inquiétude que vous avez rencontrés au sein de ces communautés ?
Sur la communauté française au sens large, je n’ai pas rencontré d’inquiétudes particulières mais la priorité de l’ambassade est de suivre, de s’occuper de cette communauté et de lui apporter les services consulaires dont elle a besoin.
Nous devons toujours avoir en tête les questions de sécurité ; c’est un pays où il y a de nombreuses catastrophes naturelles, nos services travaillent en permanence sur l’anticipation et la gestion de crise.
Je redécouvre par ailleurs la communauté, je retrouve des gens que j’ai connus. Je reviens de Bali où la communauté française est très dynamique. Le nombre de Français installés à Bali est légèrement supérieur à celui de ceux installés à Jakarta. C’est une nouveauté pour moi, il y a 20 ans la grande majorité des Français était installée à Jakarta. La communauté a aussi un peu diminué, les nouvelles règlementations ont entrainé une réduction du personnel expatrié.
Côté entrepreneurs, nous avons une forte communauté d’affaires, il y environ 200 sociétés françaises à travers des filiales, des bureaux de représentation mais aussi des nombreux français qui ont créé leur entreprise. L’Indonésie est un marché porteur, certes pas facile. Les investissements étrangers sont souhaités par le gouvernement indonésien et nécessaires pour le développement du pays mais la règlementation est parfois un peu compliquée et changeante. Cela fait partie des préoccupations de nos compatriotes, ce sont des points que nous suivons de près avec le service économique de l’ambassade, Business France, les conseillers du commerce extérieur et la Chambre de Commerce franco-indonésienne. C’est notre priorité d’aider les entreprises françaises à s’implanter, cela permet aussi de resserrer les liens avec l’Indonésie qui a besoin de cette coopération qui n’est d’ailleurs pas à sens unique ; il y a des transferts de technologies et des investissements qui bénéficient à l’Indonésie et aux entreprises françaises.
Les énergies renouvelables sont l’avenir : comment l'Ambassade et le gouvernement Français peuvent-ils influencer les choix énergetiques de l'Indonésie et lui faire abandonner le charbon au profit du gaz naturel ou des énergies renouvelables ?
Les énergies renouvelables sont en effet fondamentales ; en France nous avons un objectif de mix-énergétique de 40 % d’ici 2030, l’Indonésie a aussi pris des engagements suite aux accords de Paris sur le climat : passer à 23 % d’énergies renouvelables d’ici 2025.
Effectivement, le charbon se trouve en grande quantité dans le pays ; il est donc facile de l’utiliser. On ne peut pas dire à l’Indonésie ce qu’elle doit faire, mais expliquer l’importance de la réduction du charbon au profit des énergies renouvelables. La France, à travers ses grandes entreprises mais aussi ses PME, a une expertise à apporter dans ce domaine. L’Agence Française pour le Développement a pour obligation que 70 % de ses engagements financiers aient un impact positif sur le climat.
Les menaces d’embargo face aux produits européens suite à la crise de l’huile de palme semblent s’installer doucement. C’est déjà le cas entre autres pour les vins. Comment voyez-vous le règlement de ces tensions ?
Il faut replacer cela dans un contexte européen où il y a une inquiétude et une prise de conscience face à la déforestation, la biodiversité et le climat. C’est un mouvement d’opinion publique qui pousse à une approche durable des cultures. L’huile de palme est importante pour l’Indonésie, c’est naturel que le pays réagisse à ce problème qui touche ses grandes entreprises et ses petits exploitants. L’essentiel à notre niveau est de se concentrer sur un dialogue pour aboutir à une exploitation durable de l’huile de palme mais aussi de tout type de culture.
Ce n’est pas facile, vous avez parlé de la difficulté de trouver des vins européens, c’est clairement un avertissement de la part du gouvernement indonésien que nous prenons au sérieux et sur lequel nous dialoguons. Concernant les produits laitiers, il y a une menace de non renouvellement des licences, mais ce n’est pas encore très précis, nous travaillons sur ce dossier.
On entend parler d’interdiction d’achat de l’huile de palme en Europe, ce qui est totalement faux et contraire aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce. Ce qui est envisagé, c’est l’arrêt de la défiscalisation de l’huile de palme brute pour son utilisation dans la fabrication du biodiesel. Effectivement, il n’y aura plus d’incitation fiscale pour la consommation d’huile de palme, ce qui peut avoir un impact en Indonésie. L’Europe importe 10 % du volume total mondial d’huile de palme, la France 1 %. C’est donc tout l’enjeu des partenaires européens et du gouvernement indonésien de mettre en perspective toutes les données et d’en sortir par le dialogue.
Quels sont les dossiers importants que vous souhaitez voir évoluer durant votre mission en Indonésie ?
Quel que soit le pays, un ambassadeur a pour mission de faire évoluer les relations politiques, économiques, culturelles et scientifiques à la hauteur de ce que la France peut apporter, ainsi que de bien prendre en compte la dimension consulaire.
On doit améliorer notre dialogue politique, l’Indonésie n’est peut-être pas assez connue en France. Il y a bien sûr des raisons à cela : l’éloignement, l’histoire, l’absence de passé commun. L’inverse est vrai aussi, la France est connue ici à travers des images d’Épinal : son tourisme, son industrie du luxe, mais elle n’est pas assez reconnue pour son industrie, sa technologie et son haut niveau en matière de recherche. Il y a des marges de progression dans nos relations. L’Indonésie est un marché attractif important et concurrentiel où nous sommes présents et où nous espérons l’être encore plus.
Une dimension nouvelle est l’axe prioritaire de la zone indo-pacifique dans la politique étrangère française. Le Président de la République a présenté récemment une stratégie pour cette zone où la France est présente de par ses positions dans l’Océan Indien et Pacifique, sa population d'un million et demi de ressortissants, ses intérêts économiques et sa présence militaire. C’est la deuxième zone économique exclusive* du monde, après les États-Unis. Il y a ici une vision française qui repose sur la sécurité des voies maritimes, le multilatéralisme, une économie maritime forte, et une approche durable des enjeux globaux. Dans cette stratégie, l’Indonésie et l’ASEAN sont des maillons importants. Il y a un fort intérêt à travailler ensemble.
2020 célèbre les 70 ans des relations diplomatiques entre la France et l’Indonésie, quels sont les évènements prévus pour cet anniversaire ?
La célébration de cet anniversaire doit être un vecteur pour intensifier nos relations. Nous allons avoir des évènements dans une série de domaines : culturel, scientifique et universitaire. Un livre sur les 70 ans de la coopération scientifique avec l’Indonésie sera notamment publié. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’ambassade d’Indonésie en France qui célèbrera en parallèle l’évènement. Des escales de la Marine nationale sont prévues, un moyen d’intensifier notre dialogue stratégique dans la zone indo-pacifique. Dans le domaine économique, il y aura aussi des contrats qui seront mis en valeur dans le cadre de cet anniversaire.
Il avait été évoqué au cours de notre dernier rendez-vous avec votre prédécesseur l’éventuelle venue d’Emmanuel Macron en Indonésie. Qu’en est-il ?
Les présidents Macron et Joko Widodo se sont rencontrés à deux reprises en marge des sommets du G20, le dernier à OSAKA au Japon ; il y a eu un excellent contact entre les deux chefs d’État. L’Indonésie est un pays important en Asie du Sud-Est, nous travaillons à cette visite, mais rien n’est encore inscrit dans les agendas.
* Zone économique exclusive : On l’appelle la « ZEE », il s’agit de l’espace maritime (situé entre les eaux territoriales et les eaux internationales) sur lequel l’État exerce ses droits souverains (notamment sur les ressources halieutiques).