Vendredi 20 septembre 2019, le Lycée Français de Jakarta célébrait les dix ans de sa dénomination « Louis-Charles Damais » en présence de la famille Damais et de Jean-Pascal Elbaz qui donnait l’avant-veille à l’Institut Français, une conférence sur la vie et les correspondances de l’illustre chercheur.
Mais qui se cache-t-il derrière ce personnage emblématique ?
Louis-Charles Damais est né à Paris en 1911, d’une mère musicienne et propriétaire d’un magasin d’instruments de musique et de partitions, et d’un père qui tenait une boucherie voisine dans le 16ème, non loin de Trocadéro. L’orientalisme dans l’air du temps, il se passionne très tôt pour les histoires exotiques et la découverte des cultures en dévorant des livres trouvés chez les bouquinistes du long de la Seine, comme cette bible hébraïque qu’il s’empressera de traduire à l’aide d’un dictionnaire français-hébreu.
Doté d’une oreille musicale, d’une mémoire prodigieuse et d’un don affirmé pour les langues, il s’inscrit à l’Ecole Nationale des Langues Orientales et apprend l’arabe, le persan, le turc, le chinois et puis surtout le malais et le javanais parlé et écrit. A ses heures perdues, il aborde aussi les langues européennes : scandinaves, russes, hongroises sans oublier le latin, le grec, l’italien, l’espagnol, l’allemand et le néerlandais.
En parallèle, il étudie l’histoire des religions à la Sorbonne et développe ses talents d’épigraphiste, décodeur des écritures anciennes sur les stèles, statues, plaques de métal et tout support solide qui résiste à l’usure des siècles.
Un service militaire en Syrie puis deux ans d’études à l’Université de Leyde en Hollande où il fera ses premiers contacts avec un groupe d’indonésiens nationalistes, centrera son intérêt pour l’Islam et l’Indonésie, Indes néerlandaises à l’époque, où il sera envoyé par le Ministre de l’Education Nationale en 1937 alors qu’il avait 26 ans. Voici ses premières impressions :
« Arrivé à Java en 1937, j’eus bientôt des frottements avec les Hollandais – malgré des relations extérieures correctes – parce que je ne tenais aucun compte du « prestige » que les Blancs semblent juger indispensable dans les colonies et parce que j’avais plus d’amis dans les cercles indonésiens que dans les milieux européens. Cette période m’a d’ailleurs donné la conviction la plus absolue qu’une colonie, même « parfaitement administrée » crée des situations injustifiables à tout point de vue. Les différentes raisons mises en avant pour défendre les systèmes coloniaux : intérêts économiques, matières premières, différences dans le degré d’assimilation de la culture européenne, pour ne pas parler du trop fameux « droit historique » etc., toutes ces questions devraient et pourraient, à mon sens, être résolues d’une autre façon si chaque pays voulait y mettre du sien. » écrit-il au Secrétaire General des Nations Unies en 1946
Sa passion pour l’Indonésie s’épanouira totalement lorsqu’il rencontra Soejatoen Arief Poespokoesoemo plus communément appelée Ibu Toen avec qui il se mariera et aura trois enfants :
Soedarmadjie, Tamara (paix à son âme) et Asmorodewi Damais (ndlr : Ibu Toen est la tante de l’ancien président Bacharuddin Jusuf Habibie disparu le 11 septembre dernier).
Il créera à Jakarta la branche indonésienne de l’EFEO, l’Ecole Française d’Extrême Orient, aujourd’hui située Jalan Ampera 3, dirigée actuellement par Véronique Degroot et qui abrite une très riche bibliothèque et quelques chercheurs archéologues, anthropologues ou ethnomusicologues de passage dans la capitale.
De nombreuses informations sur l’illustre personnage sont tirées de ses correspondances qu’il eut avec Claire Holt, une passionnée de la culture, sur la danse et l’art javanais et qui seront publiées prochainement par l’EFEO, compulsées et richement commentées par Jean-Pascal Elbaz.
Louis-Charles Damais mourra trop tôt en 1966 à l’âge de 55 ans d’une infection sanguine. Il aura traversé une époque cruciale dans la région passant de la domination hollandaise, japonaise puis en 1945, la déclaration d’indépendance de l’Indonésie.
« Pour résumer donc, je puis dire que l’orientalisme signifie pour moi, non pas seulement un métier, mais aussi un mode de vie et de pensée car je suis comme vous convaincu que si le terme « humanisme » doit avoir son sens véritable, il ne peut être question de ne tenir compte que de la Grèce et de Rome et qu’il est nécessaire d’y faire entrer les cultures orientales. » (Lettre à Jean Filliozat du 10 mars 1959)
Sources : Adjie Damais, J-P Elbaz